Avant de procéder à une analyse du contenu musical de cet album, il convient d’abord de comprendre dans quel contexte il a été réalisé. En 1996,
Sepultura est à son apogée de sa carrière musicale avec la sortie de Roots. Grand succès critique et commercial, il pousse encore plus loin le concept initié dans Chaos AD qui mélange percussions tribales et metal bourrin, et en fait un album culte. S’ensuit alors une tournée mondiale et des concerts dans plusieurs grands festivals partout dans le monde. Tout semble donc rose pour les quatre Brésiliens, mais il n’en est rien. Des tensions s’installent progressivement au sein du groupe, opposant Max Cavalera (chanteur/guitariste) au reste du groupe. Et puis vient le drame : Dana Wells, beau-fils de Max, meurt dramatiquement dans des circonstances mystérieuses, ayant été brutalement assassiné. Cet événement tragique affectera beaucoup la vie personnelle de Max, et le conduira à se séparer de
Sepultura. Il n’a jamais été clair sur les réelles raisons qui ont poussé Max à quitter le groupe (chaque partie se rejetant la faute), mais ce qui est sûr, c’est qu’il s’agissait d’une des décisions les plus importantes qu’il ait eu à prendre dans sa vie,
Sepultura étant un groupe qu’il a mené à bien depuis les tout débuts alors qu’il n’était encore qu’un ado. En 1997, il se retrouve donc sans groupe, séparé de ses amis et de son frère de chez
Sepultura et anéanti par la mort de son beau-fils ; pas de quoi être joyeux, c’est peu de le dire.
Durant cette période, le monde du metal connait un nouveau groupe talentueux et très prometteur qui monte en réputation. Ce groupe en question, c’est
Deftones, et ils s’apprêtent en ce m
Oment à enregistrer leur futur deuxième album, Around the Fur (excellent album de néo qui a marqué son ère, que je recommande fortement soit dit en passant). Amis de Max et connaissant la période qu’il est en train de vivre, ils l’invitèrent à participer en featuring dans une chanson qui va paraître dans l’album, « Headup ». La chanson est particulièrement agressive et remplie de hargne, la participation de Max se traduisant principalement par un apport vocal lors du refrain où il hurle, entre autres, «
Soulflyyyyy » entre les vocaux à mi-chemin rappés et hurlés de Chino Moreno, dont les paroles sont clairement inspirées par l’événement de Dana Wells. Cette participation vocale semble avoir marqué le Brésilien, les paroles de cette chanson l'ayant énormément inspiré pour son futur musical : c’est décidé, le prochain groupe qu’il formera s’appellera
Soulfly. Un nom qui en dit long sur l’état d’esprit de Max lors de sa création.
Soulfly ne sera pas seulement un nouveau départ musical, il s’agit de bien plus que ça. C’est une véritable renaissance pour Max, tant musicale que spirituelle et personnelle. La pochette du premier album le montre bien, on le voit se tenir debout face ou dos à la mer (j’ai toujours eu l’impression que c’était dos à la mer), lever ses bras tel le Christ, comme pour montrer qu’il est prêt à affronter toutes les difficultés qu’il a rencontrées pour aller de l’avant grâce au pouvoir de l’âme. L’artwork fait directement référence au contact avec les esprits des personnes qui ont rejoint l’au-delà, avec en prime une photo de Dana Wells accompagnée d’un texte adressé à son meurtrier. Le regretté beau-fils fait intégralement partie de l’album, il a été fait pour lui et en son hommage, les thèmes et les paroles des chansons tournent autour de l’évènement qui a causé sa perte et la douleur que cela a pu provoquer pour ses proches. En écoutant cette œuvre, on rentre dans une forme d’intimité de Max Cavalera. Le nouveau groupe formé sera composé de Jackson Bandeira à la guitare, Marcelo D.Rapp à la basse et Roy Mayorga à la batterie ; ce dernier se fera plus connaître par la suite après avoir quitté
Soulfly comme le batteur de
Stone Sour.
