«
Requiem for the Indifferent sera l’un de ceux que l’on ne sortira presque jamais, coincé entre, il faut l’espérer, deux œuvres inéluctablement supérieures »
Il y a deux ans, la déception était palpable et entière.
Pas sans surprises, puisque le premier opus de
Mayan, sorti quelques semaines auparavant, avait déjà éveillé quelques démons, mais la marche cruciale de l’après-"
Design Your Universe" n’avait absolument pas été atteinte. Certes, le quatrième opus des Bataves d’
Epica avait élevé le niveau à un statut bien plus haut que précédemment, transfigurant une musique initialement presque uniquement épique (on se souvient de la majesté de "
Consign to Oblivion") vers un art soufflant le chaud et le froid, maîtrisant les braises d’une violence puisant dans le death metal technique et la fraîcheur d’un metal épique et démesurément symphonique. Dès lors, le retour en arrière vers une musique moins captivante, paradoxalement moins bien produite (Sascha Paeth, responsable de tous les albums d’
Epica, n’avait pas délivré sa meilleure performance cette fois-ci…) et surtout d’une mollesse affligeante, avait tôt fait de remiser cet album au placard en attendant un successeur qui permettrait de se faire une idée définitive sur les Hollandais, un peu trop habitués à sortir un album véritablement bon sur deux.
Dix ans de carrière.
"
The Quantum Enigma" est donc, en quelque sorte, un anniversaire et l’importance de ne pas se rater était encore plus forte, pression imposée par le groupe lui-même pour donner le meilleur de soi-même. La grossesse et l’accouchement de Simone Simons retarda sensiblement le processus, ce qui laissa le temps à Mark Jansen de délivrer en début d’année le monstrueux "Antagonise" avec
Mayan qui, à l’instar du premier opus en son temps, fut une espèce d’outil pour prendre la température. Mark semblait alors plus féroce que jamais, inspiré et puissant qu’il ne l’avait été depuis des années.
Seconde option de choix, peut-être même déterminante afin de s’offrir un nouveau départ, le groupe décide de ne pas rempiler avec Sascha Paeth et travaille avec Joost van den Broek, producteur que Mark connait bien pour leur passé commun chez
After Forever. Cette alternative, à l’écoute de l’album, ne peut qu’être approuvée tant le son d’
Epica n’a jamais été aussi puissant et intense, offrant une densité incroyable aux parties symphoniques et vocales, sans pour autant délaisser (comme ce fut le cas sur "
Requiem for the Indifferent" ou "
The Divine Conspiracy") l’épaisseur des guitares et l’impact sonore de la batterie. Simone et Mark sont donc plus présents dans le mix mais cela ne fait que renforcer la puissance générale de "
The Quantum Enigma", qui renoue clairement avec les idées de "
Design Your Universe".
"Originem" débute inévitablement l’album dans une trame très symphonique, sans préambule, et laisse sous-entendre que les chœurs seront plus énormes que jamais. La finesse des orchestrations, mêlées au côté énorme des voix, permet d’emblée de comprendre que les choses s’annoncent plutôt bien, toujours aussi mystique et dans un style que l’on reconnait inévitablement. Si
Nightwish ou Septic
Flesh possèdent un style symphonique reconnaissable entre mille dans le placement des orchestrations et la manière de sonner, il en est désormais de même pour
Epica, qui ne se contente plus de simplement poser un orchestre derrière sa base metal. Le déboulement de "The Second
The Quantum Enigma" rassure immédiatement sur la violence de l’album, Ariën étant en pleine forme derrière ses futs. Simone chante impeccablement, mieux que sur les albums précédents encore et semble avoir gagné en maturité, notamment dans les parties les plus lyriques. La double pédale martèle un tempo complètement endiablé et les riffs de Mark et Isaac Delahaye écrasent tout sur leur passage. Mark intervient sur un break bien plus lourd, aux chœurs liturgiques tout simplement divins avant qu’Isaac ne délivre un premier solo formidable de technique et de mélodie, afin de retrouver tous les éléments faisant d’
Epica un très grand groupe lorsqu’ils sont en forme. "
Victims Of Contingency" va même plus loin en imposant clairement la face la plus extrême des Néerlandais en livrant le titre le plus brutal de leur carrière. Un riff monstrueux, des orchestrations guerrières et un Mark se taillant la part du lion, simplement secondé par une chorale d’une intensité rare et une Simone ayant rarement été aussi juste entre ses parties medium et lyriques. Un blast beat et une montée symphonique en pizzicato n’étant pas sans rappeler
Mayan viennent tout détruire avant le retour de Simone qui, justement, apporte un équilibre nécessaire à cette violence rarement atteinte dans le metal dit « à chant féminin ».
