Alice en enfer. Ce jeune personnage de conte qui découvre à travers les pires horreurs de notre ère le monde adulte, sa folie, sa furie, sa sauvagerie malgré le flot de couleurs qui traversent le terrier dans lequel elle sombre inéluctablement.
Jeune fille principale d’histoires d’enfants parmi les plus glauques jamais écrites, aux niveaux de lecture multiples, a également été l’influence majeure de nombreux autres artistes puisque Lewis Caroll a touché de nombreuses cibles.
Annihilator fait office de pionner dans la musique
Metal puisqu’il a en plus donné au personnage le nom de son premier album, justement intitulé "
Alice in Hell". Fondateur d’un thrash
Metal sortant des carcans américains du Big Four, le combo canadien de Jeff Waters créait déjà une musique plus mélodique, plus ambitieuse et dotée d’une richesse supplémentaire, notamment dans l’introduction d’arpèges originaux et de thèmes vocaux hérités de la musique classique.
Never Neverland et
King of the Kill ne firent que confirmer cet état de grâce mais les multiples changements de line-up (Waters aimant bien collaborer constamment avec de nouvelles têtes), le manque de liant entre certains albums firent qu’
Annihilator resta souvent dans l’ombre de ses aïeuls, à tort considéré comme un second couteau.
Néanmoins, l’antre d’Alice ne s’arrêta jamais et c’est presque de manière providentielle que Jeff trouva l’homme qu’il cherchait depuis tant d’années : Dave Padden. Guitariste de talent doublé d’un vocaliste monstrueux, voilà désormais dix ans qu’ils travaillent ensemble et qu’
Annihilator revient au plus haut niveau.
Schizo Deluxe avait surpris par sa violence et sa tonalité très moderne,
Metal avait alors déçu par son manque de créativité malgré une liste de guests affolante pendant que l’éponyme, voici trois ans, revenait à un thrash ultra vindicatif aux riffs monumentaux de technique et au chant arraché de Dave, qui marrie admirablement douceur et violence. Un album sur deux depuis
All for You ? Qu’allait-il en être de
Feast, arborant une Alice plus gore qu’elle ne l’a jamais été ?
Le constat est limpide après de nombreuses écoutes :
Feast enterre de la tête et des épaules les albums de ces dix dernières années et s’avère le meilleur opus depuis
Waking the Fury paru en 2002. Rythmiquement, Waters et Padden frappent très fort et vite puisque la vitesse d’exécution est toujours au centre des débats, alternée par une agressivité syncopée et d’intelligentes accalmies qui ne font que renforcer la puissance des phases rapides. Avec une nouvelle base rythmique basse/batterie, Waters a enrichi son répertoire pour livrer des parties acoustiques plus abouties que jamais et surtout un travail très important sur les ambiances, notamment vocales. Si Dave a prouvé depuis déjà quelques années qu’il était un incroyable chanteur polyvalent, il impressionne désormais dans chacun de ses registres (il est d’ailleurs, de l’aveu même de Jeff, le seul chanteur a assuré en live les parties lyriques d’"
Alison Hell" et "
The Fun Palace") et ose même chanter en clair sur l’intégralité d’un morceau que l’on pourrait considérer comme la première véritable ballade complète du groupe canadien ("Perfect
Angel Eyes").
Les titres rapides ne manquent néanmoins jamais à l’appel puisque "
Deadlock" est présent pour ouvrir le disque le plus furieusement possible. Un énorme riff rapide et sec fait office d’ouverture pour un premier tempo rapide sur lequel Dave chante d’abord avec stoïcisme et autorité avant de se montrer plus enfiévré et hargneux. La batterie de Mike Harshaw est saccadée et sèche au possible tandis que les soli s’enchaînent dans une virtuosité dont nous a habitué Jeff depuis tant d’années. Il est d’ailleurs l’un de ces rares guitaristes de son époque à ne pas avoir ramolli son jeu tout en ayant élargi sa palette d’expressions pour désormais pouvoir jouer sur de multiples tableaux.
Pour preuve, l’exceptionnel "No
Surrender" au rythme clairement funk qui voit se mélanger une introduction presque lounge sur laquelle s’abat un riff à découper au hachoir, affreusement lourd et intensément énorme. On y retrouve d’ailleurs le côté plus moderne et sensiblement hardcore d’un titre comme "
Plasma Zombies" (de
Schizo Deluxe) mais couplé à cette ambiance funky mais également un pont apocalyptique et narratif faisant de cette composition un ovni musical extrêmement intéressant. Les titres déjà interprétés en live s’acclimatent parfaitement au style du groupe, notamment l’incisif "No Way out" aux phases solistes toujours aussi lunaires où Dave propose ce type de refrain semi-mélodique dont il a le secret. Il en va de même pour le lourd et impitoyable "Smear Campaign" qui ouvre les derniers concerts.
Ce n’est cependant pas tout, puisque
Feast réserve d’autres surprises, entre justement "Perfect
Angel Eyes", "Wrapped" et son refrain complètement allumé ou encore le génial "One Falls,
Two Rise" de plus de huit minutes qui clôture de façon unique l’album. Débutant comme une ballade, Dave y chante initialement d’une voix très pure, symptomatique d’une prise de confiance encore plus grande, pour ensuite monter doucement en puissance. Un premier riff permet à l’intensité de monter, bien que le chant y soit toujours très mélodique (les mauvaises langues ne pourront s’empêcher d’utiliser le terme «emo»), avant qu’un second riff littéralement assassin ne vous cloue complètement à votre siège. La suite de la composition se veut sensiblement plus traditionnelle, bien que Waters se permettent de petites fantaisies guitaristiques inédites aux sonorités des plus intéressantes.
Si l’on ajoute à cet album déjà surpuissant un second disque des classiques ré-enregistrés avec le line-up actuel extrêmement bien fait (entendre "
The Fun Palace", "
King of the Kill", "
Alison Hell" ou "Ultra Motion" avec la voix de Dave est un grand plaisir, de plus avec une production énorme) et un packaging sincèrement sublime (quel artwork !),
Feast est l’album de la rentrée à ne surtout pas manquer pour les amateurs de
Metal au sens très large. Et pour être toujours sous l’effet de leur dernier show, ils sont plus en forme que jamais.
Feast or not to
Feast, what is your choice ?
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