Les années 90 furent une nouvelle ère d'innovation en terme de metal.
MaChine head instaurait une nouvelle vague du thrash metal,
Ministry signait l'apogée du metal indus, la seconde vague du black metal était en ébullition, le concept symphonique y trouvait intégration, le death mélodique se concrétisait au point de se forger une propre identité tandis que le fusion taillait sa place dans le milieu.
Mais cette période est surtout réputée pour avoir propulsé un genre de metal tout nouveau tout chaud qui, au fil des années, sera principal responsable de l'éclosion d'une horde de nouveaux fans à travers le monde. Le neo metal. Une frange de cet art conspuée par la quasi-totalité des puristes du genre mais aussi par un grand nombre de metalheads soit attachés à ses standards, soit outrés de voir cette nouvelle mode voler la vedettes aux grandes figures de cette époque. Et quand on voit le résultat, on les comprends.
Car très vite devenu un metal de masse vidé de la substance originelle, ce nouveau était prédestiné à devenir une musique facile à la durée de vie dérisoire, au succès commercial aussi imposant que son absence de créativité et sa traîtrise envers l'esprit de la musique qui convulsait le milieu.
Pas assez hétéroclite, jamais sinon trop peu aventureux, poncé et verni à triple couche après les nombreux passages de monsieur propre, un air goguenard de rébellion juvénile aromatisé au parfum bon marché, et quand ça s'énerve, c'est pour nous dresser les cheveux à l'aide d'une prestation clichesque et bas de gamme qui va de toute façon se transformer en un pot de gomina suintant l'eau de rose naïve et hypocrite ( le cas de Slipknot).
Le metal et la variétoche pourrave ne font pas bon ménage, c'est un fait et c'est normal. Quand on démarre une galette, qu'elle soit une oeuvre de
Carcass ou un Maiden des 80', ce n'est pas pour se taper de la chansonnette sous air de puissance artificielle. Non, on veut de riff, on veut de l'énergie, on s'attend à ce que le metal pue dans un rayon de cent kilomètre. Pourtant en jetant un coup d'oeil aux alentours de la scène, ce n'est pas la variété qui manque; hormis les emblèmes Heavy, Thrash, Death,
Doom ou Black, des artistes comme
Faith No More,
Rage Against the MaChine ou
Carnival In Coal ont réussi à garder ce puissant esprit dans leur musique tout en proposant un metal aux influences externes marquantes, bien qu'ils ne furent pas toujours appréciés de tous.
Alors pourquoi s'intéresser à cette tendance me demanderez vous... Et bien, pour vous donner la réponse, remontons la ligne du temps, vers les débuts de cet évènement. Nos regards s'arrêteront sur deux entités atypiques pour l'époque :
Deftones et
Korn. Car puisqu'il faut bien commencer quelque part, ces deux groupes sont les principaux responsables de ce qui infligera par la suite l'eczéma, les cheveux blancs et un registre d'insultes poétiques à nos metalheads bien aimés. C'est davantage le cas du second qui nous intéresse, car il fut, grâce la sortie de son premier album éponyme, la véritable catapulte du microbe neo metal qu'il incarnera lui même dans les années à venir.
Korn, c'est avant tout quatres ados originaires de Bakersfield en Californie. On ne présente plus ces gars là, devenus les icônes d'une jeunesse stéréotypée par excellence. Lors de la sortie du premier via
Blind Record en 94, la plupart des vétérans du metal, dont une poignée étant déjà en pleine résistance depuis l'explosion d'entitées comme MaChine
Head et leur thrash new wave, ont dû afficher ce petit rictus plein de cynisme « Allez, encore une bande de rigolos ». Arrivent alors à leurs oreilles ces guitares sous-accordées et grasses, un groove pesant et paresseux, une basse puissante jouée par un Fieldy friand de slapping lourd et cinglant. Et si même l'introduction du célébrissime
Blind aurait pu chatouiller leurs oreilles, certains auront déjà refermé la boîte maudissant une scène metal en pleine auto-parodie. D'autres imiteront ce geste dès l'apparition du chant de J.Davis qui dans ses déclamations de jeune garçon colérique leur aura donné la sensation d'une naïveté et d'un sentiment de révolte adolescente ( ce qui est le cas ) à l'apparence enfantine. Il faudra encore faire une croix sur ceux qui feront la grimace en entendant ces riffs simplistes, ces passages aux phrasés saccadés proches du hip hop et ces structures rythmique presque exclusivement mid-tempos synonymes de mollesse pour un groupe tentant de libérer une énergie expansive.
Puis il reste les irréductibles déterminés à écouter le disque jusqu'à la fin. Car après s'être habitués aux éléments précités, quelque chose se produit. Quelque chose de tellement étrange qu'ils en lèveront les yeux vers les enceintes tentant de mieux percer cette aura mystérieuse et troublante qui semble s'épaissir au fur et à mesure de la lecture.
En se remettant dans le contexte de l'époque, leur première constatation aurait été la suivante : La musique de
Korn ne ressemble à rien de ce qu'ils auraient pu écouter auparavant. Elle n'a rien de heavy, encore moins de thrash, pas une once de punk et située à des années lumières d'un certain grunge. Et étrangement, le disque prend soudain une cohérence inattendue. Dès à présent, leurs oreilles sont en alerte et ils ré-analysent les éléments qui composent l'objet. Et c'est alors que tout prend une clarté limpide.
Ces riffs que nous qualifions de simplistes laissent maintenant couler leur sang grisâtre et visqueux. Car ce grain gras et bourru des guitares se basant sur une seule harmonique dissonante et encastrée dans son opacité forme une moelle impressionnante, un monolithe compact et morose souvent anti-mélodique. Si la construction de leurs partie est dépourvue de tout solo, elle laisse la place à de nombreux assemblages bruitistes, comme de glauques interventions dans des aigus poussifs ou encore des slides dérangeant, voire carrément inquiétants, dessinant un portrait déChirant de l'auteur.
