Grorr

Jeune groupe en constante évolution, Grorr propose aujourd’hui avec son troisième album « The Unknow Citizens » un opus plus fouillé, plus mature, plus technique.
Rencontre avec Yoann, bassiste du groupe et membre originel, qui nous expose sa vision du groupe, de la musique et de la réalité du marché. Découverte.


[Par Eternalis]

interview Grorr1 – Peux-tu rappeler un peu l’histoire du groupe et des précédents opus « Pravda » et « Anthill » à ceux qui ne vous connaîtraient pas ?
Yoann (basse) : Gaël et Bertrand (guitare et guitare/chant) deux potes de lycée ont formé Grorr en 2005. Je les connaissais moi aussi du lycée, et j’ai pris le poste de bassiste après les avoir vu en concert. Pendant 2/3 ans on a joué avec des samples et une batterie électronique en live. On a sorti notre première démo (2008) sous cette mouture. C’est aussi là que l’on a commencé à travailler avec Gilles Lahonda qui deviendra au fil du temps une pièce importante de l’édifice puisque c’est lui qui assure le mix/mastering de tous nos albums. Cette année là, on a ouvert pour Lofofora et Eyeless dans notre ville. Eux aussi nous on conseillé de trouver un batteur (déclic)! En 2009 Jérémy nous rejoint. Il est de mon village (une centaine d’habitants) mais je ne le connaissais pas (gros coup de chance : il a le niveau). Son projet principal à l’époque, c’est Pottiin, un groupe bordelais qu’il a cofondé. Le temps de s’adapter, faire quelques concerts et composer, on rentre en studio fin 2010 pour sortir notre premier album (« Pravda ») en 2011. L’album est composé de vieilles compos mélangés à de nouveaux titres. On est dans une phase de transition entre notre « ancien » son et ce que l’on va faire plus tard. On parle de la vie des insectes en pensant fortement aux humains. En 2012 sort « Anthill », un concept-album narrant la vie d’une fourmilière des prémices à la chute. Pour l’occasion on a intégré des instruments ethniques à notre métal (et c’est quelque chose que l’on va garder). L’album est pensé comme un unique morceau de 45 mn, mais segmenté en 4 grandes parties et surtout des plages de 3-4mn qui sont de « vraies » chansons. Ce sont des chansons courtes, qui se suivent, s’imbriquent et forment un tout. Tu ne trouveras pas des plages de 5 minutes de solos ou autres. On cherche à faire la bande son d’un film qu’on ne voit pas, mais du coup les personnages, les lieus, ont des thèmes, des ambiances ou des rythmes attitrés afin de faciliter/guider l’imagination.

Dernier point : La place des guitares. Notre petit orchestre métallique est composé de beaucoup d’instrument et comme dans tout orchestre chacun a une fonction bien précise et un domaine dans lequel il excelle. Chez nous les guitares saturées font parties de la section rythmique avec la batterie, les percus et la basse. La section « mélodique » est composée du chant et d’instruments traditionnels.

C’est quelque chose qui nous est parfois reproché mais qui témoigne d’un vrai choix. Ce n’est pas de la musique de guitare (ou de riffs) et celui qui recherche ça va peut-être trouver que ça manque de richesse ou autres.



2 – Voici l’heure désormais de « The Unknows Citizens ». Que peux-tu me dire dessus ? Le concept est assez particulier puisqu’il découpe l’album en trois longs morceaux…
Le nom de l’album vient du poème de W.H Auden « The Unknown Citizen » qui décrit un personnage qui n’a pas vraiment laissé dans sa vie de trace positive ou négative, dont on connait l’histoire, mais dont on ne sait pas s’il a été heureux. Ce poème résume bien notre album où nous parlons des « sans visages », c'est-à-dire de tous les hommes qui font vivre le monde et qui n’y laissent pas d’empreinte. « The Unknown Citizens » est un album concept en trois parties bien distinctes (chaque partie bénéficie d’ambiances, instruments et couleurs sonores propres). L’ensemble fini par former un tout. Chaque vie est elle-même formé de 3 morceaux narrant 3 étapes importantes de la vie des personnages.

Il y’a le ”Fighter”, un ”poilu” de la première guerre mondiale. Après avoir combattu dans les tranchées puis contre ses propres démons il trouvera finalement la paix dans l’oubli et la mort.

Suite à la destruction par la guerre arrive la génération du ”worker” qui consacrera sa vie à la reconstruction et sacrifiera ses aspirations personnelle à l’héritage qu’il laissera à la génération suivante.

Et enfin le ”Dreamer” qui naît dans un monde en ”paix” et ”confortable”. Il se souciera donc de choses moins matérielles. Mais gare au retour à la réalité ...

Il y’a une sorte de fatalité dans chacune de ses vies. Où et quand, ils naissent détermine en grande partie ce que va être la trame de leur existence. Sont-ils heureux pour autant?



