“La réussite est l’insolence d’un jour”
Elias Canetti
La réussite d’un jour. D’une année. Puis d’une décennie. Une insolente réussite qui n’était pas forcément gagnée avant "
Hymns for the Broken" mais qui trace un sillon indélébile depuis, avec presque autant de chef-d'œuvres que d’albums. Entre un fabuleux "
The Atlantic", un "
The Storm Within" plus traditionnel, un "
Escape of the Phoenix" plus épuré et le dernier "A
Heartless Portrait" qui tentait de nouvelles directions, il n’était initialement pas forcément envisageable pour le fan qu’un nouveau disque voit encore si vite le jour.
Mais Tom Englund et son fidèle lieutenant
Jonas Ekdahl (très présent dans le travail de production et de composition), extrêmement épaulé par Johan Niemann à l’écriture ici (ndlr : voir interview), ont déjà donné naissance à un sixième album en 10 ans répondant à l’ambitieux patronyme de "
Theories of Emptiness".
S’il fallait déjà noter une différence quasi fondamentale entre ce nouvel opus et les cinq précédents, c’est le changement de personnel derrière le mixage. Jacob Hansen, homme de l’ombre de tous ces albums et presque sixième membre du groupe, laisse sa place à un choix de prime abord surprenant, Adam “Nolly” Getgood (
Periphery, Animals as Leader,
Architects). Volonté de modernité ? De sortir de sa zone de confort ? D’aller se frotter à de nouveaux horizons ?
Probablement un peu de tout ça et
Jonas explique bien que le travail sur les instruments, sur le son, sur l’ambiance a été déterminant avec lui, permettant non pas forcément d’aller plus loin mais d’explorer de nouvelles identités sonores.
Une chose est certaine : le son de "
Theories of Emptiness" est dantesque (une fois de plus), d’une profondeur inouïe et jouit d’un équilibre qui frôle tellement la perfection qu’il en est presque impertinent.
Ecoutez les coups de butoir d’un riff comme celui de "We Are the
North", pourtant tellement ambiancé par les claviers glacés de Rikard Zander. Tom est possédé par son texte, parachevé par des lignes de chant dupliquées et presque hurlées apportant une noirceur réellement inédite et abyssale à la musique des suédois (le cri après le premier refrain n’est pas prêt de me lâcher). Impossible également de ne pas succomber à une merveille comme To "Become Someone Else", portant la marque des grands moments de
Evergrey et exprimant en cinq minutes tellement plus que tant de groupes de prog en un album complet. L’émotion à fleur de peau de ce vocaliste incroyable sur une intro quasiment à capella, l'envoûtement d’un riff massif et colossal, enfonçant l’auditeur dans une expression cathartique avant un pont de toute beauté, magnifique moment en suspension où les choeurs et les arrangements de claviers s’avèrent hypnotiques et propres au recueillement. Recueillement que ce riff au marteau ne permettra pas, nous rappelant à une réalité plus terrestre et froidement humaine, évoquant des collisions émotionnelles d’une intensité palpable. Une intensité que "Say" nous rappelle à chaque écoute, entre son approche plus simple, son refrain propre au live et surtout ce break prenant la coloration d’un prog djent où l’influence de Nolly n’a pas été innocente (sous l’impulsion d’une idée de Tom), tant les guitares sonnent graves et lourdes. Ce sont ces guitares si heavy (quels soli de Henrik et Tom juste avant) qui permettent aux lignes de claviers en apesanteur d’être encore plus immersives, plus permissives, notamment au casque (quel travail sur la production).
Évoquant les différentes formes de “vide”, qu’il soit physique ou émotionnelle, négatif ou positif, l’album se concentre sur de multiples aspects et en découle une grande variété de tons. "One
Heart" surprend pour ses sonorités purement heavy metal, son riff en acier, son solo introducteur mais subjugue littéralement sur un refrain faramineux où son unique voix résonne comme un chœur (à l’instar de ce qu’on avait entendu sur "
Save Us" ou "
Midwinter Calls"). "
Falling from the Sun", suite conceptuelle de "
Ominous" sur l’opus précédent, ouvre quant à lui l’album dans une dynamique propre à ce qu’
Evergrey nous propose depuis plusieurs albums et forme ainsi un lien évident avec le passé. A l’inverse, "
Cold Dreams" avance vers un horizon bien plus sombre, d’une introduction spatiale et extrêmement mélancolique vers une intensité très noire, sinistre et stellaire apportée par l’incarnation colérique de
Jonas Renkse (
Katatonia). Si entendre
Jonas hurler n’est plus commun (hormis dans
Bloodbath ou ses interventions dans
Ayreon), il intensifie incroyablement la composition la plus brutale de l’album, autant dans le riff, l’attaque presque en blast de la caisse claire et surtout la noirceur de l’ensemble. Avant une conclusion presque rétro au piano où s’envole toute velléité de colère … émotion à l'antithèse du magique "
Ghost of my Hero", évoquant la perte du père de Johan, s'oubliant progressivement mais restant gravé tel un héros. L'émotion y est viscérale, Tom en superbe conteur d'une douleur se refermant avec le temps dans une pudeur extrême et avec une sensibilité caressant l'âme par sa grâce et sa poésie.
Une conclusion éponyme, hypnotique et narrative, s’effaçant telle une intervention fantomatique qui donne pourtant tant envie d’y replonger de nouveau, encore et encore.
"
Theories of Emptiness" remporte le pari de la continuité dans le changement, de conserver intacte une personnalité façonnée depuis quatorze créations et trente années tout en continuant à avancer, à se mettre en danger mais surtout à rester vrai et sincère.
Et si
Jonas décide de briser ce line up magique en se retirant des concerts tout en restant dans l’entourage du groupe (pour le studio et la composition), c’est à bras ouvert que nous pouvons accueillir l’incroyable Simen Sandness (batteur de
Shining ou TEMIC) pour fouler les prochaines planches du monde entier. Bienvenue dans l’aventure … la suite est encore à écrire mais promet encore de magnifiques chapitres … Simplement merci.
Merci pour ta chronique, à chaque sortie d'Evergrey, j'attends ta plume au tournant. Et merci également pour l'interview. Un bel hommage aux suédois, pour une énième réussite "insolente"... Ces mecs sont des machines à pondre des Bangers. Quel plaisir d'avoir de nouveaux albums si régulièrement, et avec tant de soins constants. Juste merci
Encore un excellent album des suédois qui ne cessent de pondre des pépites depuis 10 ans.
Seul petit bémol, la pochette. Après les sublimes artworks des précédents albums, celle ci est un peu (trop) simpliste à mon goût. Mais le principale reste la musique et la qualité est plus que présente.
Encore merci pour la chronique !
Il faudra que je mette la main dessus! À chaque achat, je découvre une bombe et vu tes écrits, il est impératif que je me le procure!
Merci pour la chronique!
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