Cette basse nerveuse prend une place rythmique non négligeable, épaulant ce groove obsédant exercé par Dave Silveria.
Et J.Davis devient alors le pilier de la formation, capable de passer par toutes les intonations vocales, des hurlements désespérés aux phrases murmurées intimistes, d'un chant tantôt posé et suppliant, tantôt clamé avec force et fureur.
Sans que l'on puisse comprendre sur le moment le comment et le pourquoi, l'album devient un véritable exutoire pour un petit groupe au besoin viscéral de cracher ce qu'il a dans les tripes. Les titres le prouvent d'eux mêmes ; ceux qui sont devenus de véritables tubes aujourd'hui tel Ball Tongue et les énervements spasmodiques de Davis sur ces six cordes grincantes,
Clown sur lequel son chant rauque et excédé enivre un refrain émotionnellement captivant, bon exemple de l'efficacité de ces grattes vrombissantes, Shoot and Ladders, reprise de la chanson enfantine « Mary had a Little Lamb » introduite à la cornemuse, une démarche quasi-sChizophrène qui sous-entend une page non tournée sur une enfance douloureuse, Fake qui, comme
Korn saura encore le faire plus tard, agit comme une complainte bordée d'un courroux qui semble incontrôlable,
Need to où la maîtrise semble s'échapper des mains des protagonistes tant le besoin de vomir se fait ressentir ou le fameux Daddy, pièce à l'anecdote étrange selon laquelle le chanteur aurait craqué en studio. Et lors de ces larmes, même si l'on pourrait douter de la crédibilité du personnage, ces sanglots semblent tellement authentiques qu'il est difficile de ne point le prendre au sérieux. Cela s'explique notamment par la teneur en rage du morceau en question, qui finit par se transformer en un règlement de compte par J.Davis envers un père irresponsable et pervers, ses cris se perdant petit à petit dans le vortex de l'émotion retenue trop longtemps. Ce dernier titre reste une expérience effrayante.
Et là, le verdict est clair :
Korn jouit d'un atout inébranlable que trop peu, voire aucune des formations de neo metal ne posséderont dans l'avenir : Sa spontanéité et sa sincérité. Oui ! Sincérité, tu as bien lu.
Korn transpire une colère, une incompréhension certes juvénile mais obsédante et poignante.
Korn est la représentation musicale d'un monde fait de corruption et d'une fièvre de se vaincre, les ressentiments de l'enfant en face d'une société stigmatisé et du pouvoir qui ne le comprend pas. En lui même,
Korn est bien plus que le premier disque de néo-metal. Il est une mise au point, un échappatoire musical généré par ce mouvement d'ensemble déterminé à poser cartes sur table sans fioritures. Et il finit par posséder les qualités que le metal le plus intègre incarne depuis toujours : Dérangeant, furieux et débordant d'énergie par l'efficacité de ses plans avec en prime sa face austère enlisée dans une tristesse sans frontières. Il n'est pas étonnant que le groupe succombe à la simplicité et aux tentations du marketing musical au vu de la certaine facilité d'accès qu'il arbore, toutefois encore très loin du savon numérique regrettablement présent sur leurs dernières sorties. Pourtant, le groupe sortira deux ans plus tard un
Life Is Peachy aussi original que convaincant et, après sa perte de vitesse sur le très vendu
Follow the Leader, il sortira en 99 le terrible
Issues, dernière marque d'intégrité et d'inspiration de ce précurseur d'un art qui continue à creuser sa fosse dans le sol du médiocre. Un pseudo-art qui fit naître moult passions déchaînées, encore aujourd'hui la cause de cet hermétisme au néo metal nourri par les metalheads purs et durs et que je nourris moi même. Et par lien de cause à effet, ce disque fut jugé par beaucoup comme une crasse sur le paysage du metal, l'attitude naïve et puérile de cette nouvelle vague de fans jouant beaucoup... qu'ils aillent se faire foutre, tout comme ceux qui jugeraient ce disque en fonction de son impact sur cette scène de merde, confinés au sein de leurs misérables préjugés. Car objectivement, il fallait que ce disque voit le jour. Et pour ce faire, il fallait des artistes inspirés. Et à ce moment, ce fut le cas, incontestablement.
Avec ce disque,
Korn a innové.
Korn a créé et a repoussé certaines barrières.
Korn en voulait et est allé loin, très loin.
Korn mérite autant de respect que les standards du genre. Ce groupe fut très grand et leur éponyme est culte, quoi qu'on en dise.
17/20. La note est osée, c'est vrai. Mais rare sont les groupes contemporains qui redessinent l'art à leur sauce, sans se soucier des principes établis, et qui parviennent à force de détermination, guidés par leur besoin de hurler à plein poumons, à créer une oeuvre aussi authentique et profonde. Il fallait le faire. Et
Korn l'a fait. Que justice soit rendue !
Un album à la naissance d'un style, je reprend l'écoute du groupe l'ayant laissé longtemps au placard. Quand je l'ai découvert (95 me semble t'il), je n'ai pas aprécié plus que ça au début, puis quelques mois après, la porte c'est ouverte, une tuerie. La première partie de l'album est dingue, de Blind à Shoot and ladders, tout est incroyable comme souvent dans les opus à la base de nouveau style. Je trouve la 2e partie un cran en dessous, comme Fake ou Helmet in the bush. Et en ces temps de restrictions et de solitude, il est pas simple d'écouter Daddy en entier. Aujourd'hui j'ai du mal à l'écouter d'une traite, je m'arrette à Shoot and ladders.
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