3 – Pourquoi ce choix ? The Worker, The
interview GrorrDreamer et The Fighter ? Je suppose qu’il y avait d’autres possibilités ?
Cela vient de notre civilisation. On trouve plein de traces dans l’histoire humaine de cette classification en 3 classes. Celui qui travaille, celui qui se bat contre l’ennemi, celui qui s’occupe du spirituel. On a imaginé pas mal de possibilités, mais au final, quand on a décidé de partir sur 3 fois 15mn, ces trois-là était évidents. Et puis ça se marie bien avec la chronologie du 20ème siècle …

4 – Musicalement, l’album est plus mature et dense, plus technique également. Comment avez-vous abordé la composition ? Est-ce qu’il y a plus de répétitions pour arriver à ce résultat ?
On a gagné en expérience depuis le temps et le travail effectué sur « Anthill » nous a beaucoup servi.

Il y’a eu pas mal de recherche pour définir le concept, mais une fois fixé, l’expérience aidant, on avance assez vite. On a gardé le même cadre : De longs morceaux composés de chansons courtes. Les instruments ethniques. Le rôle de chaque instrument dans « l’orchestre ». Mais on a décidé de mettre l’accent sur le chant et les mélodies. C’est le format de 15mn pour une histoire complète qui a rendu le tout plus dense. Pour la « technique », cela découle d’une volonté de ne pas se répéter et chercher de nouvelles idées. Mais cela ne sera jamais une fin en soi. Nous ne participons pas à ce combat-là (on respecte énormément les mutants qui peuplent la musique). On essaie déjà de faire des chansons qui « sonnent ».



5 – On entend sur « The Fighter » des orchestrations. Que peux-tu me dire dessus ? Comment avez-vous travaillé ces éléments nouveaux ?
Le Fighter est un combattant de la première guerre mondiale. L’histoire se situe en Europe, donc il était difficile de choisir des instruments japonais pour illustrer le propos. Il nous venait des images et des B.O. de film « hollywoodiens » en fermant les yeux. Du coup on a choisi de mettre des cuivres. La quasi totalités des B.O. symphoniques sont aujourd’hui enregistrées sur logiciels. On a donc composé une maquette, puis fait appel à un spécialiste de l’édition midi pour rendre le tout plus réaliste.

6 – On retrouve également des instruments traditionnels et des éléments ethniques sur l’album, chose que vous aviez déjà exploitée sur « Anthill ». Est-ce que c’est une façon de diversifier votre son ? Quelles sont vos influences dans le domaine ?
On va dire que cela fait parti de notre son. Ces instruments font voyager même en jouant quelque chose de très occidental et moderne. Mais on écoute effectivement de la musique traditionnelle (ou plutôt des gens qui on déjà fait un travail d’adaptation de celle-ci). Dans les influences, il y’a les musiciens d’Artus (qui collaborent avec nous) pour la musique occitane. Le travail de Jonas Hellborg ou John McLaughling qui ont construit un pont entre l’inde et l’occident. Zakir Hussaïn, Nusrat Fateh Ali Khan, John Zorn avec Masada, Bartok et puis ce qui nous tombe sous les oreilles …

7 – En parlant d’influence, celle de Meshuggah suinte et est très facilement reconnaissable…est-ce que ça ne vous gonfle pas d’entendre ça un peu partout ?
Un petit peu quand même. On est fan, c’est flatteur, mais à notre sens on a digéré l’influence et construit notre propre chemin. Comme avec Gojira, Tool ou d’autres groupes qu’on apprécie particulièrement.

Mais si le chef d’accusation c’est : Vous êtes accordé grave !! Vous jouez sur les polyrythmes avec une base de caisse claire en 4/4 afin que tout le monde puisse bouger la tête !! Alors oui on plaide coupable …



8 – Parle-moi du contrat avec votre label finlandais Vicisolum Records. J’ai cru comprendre que Franck Segard de Metallian n’était pas étranger à la signature …
Effectivement. Franck a chroniqué « Anthill » pour Metallian, et a décidé de nous filer un coup de main pour trouver un label. C’était une vraie chance pour nous, car quand on envoie son Cd chez un label on se retrouve vite noyé dans la masse. Là, les professionnels l’ont vraiment écouté. On lui doit vraiment une fière chandelle. Après Thomas, le patron de Vicisolum a aimé notre musique, et ne s’est pas forcément posé la question de sa « rentabilité ».

