"On entend par "chef-d'œuvre" [...], un ensemble de vers ou de lignes dont on ne conçoit pas qu'un seul mot puisse être remplacé par un autre."
(Marivaux)
Nous sommes alors en 1997, et le succès surprise de
Rhapsody aurait pu les inciter à prendre leur temps pour sortir leur second album, mais non. La bande à Luca semble vouloir sortir un second effort tant qu'ils ont l'attention du public. Ainsi, retour en studio, et dès l'année suivante, en 1998, sort "
Symphony of Enchanted Lands". Deuxième album studio de
Rhapsody.
Cet album s'inscrit dans une démarche tout aussi ambitieuse, mais moins technique, Luca ayant confié en interview que jouer en live les chansons de "
Legendary Tales" était parfois compliqué. Cet album est donc moins virtuose et plus symphonique. Les soli y sont moins complexes, et le groupe compense cela par une inventivité nouvelle. La première chose que l'on peut remarquer, c'est que la structure des pistes est beaucoup moins linéaire que par le passé.
Ainsi, les morceaux d'ouverture que sont "Epicus
Furor" et "
Emerald Sword" passent d'une introduction symphonique moins martiale, mais plus colorée et épique, à un
Power guerrier et optimiste comme le
Power nous on en a donné beaucoup. Mais "
Emerald Sword", comme toutes les chansons de l'album, a quelque chose pour se démarquer. Des petits détails que le groupe dissémine au cours des pistes, pour donner une identité à chaque morceau.
Pour "
Emerald Sword", ce sera son usage des cuivres, son refrain repris par un chœur sous stéroïdes, et son solo d'une simplicité incroyable, surtout en comparaison de ce que Turilli peut faire, mais d'une efficacité redoutable. Pour "
Wisdom of the
Kings", ce sera, son usage des cordes sur le pont symphonique, et ce jeu de réponses entre guitare et orchestre. Pour "
Wings of
Destiny", la ballade du disque, ce sera cette approche intimiste, comme une déclaration d'amour, une confession que le protagoniste ferait à la nature elle-même. Mais aussi ce solo de flûte, ce piano tout simple, et cette humble et belle harmonie sur le refrain, qui lui donnent sa couleur. Pour "
Beyond the
Gates of
Infinity", ce seront ces usages du synthé et ces guitares tranchantes qui souligneront l'atmosphère sombre du récit alors que le héros est confronté à une armée de démons.
Chaque chanson a quelque chose pour elle, et quant au groupe, il n'a pas seulement appris à être plus technique quand il le faut, comme sur "The
Dark Tower of
Abyss", dans lequel Luca retrouve ses racines néo-classiques, avec cet hommage à l'été de Vivaldi et ces soli virtuoses, non. Il aura aussi appris à être efficace et à savoir murmurer quand c'est utile, ou, en tout cas, à faire preuve de nuance quand c'est nécessaire.
Mais un chef-d'œuvre, et je crois que cet album en est un, est plus que la somme de ses parties. C'est une cohérence et une fluidité, choses que cette œuvre possède, à n'en point douter. Tout est pensé pour s'enchainer, pour ne jamais ennuyer l'auditeur. Ainsi, au guerrier "
Emerald Sword" suivra le plus folk "
Wisdom of the
Kings", puis l'introduction à "
Eternal Glory" qu'est "Heroes of the
Lost Valley", rien qu'une narration : le bruit des oiseaux, d'une source, une flûte, un clavecin, et une voix nous racontant la réalisation du héros ; la réalisation qu'il est un mortel parmi d'autres. D'autres ont tenté ce qu'il a tenté avant lui, et s'il peut compter sur l'aide de ces spectres du passé toujours assoiffés de victoires, cela veut aussi dire que tôt ou tard il les rejoindra.
Jamais l'album ne bégaie, jamais une chanson ne nous fait nous dire "Oui, je viens d'entendre ça." Le seul moment où l'on pourrait percevoir une répétition, serait sur "Riding the
Winds of
Eternity", avant-dernière piste de l'album, dans laquelle le groupe rejoue la carte de la chanson
Power ; après, il y a bien cette outro mélancolique qui peut surprendre, ce refrain plus intimiste et cette ambiance océanique au début pour que la chanson se démarque, mais c'est la première et unique fois que l'album m'a donné l'impression de nous offrir une piste de remplissage.
