"La hâte est la mère de l'échec."
(Hérodote)
Après cinq albums, un par an avec seulement une pause d'un an entre le second et le troisième, il était, je pense, salutaire pour
Rhapsody de lever du pied. Et c'est ce qu'il n'ont absolument pas fait.
Entre leur postulat comme compositeur pour la BO du Seigneur des Anneaux de Jackson, et le fait de revenir deux ans plus tard à peine, avec un album sobrement intitulé "
Symphony of Enchanted Lands II", autant dire que tout était réuni pour un retour casse-gueule. Ajoutez à cela le fait que la majorité du son de ce disque avait été pensé pour être la BO d'un film, avant d'être publiée en tant que
Metal-Opera, et le fait que le groupe ne revienne avec un album propulsant leur promesse de base à "On refait
Symphony of Enchanted Lands, mais en mieux." ; on peut dire qu'on partait mal. Surtout que le groupe semblait en avoir fini avec ce carcan qu'il s'était imposé jusque là, et avait l'opportunité d'enfin explorer de nouveaux horizons...
Pourtant on ne peut pas reprocher à la bande de ne pas avoir mis les petits plats dans les grands : un orchestre symphonique présent sur l'album, beaucoup plus imposant que par le passé, Christopher Lee, ainsi que tout une nouvelle équipe à la narration, une histoire qui quitte l'heroic fantasy pour la High Fantasy... Sauf que tout le reste ne marche pas, pas vraiment, pas assez.
Parlons déjà de l'ouverture de l'album : une narration de Christopher Lee, suivie de près par un orchestre symphonique en pleine forme, qui prend le temps de distiller moult leitmotivs qui seront repris par la suite, merci à eux. Puis Christopher après son annonce dramatique, certes kitch, mais portée par sa voix hors-normes, laisse place aux chœurs, magnifiques comme d'habitude. Et s'en suit "
Unholy Warcry." D'un point de vue symphonique tout est parfait ! En revanche pour ce qui est de la guitare, que rythmiquement celle-ci soit en retrait n'est pas un mal en soi, mais qu'elle en soit réduite la majorité du temps à un grattement en pizzicato à peine audible, tout juste un soutien rythmique, en est un. Déjà que même en temps normal,
Rhapsody n'est pas le groupe le plus innovant pour la rythmique, là on frise la parodie. Je me surprends souvent à compter les powerchords que Turilli laisse respirer dans la chanson tellement ils sont peu nombreux. D'ailleurs, on peut remarquer le même problème dans "Sacred
Power of Raging
Winds". Là encore, la rythmique ne semble être là quasiment qu'en guise d'arrière-plan, à peine audible, sortant parfois de l'ombre pour appuyer les chœurs, mais rien de plus.
Pourtant, le groupe parvient à sortir de ce cercle vicieux quand il le veut. Notamment sur "Erian's Mystical Rhymes (The White
Dragon's Order)", piste sur laquelle le groupe se décide à ne pas constamment se cacher derrière les doubles croches, et nous sort donc l'une des rythmiques les plus mémorables de l'album. Mais la vérité est qu'à chaque fois que le groupe tente de retourner à une construction plus power, la guitare se perd dans une bouillie de sonorités dont elle ne parvient pas à s'extraire, et ne parlons même pas de la basse, qui, sur la même piste, à beau tenter le solo pour nous rappeler qu'elle existe, est à peine audible, et encore moins marquante. Peut-être aurait-il fallu constamment ralentir le tempo et plus chercher à être marquant que puissant, pour que cet album trouve son plein potentiel? (Quelqu'un à dit "
Triumph or
Agony"?)
Cet album souffre également de deux pistes ressemblant à s'y méprendre avec deux des succès passés du groupe. D'une part, "
Never Forgotten Heroes" ressemble énormément à un "
Wisdom of the
Kings" qui aurait troqué ses violons folk contre un orchestre, plus ambitieux mais tellement moins généreux. Quant à "
Dragonland's Rivers", tout cela ressemble à un "
Forest of
Unicorn" sans toute l'émotion que le groupe avait mise dans cette composition à l'époque.
Dans l'ensemble, la production ne laisse de l'espace qu'à Lione, qu'aux orchestration et soli de Straropoli, ainsi qu'aux soli de Turilli, tout le reste n'est audible que quand le groupe prend la peine de ralentir, ou de se calmer.
