Le casse-tête
Supuration, brouilleur de radars, torpilleur de styles, le groupe, à l’entame de carrière fulgurante, qui ne se laisse ni enfermer ni analyser, parce qu’il se fait un devoir de repousser ses limites dès le premier album, bref le cauchemar du chroniqueur. Vite du café et une clope, et surtout du silence. La ferme ! Il faut que je me souvienne, car je ne remettrai pas les pieds là-bas, jamais. Vous, oui, si cela vous amuse, mais moi, non. Tu sais combien de séances de psychanalyse cet album m’a valu ? Putain j’aurai sûrement pu racheter les droits de l’album avec ce que j’ai claqué, pour l’envoyer par le fond. Si j’écris dessus, c’est uniquement parce que cela fait partie intégrante de la thérapie, parce qu'entre-nous il faut être masochiste pour oser essayer de poser des mots sur un tel objet.
Lorsque
The Cube sort en 1993, estampillé « Reincarnate », renvoyant au label monté par le disquaire Underground Records et co-produit avec le label lillois Danceteria, l’âge d’or du death metal touche à sa fin. Non pas qu’en la matière, le style n’ait plus rien à proposer, Thresholds, Spheres, Focus, ou encore
Elements prouvent le contraire, développant une virtuosité technique et atmosphérique insoupçonnée. A l’intérieur, tous les espoirs sont encore permis. Malheureusement le public se laisse séduire par d’autres sons, et le death est en passe de retrouver une certaine confidentialité.
Les Français ont déjà fait évoluer leur formule en proposant cette fois un concept album avant gardiste dont le style reste encore aujourd’hui difficile à définir. Péché d’orgueil qui le rend à la fois puissant et subtile mais bien trop novateur pour que le public cède à son charme dès la première écoute.
The Cube est une œuvre captivante, que l’on s’attache seulement à la musique, qu’on se plonge dans les textes, ou qu’on reste fasciné par une jaquette qui renverse les codes du genre et de l'époque. Parce que
The Cube est à lui-même son propre étalon de mesure, il ne rentre dans aucune case, laissant sur le bas côté de la route une partie des deathsters habitués à un travail plus direct, dont les contours apparaissent mieux définis et plus accessibles. En flirtant avec la musique des 80’s, le gothique et la coldwave,
Supuration prend un virage inattendu et se forge un univers sans frontières où les styles s’entremêlent sans conditions, brouillant les pistes, transgressant règles et limites pour créer un monstre artistique d’une froideur et d’une puissance incalculable. Les fondations demeurent liées au metal extrême, le doom et le death metal, mais à partir de là le travail ne fait que commencer. Les frères Loez sculptent des atmosphères comme les souffleurs de verre à Murano, à la main, ferme, et avec leur souffle, divin, générant des formes qui ne se disent pas mais qui s’infiltrent, et dont la brûlure ne cicatrise jamais complètement. Musicalement,
Supuration surprend par son unité, un véritable tout se dégage de
The Cube, les instruments, les voix et les atmosphères demeurent, tous, au service d'un concept ambitieux et ne s'en écartent jamais. Techniquement, le groupe a progressé mais toujours dans le but de renforcer le concept, d'ailleurs le fait de ne pas percevoir de volonté personnelle de se démarquer au niveau des guitares ou des voix rend l'oeuvre encore plus hermétique puisqu'elle ne livre pas le cahier des charges attendu. Dès The Elevation, on se fait cueillir par une froideur brutale et mélancolique, puis nous voilà embarqué dans un grand huit émotionnel avec 138.JP.08, de véritables montagnes russes qui alternent avec une intensité constante des montées de riffs mélodico-hypnotiques enchaînant avec des descentes névrotico-vertigineuses surplombées d'un growl autoritaire. Mon Dieu que ces termes sont barbares, des hybrides aux relents psychiatriques. Mais où suis-je ? Qu’est-ce que j’ai fait pour en arriver là ?
Nous voilà suspendus entre les mondes avec
The Cube à la recherche d’une terre ferme pour nous reposer, une ligne mélodique rassurante, ou une accalmie bienveillante. Or
Supuration n’a pas la magnanimité de nous offrir un tel refuge. Tout n’est que noirceur et souffle glacé dans un univers rythmique où le soleil ne semble jamais se lever hormis peut-être le jour de notre mort. Et lorsqu'il pleut, ce sont des lames de rasoir tranchantes comme des riffs qui s'abattent sur nous. Pendant ce temps, l’errance qui nous étreint dans ce désert spectral s’apparente à un chemin de croix dans la vallée des ombres. Le labyrinthe qui est proposé à l’auditeur impose de s’attacher à un fil rouge pour éviter de ne jamais retrouver la sortie, mais lequel ?
Toutes ces émotions, qui nous traversent au cours de l’écoute, trouvent un sens lorsque nous nous mettons à parcourir les textes, et découvrons le concept qui anime
The Cube. En quelques mots, il s’agit du voyage de l’âme d’une personne suicidée dans le monde des morts, qui découvre qu’elle pourrait se réincarner (d’où le « Reincarnate » sur la jaquette arrière).
The Cube est et restera un album ultime. Il donnera lieu à deux suites, certainement complémentaires mais aucune n’égalera ce monstrueux chef d’œuvre. Si vous désirez vous essayer à quelque chose qui pourrait prendre des airs de
Supuration mais dans un registre encore plus lourd et suffocant, jetez une oreille sur l’album Chasmic Transcendance des finlandais de
Desecresy sorti en 2014, vous m’en direz des nouvelles.
J'aime beaucoup Still In The Sphere également.
Je regrette d'avoir moins suivi la suite de leur carrière, mais ces deux disques là méritent d'être remis à la lumière.
Un superbe album, ambitieux, soigné et terriblement novateur à l'époque de sa sortie!
A mes yeux, avec le MCD "Still in the Sphere", le meilleur du combo Nordiste!
Le +, les magnifiques solos des frères Loez.
Dommage que ces solos justement, sont complètement abandonnés dés l'album suivant...
Presque 20 ans après sa sortie (déjà!) et je prends toujours du plaisir à le glisser dans ma platine.
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