Mais même cette piste se rattrape, par la cohérence générale de l'album. Jamais l'évolution du personnage dont il nous fait suivre les aventures, n'aura été aussi claire, jamais nous n'aurons autant cette impression de début, de progression et d'accomplissement, ce qui est sans doute voulu étant donné que l'album se finit sur le protagoniste récupérant l'épée d'émeraude, objet légendaire doté de pouvoirs pouvant sauver son monde. Une histoire vieille comme le monde, mais racontée avec passion, et tout en ayant conscience, dans "
Eternal Glory", le héros réalise qu'il n'est pas le premier à faire ce qu'il a fait. Comme ni
Rhapsody n'est le premier groupe de
Power, ni Luca le premier à raconter cette histoire, plus qu'inventer, il est question de réinventer.
Cela donne un album parfois narratif, parfois calme, parfois épique, parfois intimiste, mais toujours d'une fluidité incroyable. Donner un côté organique à l'écoute et faire en sorte que les chansons s'enchainent a semble-t-il été l'une des principales préoccupations du groupe. Par la narration, par les ambiances non musicales (bruits de nature, de forêt, de montagnes venteuses, les bruits d'animaux), l'album parvient toujours à nous rappeler que nous écoutons une histoire, et que chaque piste nous fait reprendre à la suite de ce que nous avons laissé.
Et comment parler de cet album sans parler de "
Symphony of Enchanted Lands", la chanson titre qui conclue l'opus? Un monolithe de 13 minutes, passant par la chanson funéraire, la chanson guerrière, le chœur épique, la ballade au piano, le solo heavy-power ou encore le folk acoustique, tout en parvenant à conserver la cohérence musicale du groupe malgré toutes ces influences qui peuvent sembler antagonistes, le tout accompagné d'un Fabio Lione en pleine forme.
L'album est-il dénué de défauts? Encore une fois, non. Si on laisse de côté ce que j'ai déjà évoqué, il souffre d'un défaut, qui puise directement sa source dans ses qualités : son intention ne plaira clairement pas à tout le monde. Les narrations paraitront belles à certains, kitch à d'autres, ce "Peace and Love, Forever" qui conclue la chanson finale en fera sourire certains (comme moi), se moquer d'autres. Mais quand j'écoute cet album, même aujourd'hui, soit, bien des années après sa parution, je me dis que rien n'aurait pu en être changé, car il a des défauts, mais des défauts qui lui sont propres, des tares qui sont avec ses qualités comme les deux faces d'une même pièce, un tout indivisible qui constitue l'identité de l'opus.
Rhapsody (Of
Fire) fera moins Kitch,
Rhapsody (Of
Fire) fera plus épique, plus symphonique, plus émouvant, plus ambitieux, et parfois plus original. Mais jamais ils n'auront été aussi cohérents, fluides, précis, variés, et sincères dans leur démarche. Un produit de son temps auquel il ne faut pas demander d'adhérer au nihilisme des décennies qui ont suivi, un album incroyablement éclectique et pourtant cohérent, mais surtout, une œuvre consciente d'elle-même, de ce qu'elle veut faire, de ses limites, et surtout de ce qu'elle a envie d'exprimer : un appel à l'aventure, à la création, à l'accomplissement de soi et de sa vie.
Le côté "Neuneu" fait partie intégrante du truc la difficulté est de rentrer dedans, et puis au niveau consept et musical c'est très soigné donc pour moi ça passe, surtout celui-ci d'ailleurs.
Je suis une vrai poubelle de table des fois hein....
Sinon dans le même style je préfère Secret Sphere, beaucoup moins ambitieux dans le concept mais cest très accrocheur (album conseillé:A Time Nevercome).
Et oui! Une vrai poubelle!
Rhapsody n'est pas ce que je préfère, mais j'ai bien aimé cet album comparé au précédent.
17/20
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