Mais qu'y a-t-il pour sauver cet album? Heureusement beaucoup de choses ! Déjà la maestria des trois musiciens dont j'ai parlé plus haut : Lione avec sa maîtrise de l'intensité, Staropoli et Turilli pour leur force de composition et leur dextérité, surtout les soli de Turilli, variés, certains tout simples, ça faisait longtemps. Ensuite? Son incroyable ambition symphonique ; jamais un album de
Rhapsody n'aura été aussi loin dans la démesure musicale, l'orchestre, les chœurs n'ont jamais été aussi brillants et épiques. Et comme je l'ai dit, dès que le disque ralentit un peu, on se rend compte du potentiel qu'il possédait.
Ainsi, "The Last
Angel's Call", plus proche d'un mid-tempo, prend le temps de construire sa rythmique et tire son épingle du jeu, tout en jouant de son côté plus immédiat ; "Guardiani del Destino", en plus de définitivement installer la tradition de la ballade en italien sur les albums de
Rhapsody, se trouve aussi être une vraie piste à l'ambiance et à la construction très réussies, avec des couplets murmurés et un refrain dantesque de puissance. "Shadows of Death", lui, est l'un des rares moments où l'album parvient à être à la fois un album de
Power et un album de symphonique, trouvant un équilibre (presque) parfait entre les deux sons. Sans oublier "
Nightfall on the
Grey Mountains" où le groupe à nouveau prend le parti de ralentir pour laisser son
Metal symphonique s'exprimer.
Et comment ne pas citer "
The Magic of the Wizard's Dream", cette ballade mélancolique et poignante, démarrant sur un piano tout simple, avant que Turilli et Staropoli ne nous envoient dans la tronche toute la force dont leur composition est capable? Et je ne parlerai même pas de la version où Fabio est en duo avec Christopher Lee ; allez l'écouter, si ce n'est pas déjà fait.
Pour le reste, l'album grouille de compositions folk, d'un travail d'acteur, kitch ou génial selon les points de vue comme toujours, quoi que son côté plus ambitieux, lui retire une partie de son charme.
Comment décrire "Symphony of the Enchanted Lands II"? Comme un album qui a chassé deux lièvres, pour en attraper un de justesse, et laisser lamentablement filer l'autre, mais qui a le mérite de propulser la puissance de composition de
Rhapsody un cran au-dessus de ce qu'elle était avant. Certes, le groupe aurait dû comprendre que la logique de composition d'un
Power pur et dur n'aurait pas dû s'appliquer sur un tel son, et inventer, innover, s'éloigner des rythmiques implacables et plus se laisser aller à du mid-tempo, ou à des choses moins conventionnelles pour eux ; ou, dans le cas contraire, laisser en retrait ce son symphonique pour accorder aux guitares l’espace pour respirer. Mais au vu de ce que le groupe nous a livré, si cet album est un terrain d'expérimentation intéressant, il n'est malheureusement pas le successeur à la symphonie des terres enchantées qu'il prétend être.
Après je pense que c'est une question de sensibilité. Certains sont plus sensibles à la fibre grandiloquente, dramatique de cet album, d'autres au côté plus entraînant et épique de Triumph Or Agony.
Je suis d'accord cependant sur le nom très "mercantile" de l'album. Cependant on peut quand même trouver une certaine cohérence entre ces 2 albums (SOEL 1 et 2). une cohérence certes pas conceptuelle (et c'est dommage, car c'est bien l'un des points forts du groupe), mais musicale. J'ai en effet l'impression en réécoutant leurs albums, que ces 2 là sont ceux où le côté symphonique est le plus mis en avant. Il était cependant alterné sur SOEL1 avec des morceaux plus épiques (Emerald Sword, Eternal Glory), alors qu'ici on reste totalement dans le grandiloquant, le côté métal se voyant laissé en retrait. D'où le fait que ceux qui appréciaient cet aspect sont ici déçus.
Mais cet album n'est pas parfait, même quand on apprécie sa teneur. Pour moi il traîne en un peu sur la fin, il peine à se renouveler et les morceaux deviennent moins marquants.
La pochette est par contre ma préférée du groupe et reflète bien l'album. Pas de violence, pas d'action sur celle là, mais un paysage fantastique, surmonté d'un dragon (faut pas oublier le dragon quand même).
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