9 – Quel bilan dresses-tu de ces trois albums ? Ressens-tu une différence quand on parle de Grorr désormais ? P
interview Grorrlus d’opportunités pour les concerts ?
Ils correspondent tous à un stade de notre évolution. J’y vois une progression constante (tant en termes de musique, que de « notoriété »), et donc c’est très positif. On sent qu’à force le cercle des gens qui ont entendu parler de nous, s’agrandi. C’est sûr que quand tu accompli une démarche, (que ce soit une demande de chronique ou de concert). C’est plus simple quand ton interlocuteur a une petite idée de qui tu es. Mais bon, c’est pas pour ça qu’on va jouer au Hellfest ou autre. Le chemin est encore long, semé d’embuches et il faut avoir la chance de tomber sur les bonnes personnes …

10 – Le style que vous pratiquer, influencé par les Meshuggah, Fear Factory puis Textures, TesseracT ou Periphery a connu un énorme succès ces dernières années mais j’ai la sensation que la « mode » passe sensiblement, que moins de groupes émergent désormais. Qu’en penses-tu ?
C’est possible, je ne sais pas trop car je n’y prête plus attention. A un moment je découvrais un album par semaine d’un nouveau groupe qui jouait monstrueusement, mais j’ai fini par m’en désintéresser car je n’arrivais plus à faire la différence entre les groupes. Je suppose que d’autre on ressenti la même chose.

Il en ressort que même s’il est plus facile aujourd’hui de produire à la maison un album qui a un gros son ect … Se créer une vraie personnalité et se démarquer prend du temps et il n’existe pas de logiciel pour le faire. Et aussi, même si sur internet on a l’impression de voir beaucoup de groupe à « 8 cordes », il existe une vraie défiance des « professionnels » (au moins en France) et d’une partie du public vis-à-vis de ce genre. Je reste toujours assez surpris quand je regarde les affiches de festoche, du peu de représentation de cette nouvelle scène …

Pour nous par exemple, quand on nous catalogue « djent », 9 fois sur 10 c’est péjoratif. On a l’impression d’avoir attrapé une maladie honteuse (rires). Ca me rappelle l’époque du « néo métal » tiens !



11 – As-tu déjà des plans pour l’avenir du groupe ?
Le plan principal, s’est d’arriver à tourner un minimum. Et c’est beaucoup d’organisation. Si on a droit à 3 vœux, ça serait : Tourneur, Festoche, Nouvel Album. Après pour le seul secteur que l’on maîtrise c'est-à-dire la musique. Et bien oui, les plans sont là, et les idées arrivent. Maintenant comme tout projet non « professionnel » basé sur la passion, il est difficile de dire de quoi l’avenir sera fait …

12 – En tant que « jeunes » artistes, quel avis avez-vous sur la crise du disque et la difficulté (voir impossibilité) de vivre de la musique que l’on joue ? Qu’est-ce que cela vous inspire ? Achetez-vous de votre côté des albums ?
Nous, nous n’avons connu que ça : gagner sa croûte et faire de la musique pendant notre temps libre. Ce qui est flippant quand on y pense, c’est que non seulement on ne vit pas de la musique, mais que celle-ci nous coûte cher. Faire un disque peut être un gros investissement, faire des concerts aussi (pour une tournée faut ouvrir un crédit) ect… On nous a toujours dit : les disques ça ne rapporte plus rien, maintenant on se rembourse sur les concerts. Mais en fait, la plupart des concerts sont des fours financiers (je ne parle pas de machine comme le Hellfest). Les gens n’ont plus l’habitude de payer pour écouter la musique. Mais en même temps, ils se déplacent de moins en moins aux concerts. J’ai en tête des exemples de soirée ou la seule personne payée était l’agent de sécurité … Ce que ça nous inspire ? Si personne ne paie, personne n’est payé, et au bout d’un moment plus rien ne se passe.

Faire de la musique et la mettre en ligne sera toujours possible, donc je pense que le support physique va disparaître complètement (car trop cher et trop encombrant) et puis il va se passer encore plein de trucs que je suis curieux de voir (ou pas)! Des concerts streaming « à la maison » via un casque de réalité virtuelle car les déplacements de musiciens sont hors de prix ? (ce qui va compliquer le stage diving et autre wall of death …)



13 – Je laisse le mot de la fin …
C’est la réponse à « Achetez-vous de votre côté des albums ? » de la question précédente : Oui parce qu’on a connu les cassettes et les cd et que c’est dans notre culture. Mais ce qui aide vraiment les groupes, c’est de leur acheter des t-shirts !! Grrrroooooorr
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interview réalisée par Eternalis

3 Commentaires

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LeLoupArctique - 28 Décembre 2014: Interview très intéressante, surtout pour la question 10 sur le djent. La question 12 est très intéressante aussi. Du gros et bon boulot, merci !
Eternalis - 28 Décembre 2014: Merci ;) Celle de Renaud Hantson va être d'un autre acabit mais il faut que je m'y mette. Ca va être du taf' !
LeLoupArctique - 28 Décembre 2014: Tu m'étonnes ! Je l'attends de pied ferme cette interview :)
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