Mekong Delta, c'est avant tout l'un des précurseurs du techno-thrash, sous-style musical assez marginal apparu dans la deuxième moitié des 80's, et faisant la part belle à l'aspect technique des compositions. Du thrash d'origine, il en garde généralement la vélocité, en ajoutant breaks inattendus, cassures rythmiques, contretemps, et autres subtilités musicales. Le courant fut différemment perçu, en fonction de l'ouverture d'esprit du public, et de la difficulté d'appréhender ce type de musique par définition exigeant pour l'auditeur. Epiphénomène, il fut rapidement balayé au milieu des années 90 et n'a jamais rencontré un public large, en dépit de la créativité et de la qualité de quelques œuvres majeures, représentatives du mouvement (les
Coroner, "
Deception Ignored" de
Deathrow, ou les albums du catalogue allemand Aaarrg Records,
Holy Moses en tête, label spécialisé dans le style).
Mekong Delta, justement, fit partie de cette mouvance, avec le fabuleux "
The Music of Erich Zann" ou son petit frère "
The Principle of Doubt", amené par Ralph Hubert, leader artistique du groupe et du style. Auréolé au début de sa carrière par une aura mystique, avec des musiciens anonymes, cachés pour des questions d'appartenance à d'autres labels/groupes, et une musique empreinte de mélancolie classique et de technicité haut de gamme,
Mekong Delta baissa ensuite qualitativement à partir de
Kaleidoscope (1992), se noyant dans un méli-mélo de musique classique "metallisée" et aseptisée finalement peu digeste pour finir par splitter au milieu des 90's, à l'instar de ses voisins de style musical.
Reformé comme beaucoup au milieu des années 2000,
Mekong Delta sort "
Lurking Fear", plutôt réussi, mais sans plus, puis "
Wanderer on the Edge of Time" en 2010, plutôt raté et lorgnant vers un heavy mou, abandonnant ainsi ces racines thrash metal et sa virulence attachante et si spécifique. Quoi penser d'un troisième album post reformation, dans ce contexte ?
Etonnamment, et en toute humilité, j'annonce un excellent album de nos Allemands ! Peut-être un grand album, le temps le dira, les disques de
Mekong Delta ayant souvent besoin de temps pour être pleinement révélés.
Déjà, les racines thrash ressortent avec flamboyance, avec des morceaux majoritairement rapides (surtout en seconde partie d'album) comme à la grande époque. L'empreinte de la grande musique est toujours présente, bien intégrée dans la structure globale et la façon de jouer du groupe. Les instrumentaux, toujours prépondérants, apportent une plus-value réelle ("Introduction/Ouverture"), et renouent avec le plaisir d'écoute. Surprenant et bienvenu, surtout en rapport avec l'album précédent. La filiation avec le passé est ici pleinement réussie, on se prend même à rapprocher ce "
In a Mirror Darkly" des meilleurs moments du groupe.
Ainsi, si l'ombre des grands albums de la formation est bien palpable (notamment "Dances Of Death" qui s'en rapproche le plus), quelques éléments nouveaux ressortent également, comme si Ralph avait été ouvert à d'autres influences, parfaitement en osmose avec le propos général depuis toujours (
Dead Can Dance sur le début de l'émouvant "The
Silver In Gods Eye"). Furieusement véloce ("Hindsight Bias" par exemple), et renouant donc avec l'ambiance des premiers albums, le groupe bénéficie de l'apport mieux intégré de Martin LeMar et de son chant haut perché, mais pas trop, et suffisamment bien placé pour apporter sa musicalité à des morceaux qui ne manquent ni d'accroche, ni de flamboyance (le fabuleux "
Janus", typique du groupe). On ressort si ébouriffé de tant de plans, breaks, et autres interventions instrumentales, qu'une écoute, surtout distraite, n'est absolument pas adaptée à cet album, comme toujours dans ce style. Néanmoins, la musicalité est tellement présente, que ce peut être une bonne porte d'entrée pour le néophyte désireux d'expérimenter la chose.
Mékong
Delta ne rabibochera sans doute pas les réfractaires d'un mouvement qu'il a largement contribué à créer, mais il saura sans souci convaincre les adeptes des premiers albums du groupe avec ce "
In a Mirror Darkly" pétillant. Le triangle de la pochette retrouvé (clin d'œil au "
Dark Side Of The
Moon" des Pink Floyd), symbole du groupe (avec le violoniste désincarné - absent ici), l'ami Ralph a su aussi élever son inspiration au gré d'un ensemble de morceaux entraînants, complexes sans être compliqués, et avec l'aura mystique typique du groupe (ah, ces parties acoustiques et instrumentales dans "
Inside the Outside Of The
Inside", vous m'en direz des nouvelles). Fidèle à ses racines tout en conservant sa patte reconnaissable entre tous, chaque pièce ici présente possède sa propre identité, tout en formant un ensemble cohérent, et assez digeste finalement, pour l'auditeur attentif.
Après un
Hirax renouvelé avec son percutant "
Immortal Legacy", et avant, peut-être, un
Holy Moses à venir d'ici quelques semaines, c'est le second retour réussi des vétérans du thrash en 2014. Ca fait du bien !
16/20
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