Ouch la pochette ?! Ha oui quand même,
Chronophobia bousculait déjà les conventions, mais là on franchit un palier supplémentaire dans le bon goût. Elle a le mérite d’attirer l’attention, comme n’importe quelle représentation de monstre me direz-vous et de mettre mal à l’aise, rassurez-vous, ce n’est que le début. L’objet, quant à lui, ravira les collectionneurs, un digipack de toute beauté, comme sait si bien les dispenser Holy Records, gage de qualité artistique tant dans le contenu que dans le contenant.
Alors que S.U.P. filait dans la nuit comme un éclair, voilà le spectre de l’aîné,
Supuration, qui tente de reprendre l’ascendant 10 ans après
The Cube.
Supuration, SUP, puis Spherical Unit Provided, il y a de quoi en perdre son latin. Et lorsque le groupe ressort
The Cube chez Holy Records en 1998 sous le patronyme SUP, on atteint des sommets de paradoxe. On est en droit de se demander si le passé du groupe en tant que
Supuration n'est pas en train d’être effacé une bonne fois, et réintégré à l’ensemble SUP devenu prépondérant au fil des années et des albums. SUP s’assure une totale autonomie, à la puissance infinie puisque capable de réécrire sa propre histoire sans contestation possible. Quand on sait comment le groupe se bat à chaque occasion pour éviter la confusion, entre les deux entités, qu’un rond ne rentre pas dans un carré, et tout le toutim…. Retour à la case départ, ne touchez pas 20 000 ! Le groupe décide de faire ressortir le monstre du placard. Reprenons le manuel, et essayons de retrouver nos repères.
Supuration, c’est le socle, les fondations qui ont permis aux Frères Loez de construire leur univers musical. Mais encore ?
Supuration un groupe à l’identité reconnaissable à défaut d’une définition stylistique établie : dark/doom/death metal torturé et sinistre jusqu’au bout des ongles arrachés, avec adjonction d’influences incertaines issues des 80’s.
The Cube demeure la référence d’un genre, celui de
Supuration, et un ouroboros.
Seul le génie ou la folie semblent pouvoir expliquer la volonté de redonner vie à un projet 10 ans après l’avoir mis entre parenthèses. En effet une décennie sépare
The Cube, projet précurseur et expérimental sorti en 1993, d’
Incubation, préquelle de
The Cube débarquant en 2003. Si on retrouve bien les racines death metal, la puissance rythmique, le growl désincarné et les décharges de guitares aussi tranchantes que mélodiques, là au fond quelque chose a pourtant bien changé. La faute a un chant clair envahissant qui crée une brèche dans l’hermétisme supuratien. Les émotions sont pourtant au rendez-vous, on retrouve un frémissement mais rien à faire l’expérience SUP semble avoir laissé des traces profondes qui ne permettent pas au quatuor d’inverser le curseur aussi facilement qu’ils l’auraient espéré… La faute a une production qui a privilégié l’aspect éthéré et aérien des lignes mélodiques à la lourdeur asphyxiante de la rythmique, à la présence de samples un peu trop prévisibles, à l’alternance des chants, ou la somme de tous ces éléments ? Non, la vérité est ailleurs.
Supuration n’a jamais cédé aux chemins balisés, restant adepte du hors piste dans une jungle spatiale qui se construit dans notre imaginaire, note après note, riff après riff ; non ça pue le
Supuration à plein nez mais pas celui attendu, et tant mieux.
The Cube nous transportait au-delà de la mort, dans un espace froid et désincarné, seul, sans soleil, il en ressortait une atmosphère hostile et aride.
Incubation ne propose pas la même perspective, réintégrant la vie et ses fractures, exprimant la douleur indicible d’un viol, et d’une grossesse non désirée, d’un doute profond quant à l’avenir, qui s’achèvera par une décision définitive, le suicide de l’héroïne, précipitant son enfant dans la mort avec elle. La chute sans aucune branche à laquelle se raccrochait…
Dès lors, un combat s’engage musicalement parlant, le féminin au centre de l’histoire, la présence d’un enfant, tout cela contribue à créer une atmosphère angoissante avec des présences qui empêchent l’effondrement immédiat et définitif jusqu’à la dernière seconde de l’œuvre. Il y a une forme de raison à l’œuvre qui essaie de rassurer et apaiser l’héroïne ; mais l’ombre patiente, à l’affût du moindre signe de résignation de la part de sa future proie. On comprend un peu mieux ce qu’exprime la jaquette, cet enfant fruit d’un viol, qui tente de s’exprimer sans pouvoir sortir.
Plus les titres s’enchaînent plus l’engrenage se met en place, la mécanique implacable du désespoir, du dégoût et de la volonté d’abandon à travers un riffing lent et méthodique, un growl continu, et une rythmique atténuée mais implacable. Le sampling nous aide à nous situer dans les étapes que traverse la protagoniste. Souffrir avec elle, est-ce la seule chose qu’il nous reste à faire ? La position de l’auditeur dans cette tragédie à la fois classique et terriblement actuelle est dérangeante au possible. Le film musical auquel nous assistons impuissant invite au silence et repli sur soi, toute forme de compassion semblant mal venue. Parmi les œuvres des frères Loez,
Incubation demeure la plus outrageante, tant la retranscription musicale colle à la trame scénaristique.
L’excavation de
Supuration donne lieu à une expérience particulièrement cruelle et douloureuse. Souvent il y a une lumière, ou une sensation fugace d’apaisement dans leur concept album, ici la courbe dramatique est une inclinaison perpétuelle et définitive vers la mort, entendue comme ultime délivrance. Aucune chance n’est laissée à la jeune femme, pas même dans sa relation avec son futur enfant.
Incubation, c’est un pur concentré de traumatisme malsain et insoutenable. Une réussite totale quant à son illustration musicale, et une épreuve de force pour celui qui ose rentrer à l’intérieur. Une œuvre à part dans la carrière de
Supuration, et dans la carrière du quatuor de Wallers. Les origines du mal tiennent toutes leurs promesses. A éviter de transmettre aux personnes fragiles et hypersensibles.
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