Parlons maintenant de son contenu musical. Soufly se veut comme une continuité directe du dernier
Sepultura. Roots constituait une sorte de groove metal survitaminé accompagnée par de solides rythmiques tribales brésiliennes et moult effets sonores pour appuyer l’ambiance indigène voulue. L’album de l’âme volant reprend la même formule, mais avec un virage plus néo-metal. Quand on y réfléchit, ce n’est pas si surprenant, Max avait déjà montré par le passé de l’intérêt envers ce style. Roots avait quelques passages assez inspirés par le néo, et dans le titre « Lookaway », il avait invité Jonathan Davis, qui n'est ni plus ni moins que le chanteur de
Korn, formation connue pour être pionnière dans ce genre. De plus, il avait été produit par Ross Robinson, connu pour avoir travaillé dans les premiers albums de néo-metal (il sera également choisi pour produire le premier album de
Soulfly). Ajoutons à cela la collaboration avec
Deftones en 1997, et on comprend que le développement d’un son plus néo était finalement la voie logique.
Ce premier méfait contient donc toutes les caractéristiques du genre : riffs simples et puissants, basse lourde et groovy, batterie aux rythmiques prononcées et souvent inspirées par le hip-hop, chant furieux et intense. L’album démarre avec «
Eye for an Eye » qui, tout comme Roots et son mythique « Roots
Bloody Roots », commence avec une brève ambiance sonore de quelques secondes avant de balancer un bon gros riff, rapidement accompagné du chant de Max qui n’a rien perdu en puissance et en agressivité. La chanson réussit son pari d’être un nouvel hymne avec un refrain fédérateur ; cette fois-ci au lieu de « Roooots…Bloody Roooots » on a droit à un « Eye for an Eeeeeeeye ». S’ensuit « No
Hope = No Fear » avec son riff de départ qui monte rapidement en puissance, parfaitement calibré pour le headbang et les mouvements de foule, qui continue avec une structure similaire à celle de «
Eye for an Eye » à la différence que le chant dans les couplets est plus inspiré par le hip-hop. Toujours aussi efficace. On comprend alors que l’énergie et l’intensité sont les maîtres mots pour définir cet album. On retrouve le même genre de structures sur plusieurs autres chansons telles que «
Fire », «
The Songs Remains Insane » ou encore « No », avec toujours un certain degré d’efficacité. Les sonorités tribales et brésiliennes traditionnelles sont aussi de retour. Celles qui se distinguent particulièrement à ce sujet sont «
Tribe » et « Bumba », qui marient avec brio riffs destructeurs et vocaux/sons directement issus du Brésil profond, la première allant jusqu’à débuter avec un chant traditionnel indigène et la deuxième contenant quelques influences reggae. Toujours dans une logique de rendre hommage à la culture de son pays natal, une piste cachée du nom de « Sultao Das Matas » a été soigneusement incluse à la fin, constituée de chant a capella élaboré par ce qui semble être des femmes indigènes.
L’instrumentale «
Soulfly » relève d’un grand intérêt tant il propose quelque chose d’abouti. Très relaxante, elle nous met directement dans l’ambiance des chaudes plages tropicales brésiliennes avec un jeu de guitare lent aux effets inspirés par le reggae accompagné de percussions latinos, le tout sur fond de divers sons ambient. Ce sera la première instrumentale d’une longue série, qui apparaîtra dans chaque nouvel album de Soulfy (parfois en tant que chanson bonus seulement). «
Umbabarauma » va jusqu’à reprendre une chanson du même nom de Jorge Ben Jor, chanteur brésilien très populaire dans le pays (cette même chanson sera jouée lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du Monde 2014), pour en faire une version plus heavy et tout aussi festive.
