Mekong Delta, c'est la noblesse du thrash. Sans aucunement discréditer l'ensemble de la scène historique, bien au contraire, force est de constater l'apport considérable qu'ils ont su apporter avec tout un concept basé sur une vision révolutionnaire d'un thrash enrichi par l'authenticité de la musique classique et renforcé par une technicité irréprochable. Véritable Ovni dans le paysage métallique, chaque album est un voyage transgressant avec beauté et nonchalance les frontières des styles musicaux. En cette nouvelle décennie, c'est cette fois un vagabondage à travers les temps passés et futurs que nous proposent les allemands avec
Wanderer on the Edge of Time.
Quiconque serait déjà à la base frappé par la sublime pochette du vinyle dont même l'intérieur est superbe et révélateur. Illustrant de manière très pertinente et esthétique l'album en montrant le subtil mélange entre classicisme et modernité, l'artwork n'en reste pas moins fidèle à l'identité de
Mekong Delta grâce à la présence de notre cher violoniste, instigateur privilégié et chef d'orchestre de ce doux amalgame. Œuvre réalisée par Eliran Kantor, l'artiste qui créa les artworks de
Lurking Fear mais aussi de bien d'autres albums comme The Formation of
Damnation de
Testament ou encore le tout dernier
Sigh,
Scenes from
Hell.
Dès la lecture de la tracklist, on peut augurer le côté très progressif de cet album. En effet, il suffit pour cela de s'apercevoir qu'il est construit à partir de 7 "mouvements" principaux assortis de nombreux interludes, d'une intro/ouverture et d'un finale. Au regard de ce constat, on ne peut s'empêcher de présager un concept album. L'écoute donnera raison à cette prédiction.
Effectivement, la conception de cet opus est structurée comme un Rondo, forme musicale spécifique basée autour d'une partie initiale principale et sur la mise en avant puis en retrait de certaines séquences mélodiques, sections séparées par des interludes mis en contraste. L'"Ouverture" prend par exemple tout de suite le contre-pied de la calme intro en envoyant une grosse décharge d'intensité. Autre illustration : l'"Interlude 1 : Group" qui reprend de la puissance thrash entre deux titres plus posés.
Autre aspect du concept : la trame de l'album qui reprend l'histoire de notre bon vieux violoniste qu'on avait découvert sur la chanson "Shades of
Doom" et qu'on avait laissé après l'album Dances of Death (
And Other Walking Shadows). Son voyage se déroule dans un monde dévasté par l'ignorance et la puissance de certaines institutions comme la religion et son ingérence dans la politique, mais aussi sur l'espoir reposant sur des bonheurs en apparence modestes.
La première écoute est comme toujours perturbante :
Mekong Delta a toujours été complexe à cerner. La montée en puissance est assez longue, car elle doit être en vérité considérée comme aussi intéressante que les différentes apogées. Le premier mouvement "A Certain Fool" est étonnement une semi-ballade tandis que "The 5th
Element" se base sur un riff calme et entêtant ainsi qu'un chant presque chuchoté et lourd. Un peu plus loin dans l'album, "Affection" joue sur un contraste perturbant entre une musique presque minimaliste, un chant un poil emphatique et l'apparition de choeurs. Toutefois, cette première appréhension ne sera que passagère.
Une fois ce stade atteint, les conclusions finales peuvent tomber et, après un break de 10 ans, il est inévitable de faire la comparaison entre les deux albums du renouveau : ce
Wanderer on the Edge of Time et son grand prédécesseur
Lurking Fear qui malgré son indéniable qualité, avait inquiété sur l'identité du groupe, de par des sons très différents qu'à l'accoutumée et une instabilité de line-up.
Concernant ce dernier problème qui avait presque fait annuler toute une tournée européenne, Ralph Hubert, bassiste historique et élément fédérateur du groupe, a pris le taureau par les cornes pour y remédier. L'effectif est donc complètement remanié par rapport à
Lurking Fear et est désormais composé uniquement d'artistes allemands pour plus de disponibilité. Autre changement : le label, Aaarrg Records remplaçant au pied levé AFM Records, ce dernier pâtissant sûrement des approximations de production de
Lurking Fear. Tout ceci engendra indéniablement un substantiel bénéfice : le fait d'avoir préparé loin en amont le terrain de ce
Wanderer on the Edge of Time en repassant par les bases, c'est-à-dire reconstruire un vrai groupe et non un ensemble de musiciens, semble avoir renforcé ce groupe qui transpire une cohésion retrouvée que j'espère réelle.
Les nouvelles recrues ne se font d'ailleurs pas désirer pour se distinguer. Martin Lemar se trouve être plus digne d'assurer une prestation vocale à la hauteur de la musique que son prédécesseur
Leo Szpigiel. Heureusement car sa présence est quasi-incessante. "A Certain Fool", sorte de ballade épique, nous permet d'évaluer les performances vocales rassurantes de Lemar, parvenant à faire passer agréablement le titre plus accessible du nom de "Affection", taillé uniquement pour lui.