Cette surpuissance,
Epica l’avait laissée sous-entendre en dévoilant "
The Essence of Silence", titre qui n’aurait clairement pas dépareillé sur le quatrième album du groupe. Les chœurs sur le refrain martelant «
The Essence of Silence » sont véritablement gigantesques, Simone n’a jamais paru aussi parfaite dans sa poésie vocale, puis Mark qui apporte indéniablement sa brutalité sombre, brisant le lyrisme de sa voix et d’un riff se faisant dès lors plus syncopé et saccadé. Le riff du break sera probablement un grand moment des prochains concerts, tellement parfait pour enflammer une fosse et démontrer qu’
Epica n’a plus grand-chose à envier à certains groupes extrêmes. On retrouve même parfois, comme sur "
Reverence - Living In The
Heart -", des parties solistes entre guitare et clavier que nous n’avions que très rarement entendues chez
Epica, Coen Janssen se cachant plus souvent derrière ses orchestrations que jouant comme un réel claviériste.
Les titres plus épiques, quant à eux, renvoient complètement le pourtant excellent "
Serenade of Self-
Destruction" à ses chères études, tant ils sont aboutis et travaillés. Dès que débute le titre track, on est surpris par le retour du mantra et de l’aspect ethnique de "
Kingdom of Heaven", mais un seul regard au livret suffit à nous faire comprendre que c’est fort logiquement que "
The Quantum Enigma" est la seconde partie du morceau de bravoure de 13 minutes présent sur "
Design Your Universe". On retrouve la même voix narrative, une trame similaire longue de 12 minutes malgré un aspect sans doute plus orchestral et lyrique et moins chevaleresque que la première partie.
"Sense Without Sanity - The Impervious Code –" est une autre grande pièce de 8 minutes, plus violente et virevoltante, dans un nouveau déluge d’éléments (j’ose à peine imaginer l’horreur qu’a dû être le mixage pour arriver à un résultat aussi clair et équilibré). Mark double même sa voix par des chœurs et Simone sur quelques passages, superposant ainsi complètement son timbre avec celui de sa partenaire et de la chorale.
Après l’épisode infructueux d’il y a deux ans, il est difficile de ne pas être subjugué par la différence de niveau, d’ambition, d’interprétation et de magnificence entre les deux albums.
Epica en fait des tonnes, comme depuis ses débuts, mais le fait si bien (et c’est sa marque de fabrique) qu’il est impensable de voir le groupe faire autre chose que ce qu’il maîtrise si naturellement. Tout juste, pour être tatillon, pourrions-nous reprocher la même chose que pour le dernier
Mayan, à savoir un album très long et quelques structures similaires sur la fin de l’album. Un ou deux morceaux auraient probablement pu être enlevés, bien que se séparer d’un titre comme "
Omen - The Ghoulish Malady –" pourrait passer pour un crime, tant de groupes rêvant de n’avoir ne serait-ce qu’un titre de cet acabit, Simone y démontrant une fois de plus son talent de plus en plus grand pour moduler sa voix et créer des lignes vocales de plus en plus justes (et ces chœurs, une fois de plus). En revanche, malgré sa beauté, la ballade "Kanvas of
Life" ne me fera toujours pas oublier la poésie d’un "White Waters"…
Epica signe une œuvre brillante, complète, démesurée et épique jusqu’au bout des ongles. Ceux qui recherchent l’authenticité dans le caractère minimaliste et intimiste de la musique peuvent d’ores et déjà abandonner. Le groupe n’a jamais été aussi symphonique et intense que sur "
The Quantum Enigma". Ce sixième album est le retour d’un grand groupe que l’on espérait ne pas avoir sombré dans le doute ou la facilité. C’est brillamment qu’
Epica nous prouve le contraire grâce à un album qui risque de marquer l’année, avec le retour en grâce de
Within Temptation et un nouveau
Delain des plus aboutis. Une année qui pourrait, si
Nightwish venait à sortir son nouveau disque, être une référence dans le genre…
Si je puis me permettre, je crois que tu as oublié "ans" au début de ton avant-dernier paragraphe ("il y a deux ...") ;)
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