Maintenant, passons à l’aspect qui fera LA grande spécialité des albums de
Soulfly : les featurings. Max adore les collaborations, et il nous l’a fait comprendre dès Roots. Un nombre considérable d’artistes de différents groupes ont été invités à collaborer dans une ou plusieurs chansons aux côtés du groupe. Dans une logique de rendre l’invitation, Chino Moreno, le chanteur de
Deftones, est invité dans la chanson « First
Commandment » qui traite du jugement à venir pour le responsable du meurtre de Dana Wells. Une chanson tout aussi remplie de hargne que « Headup », avec une prestation particulièrement remarquable de Chino qui nous livre ici à la fois ses hurlements les plus sauvages et son chant atmosphérique ; deux éléments qui font partie de sa marque de fabrique vocale. Benji
Web, alors chanteur de
Dub War, qui sera plus connu par la suite comme frontman de
Skindred, apparait en featuring dans deux chansons, la plus intéressante étant «
Prejudice », où il exploite son chant dansant et ses vocaux rapides plus agressifs ; avec un très bon breakdown en milieu de chanson. Enfin, le featuring qui, à mon sens, est le plus spécial, le grand «
Bleed ». En collaboration avec Fred Durst et DJ
Lethal, respectivement frontman et DJ de
Limp Bizkit, groupe qui monte en flèche en popularité à l’époque, elle montre les deux chanteurs sous leur forme la plus furieuse, l’invité vocaliste en question n’ayant peut-être jamais autant hurlé dans une chanson. La combinaison des hurlements des deux compères dans le refrain précédé par des couplets en mode hip-hop sauce Max nous donne une bonne dose d’adrénaline en pleine face. Et que dire du breakdown au milieu, très plaisant, où Fred Durst nous lance son flow rap dont lui seul sait le faire. Mon seul regret est la collaboration de Dino Cazares et Burton C. Bell, respectivement guitariste et vocaliste de l’excellent groupe
Fear Factory, dans «
Eye for an Eye ». Une collaboration qui, malheureusement, et malgré le niveau de prestige des invités, est très sous-exploitée. En effet, on ne sait pas trop ce que Dino Cazares a apporté de plus à la guitare car on ne distingue rien de spécial et encore moins un riff caractéristique de son jeu typé metal indus très rapide. Quant à Burton C. Bell, sa collaboration se limite à hurler le « for » du refrain. Quand on connait le talent vocal qu'il est capable de démontrer, on ne peut que trop regretter qu’il n’ait pas davantage collaboré sur cette chanson ou sur une autre.
Lors de l’écoute de l’album, l’on constate que la générosité de Max se transforme aussi en son principal défaut. Car oui, l’album est un peu trop long, avec une durée totale dépassant une heure. Tout comme son aîné Roots, sa grande longueur empêche d’apprécier des titres pourtant intéressants comme « The Song
Remains Insane » ou «
Fire » qui ont eu la malchance de se trouver vers la fin, après avoir traversé une première mi-temps pourtant déjà bien explosive. Certaines chansons font même défaut dans la tracklist, comme « Quilombo » qui, malgré la collaboration avec Benji
Web, ne parvient pas à décoller à cause d’un rythme trop mou du genou ; ou encore « Bumbklaatt » qui se distingue que trop peu de celles qui l’a précédent. « Karmageddon », piste instrumentale qui a pourtant le rôle de clôturer l’album, est inadaptée pour cela car elle est trop ambiante ; on la verrait bien mieux comme titre de transition en milieu d’album, mais pas comme la dernière. Enfin, peut-être le détail le moins important mais je fais quand même la petite remarque, la production dispose d’un côté un peu sale volontairement ajouté, qui, je pense, n’était pas utile. Mais cela n’affecte en rien son appréciation.
Impossible de ne pas headbanger à l’écoute de cette œuvre, tellement elle déborde d’énergie, d’intensité tant musicale qu’émotionnelle et de riffs à faire détruire les cervicales. On ne peut que saluer les efforts louables de Max à fournir à ses fans un album digne de sa réputation et de son glorieux passé chez
Sepultura. Un album pas exempt de quelques défauts qui font qu’on ne l’écoute pas forcément en entier d’une seule traite, mais bénéficiant de suffisamment de chansons ô combien plaisantes pour s’y attarder.
Soulfly est devenu le parfait tremplin pour la vision unique de Cavalera du metal, et une bonne façon pour affronter la seconde partie de sa carrière. Une première expérience qui semble lui avoir plu d’ailleurs, l’album successeur
Primitive évoluant sur une base musicale similaire.
Le premier reste fantastique.
que de souvenirs...
Quel coup de vieux!
Merci à vous tous pour avoir pris la peine de lire ma chronique et mettre un petit commentaire, ça fait toujours plaisir. Je vois que ça a fait raviver pas mal de bons souvenirs, et oui je comprends parfaitement puisque c'était également mon cas en écrivant cette chronique, qui m'a directement renvoyé à mes premiers amours avec Soulfly il y a de cela plusieurs années déjà. Il faut dire que cet album est particulièrement spécial dans la discographie du groupe, tant par le contexte dont il a été fait que par l'implication émotionnelle de Max, et ça se ressent à son écoute. C'est ce que j'ai essayé de faire comprendre dans ma chronique.
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