Toutefois, c'est surtout au batteur Alex Landenburg à qui il faut rendre hommage. Lui qui a fait un passage chez les canadiens d'
Annihilator parvient tout en fixant justement le rythme à rester constamment insaisissable. "Mistaken Truth" retrouve ainsi une qualité technique de haute volée, grâce un riff thrash prenant et plus particulièrement par son jeu étouffant de batterie.
La paire Zimniak / Adam avait la lourde charge de conserver ce grain de guitare si spécifique, réelle marque de fabrique des germaniques. La mission est accomplie et c'est même par eux que le groupe travaille au corps ses auditeurs, via l'intro en guitares sèches qui nous plonge dans l'univers classique de l'opus, une même ambiance qui clôturera la fin de la première partie de cet album
Toujours dans l'analogie avec
Lurking Fear, la musique se révèle moins intense, avec moins de grandiloquence, pour un rendu plus modeste et travaillé. Il semble qu'il y ait eu une sérieuse introspection suite aux déboires vécus. Finie la bizarre impression d'entendre des semblants de sonorités électroniques poindre le bout de leur nez. Les grains des guitares sont aussi bien plus affûtés avec beaucoup moins de dispersions pour un rendu plus net et précis.
Comme le confie Ralph Hubert, là où
Lurking Fear était une création par la basse,
Wanderer on the Edge of Time est, comme
Kaleidoscope, une création par la guitare, et la différence est d'autant évidente qu'elle est flagrante. Ralph Hubert ne prend enfin les devants avec sa basse qu'à partir d'"Intermezzo", c'est dire son retrait.
Malgré toutes ces différences, on retrouve des sons du
Lurking Fear dans la seconde moitié de l'album, particulièrement dans "Interlude 4 – Group" qui, au-delà de sa redoutable efficacité, détonne de par ses sonorités bien plus modernes que les autres pistes.
Par contre, la griffe
Mekong Delta n'est pas passée à la trappe, on retrouve cet indéboulonnable thrash technique et mélodique mélangé au classique. La seule différence est qu'ils explorent encore un nouvel angle de pénétration d'un même concept, cadrant cette fois-ci mieux son sujet. Les ambiances exotiques alliées à une profondeur vocale sombre de "
King With Broken
Crown" illustrent cette nouvelle prise de vue.
S'il fallait le placer avec des critères musicaux dans la discographie, il s'approcherait plus du grand "
Kaleidoscope", ou plus au juste milieu entre le dynamisme de "
Kaleidoscope" et le classicisme mélodique très épurée du grandissime "
Pictures at an Exhibition". L'effet est renforcé par le fait que le "Finale" reprenne le thème de l'ouverture et même un peu de l'intro comme dans ce dernier, toujours dans cette idée de Rondo.
Les gros riffs se font plus rares, mais ils sont parfaitement amenés, ce qui en fait de vraies perles précieuses à déguster. Le thrash de l'opus est en quantité peut-être moins important mais il en est tout aussi indéniable de qualité. "The Apocalypt" est le vrai titre thrash avec un riff purement jouissif dès sa base.
Après toutes ces digressions, je crois qu'il n'est plus la peine de vous préciser que
Wanderer on the Edge of Time vend une nouvelle fois une bonne dose de rêves. Je conclurai tout de même par le fait qu'il s'agissait clairement là d'un album de reconstruction, et donc que si stabilité il y a, qui sait quelles merveilles nous attendent encore ?
De rien ;)
je suis fan depuis leur premier album et celui-ci me comble de bonheur.
A ranger avec "Kaleidoscope,The Music of Erich Zann et Dances of Death"
un petit conseil pour Bojart, fonce sur Kaleidoscope c'est un chef d'oeuvre, plus tu l'écoutes plus tu découvres la maitrise musicale de Mekong Delta.
Cela dit je pense qu'il faut impérativement l'écouter en entier, mis à part quelques grands moments - que tu cites - qui peuvent être pris séparément. Les morceaux se répondent, et les petits instrumentaux par exemple sont nettement moins intéressants à écouter seuls. C'est certainement le concept qui le veut, mais c'est aussi là que je trouve l'album plus faible. J'aurais plus tendance à l'écouter en faisant autre chose, histoire de me filer du punch.
Je regrette donc un peu de ne pas pouvoir rester plongé dans l'écoute, calé sur chaque morceau, mais l'ensemble est plutôt très agréable et certains passages parviennent quand même à me faire lever de mon siège. Et ça, c'est déjà pas mal !
14/20 donc, ce qui reste bien n'est-ce pas !
Avec ça, tu as le plus fin du thrash technique
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