Nous en arrivons à un point avec
Devin Townsend où l’on ne sait plus comment débuter une chronique. Par quel bout commencer pour donner un semblant d’image et de cohérence à cette immense fresque que façonne le canadien depuis désormais les années 90. Chaque réalité d’un album n’est pas celle du suivant. Chaque chemin pris à un moment est un chausse-trappe pour son successeur qui, sans toujours prendre le contrepied parfait, est toujours une sorte de réponse.
"
Lightwork" s’est longtemps fait attendre. Le successeur du facétieux, ambitieux et gargantuesque "
Empath" était annoncé comme plus léger et accessible mais pendant longtemps, n’arriva pas à convaincre Devin lui-même, incapable de donner vie comme il le souhaitait à son nouveau rejeton. Il l’avait dit en conférence de presse au Hellfest : “J’espère que vous mettrez moins de temps que moi à aimer ce disque. Je l’ai longtemps vomi, mais désormais ça va mieux”.
Épaulé pour la première fois par un véritable producteur en la personne de Garth Richardson (justement à même de façonner cette vision plus accessible, lui qui a travaillé avec
Nickelback,
Rage Against the
Machine ou même
White Lion). Néanmoins, cet obsessionnel du contrôle qu’est Devin rencontra toutes les peines du monde à trouver un terrain d’entente avec l’autre canadien, souvent sur la corde, se remettant en question pour un final initialement frustrant pour un artiste qui n’avait presque jamais écouté quelqu’un d’autre que lui. L’inventeur fou fit même une pause dans la conception de "
Lightwork "pour composer "
The Puzzle" plus chaotique afin de revenir dans de meilleures dispositions pour terminer un opus qu’il souhaitait résolument optimiste.
Ainsi, trois ans et demi plus tard, "
Lightwork" est entre nos mains, avec sa déclinaison "Nightwork" (oui parce que sortir un seul disque, c’est visiblement trop peu pour lui), sans la collaboration de Garth et qui, loin de n’être que des chutes de titres non finis, s’avèrent un véritable second disque, totalement produit et masterisé et surtout apparaissant comme un parfait prisme furieux à la nature bienveillante de son homologue.
Difficile de dire aujourd’hui qu’un disque de Devin peut surprendre dans l’absolu puisque son style et son empreinte sont inimitables. On reconnaît évidemment l’homme à chaque recoin de morceaux, dans chaque riff, dans cette production toujours aussi massive et aérée (parfaite donc), avec des allers-retours dans la carrière du musicien, que ce soit dans "Ki" ("Moonpeople"), "
Synchestra" ("Heartbreaker"), "
Accelerated Evolution" ("
Call of the Void") ou encore "Transcendance" ("Celestial Signals").
S’engageant dans la musicalité la plus mélodique et aérienne de son répertoire, "
Lightwork" révèle parfois des trésors de poésie, à l’instar du fabuleux "
Call of the Void", dépouillé et sublime. Véritable havre de paix, la voix céleste du canadien se pose sur une mélodie sculpturale avant de s’envoler vers un refrain magnifique de beauté, avec une certaine force mais surtout un lâcher prise total. Dans une veine similaire, "
Lightworker" transforme l’essai dans un refrain plus grandiloquent, explosant une cathédrale de sonorités, dans un aspect parfois proche du rendu musical de "
Addicted", notamment sur le plan vocal où Devin force le respect dans son amplitude vocale, passant d’une envolée lyrique à quelques hurlements fugaces mais apportant une énorme force, telle la nature rageuse, jamais loin de cette apparente tranquillité. Difficile également de passer sous silence le fabuleux "Celestial Signals", laissé au rang de démo dans le disque bonus de Transcendance. Il trouve ici une seconde vie avec la voix angélique d’une Anneke toujours au rendez-vous, pour un titre au refrain une fois de plus d’une beauté à tomber, là encore avec ce côté rocailleux venant contrebalancer avec la mélodie vocale d’une pureté rare. On retrouve dans ce morceau ce qui avait également fait l’aspect aérien d’"
Epicloud". En terrain connu mais toujours avec un tel niveau de perfection …
Cependant, le canadien s’est également fait plaisir avec quelques excentricités (bien qu’ils les déclarent comme “basiques”, l’homme ayant de toute façon une vision bien à lui de ce qui est simple et ce qui ne l’est pas). On notera un "Dimensions" plus massif et spatial, sans véritable structure et à la vision plus progressive. On peut penser à un Ziltoid faisant une pause repas sur une planète pas forcément hostile mais pas réellement rassurante non plus. Les samples sont plus étranges, il n’y a pas de mélodie conductrice et assez peu de chant (qui plus est hurlé) sur ce titre mais il apporte une coupure expérimentale et intrigante entre deux titres beaucoup plus construits que sont "Heartbreaker" et "Celestial Signals".
"
Equinox" sort également du lot, par son riff dans un premier temps, ainsi que les éléments électroniques qui peuplent la composition. Il y a autant de la pop électronique, du riff ciselants, des couplets presque narrés mais aussi, sous cette apparente quiétude, des cris que l’on ne perçoit pas forcément au premier abord, en toile de fond, mais parfois démesurément long (ce cri de presque quinze secondes sur la dernière partie du morceau). "
Children of
God" nous accueille dans dix minutes bien plus relaxantes et éthérées, se terminant sur le bruit des vagues et des animaux …
"Nightwork", sans le décrire intégralement, recèle également des pépites, entre un "Starchams" initiateur qui aurait pu ouvrir "
Physicist" (un petit air de "Namaste" avec Anneke, moins brutal certes mais dans le même esprit), un "Stampys Blaster" qui n’est qu’un blast beat orchestral de trente secondes (il fallait y penser) permettant d’ouvrir le brutal "Factions" laissant renaître, une fois encore, SYL, du tréfonds des enfers. Un petit mot également pour l’énigmatique "
Precious Sardine" et ses dix minutes des plus colorés et délirantes nous ramenant en plein dans le "Mighty Masturbator" de "
Deconstruction" !
Que dire de plus ? C’est déjà beaucoup.
Plus qu’il ne se décortique, "
Lightwork" a besoin de vie, de temps également et d’être happé par son univers (les nombreux dessins d’enfants dans le livret ainsi que la box assez incroyable disponible pour cet album en sont une des clés). Sans être le meilleur ou le “plus” (Devin n’en est désormais plus là), il s’inscrit dans la direction effectivement plus accessible, mélancolique et charnelle de l’auteur. Un beau moment, presque intime parfois, comme peu d’artistes peuvent nous en offrir.
merci pour cette belle chronique bien décrit et pour les mots presque exact de ce que je pense de ce nouvelle album, ca fait un bon moment j'avais pas aimé et admiré un album de devin townsend tout comme leur meilleur album de tous the ocean machine et le meme frissons de synchestra. aucun titre ne m'a décu.
Qu'est-ce que je l'aime cet album, sans conteste un de mes préférés de Sir Devin Townsend. Une première partie tout en délicatesse, dans un registre plus rock progressif qui convient à merveille à l'artiste avant une seconde partie beaucoup plus déchaînée, plus expérimental qui libère tout le génie musical du musicien. J'hésitais à le chroniquer mais ton écrit rend un bel honneur à cette nouvelle réussite d'un homme qui n'a désormais plus grand-chose à prouver.
Merci pour l'écrit !
Merci pour cette chronique c'est presque un exploit de décrire la musique du facétieux Devin qui n'est pas de notre planète. Je me méfie toujours des avis trop positifs et bien entendu je vais découvrir cet album avec appétit et m'en faire une idée plus personnelle et en plus y'a deux albums en un.
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