Avez-vous déjà senti le souffle de la Faucheuse descendre le long de votre cou ? Connaissez-vous ce frisson glacial qui part soudainement du haut de la colonne vertébrale pour en un éclair fondre vicieusement sur les muscles fessiers qui se serrent alors instinctivement comme si, et c'est le cas, notre dernière heure allait arriver ?
Quant on entrevoit que cette fin, en plus d'être imminente, va également donner dans la violence et la douleur et que ce sera bien fait pour notre gueule, je peux honteusement vous le confier : la Musique qui est pourtant notre principale raison d'exister devient alors bêtement le cadet de nos soucis.
C'était au début du printemps 1998, c'était la fin d'une matinée tranquille passée à sécher mes cours de fac en naviguant dans Reims à bord d'une R5 TL-1984, affectueusement surnommée Lemmy-mobile... Son propriétaire avait effectivement eu l'idée très drôle de coller à l'arrache sur la lunette arrière une photo pleine page du visage particulièrement patibulaire de Mister Kilmister apparaissant sournoisement derrière le nuage de fumée de sa Marlboro. J'attendais donc sur le siège passager défoncé en fumant paisiblement une cigarette avec mon pote Axel dit "Suédois" que le feu rouge du
Boulevard Leclerc verdisse, quand... la voiture qui nous suivait a klaxonné. Peut-être parce que nous n'étions plus à un cliché près, ou bien trop entraîné par le groove de ce nouveau
Motörhead qui sortait à plein volume du coffre pitoyablement équipé d'un caisson basse premier prix, notre réaction fut en tous cas sans appel. Deux majeurs tendus bien haut sortirent promptement de chaque côté de la voiture. Et histoire d'appuyer un peu notre propos, Axel stationna devant le feu une demi-minute pour bien montrer aux deux costards-cravates que nous n'étions pas particulièrement en retard.
Nous sommes repartis. On se disait en baissant le volume d'un poil qu'après quelques écoutes, c'était peut-être le son de guitare redevenu très Rock qui marquait le plus ce nouvel opus.
Exit la distorsion
Metal des furieux "
Bastards" et "
Sacrifice" : le virage plus mélodique amorcé sur l'admirable "
Overnight Sensation" se concrétisait donc par un retour aux sources et une production "Roots", sans fioritures, toujours signée Howard Benson. Et puis, on ne pouvait que tomber d'accord sur l'excellence du grand Michael Delaouglou, alias Mikkey Dee, incontestablement à l'honneur sur ce quinzième full-length, propageant au delà de son jeu un enthousiasme exubérant, imprimant une banane binaire communicative sur le très Rock'N'Roll opener "Love for Sale", l'éponyme décontracté "
Snake Bite Love", ou encore l'entraînant "Don't Lie To me" et ses chorus 50s . Tiens, la bagnole des Hommes Pressés est toujours derrière nous.
Certes, me disait Suédois, il y a comme toujours chez
Motörhead non pas des merdes, mais des titres passe-partout, à l'image de "
Night Side" ou "Desperate For you", qu'on oublie sitôt le disque rangé... Certes, certaines compositions sont des copies carbone de morceaux plus anciens : "
Assassin" ne peut qu'évoquer "
Sacrifice" chez le connaisseur, et le couplet de la speed "Take The Blame" rappelle forcément "
Burner" et sa rythmique mitraillette, le côté sombre en moins, et un break psychédélique inattendu en bonus ! Mais le plaisir est intact... Putain, me disait Suédois en fixant son rétroviseur... Mais ils sont encore derrière nous !
Une coïncidence certainement; écoute plutôt la perle du disque, la singulière "Joy Of Labour" qui commence sur un riff groovy désarmant pour enchainer sur un pont mélodique prodigieux durant lequel la ligne de chant de Lemmy touche au divin : "Do you want to see right through the devil's eyes? You must have seen the ground where they all stood before... I was a young man then, I was a young man then, spending my time on the killing floor"... Si vous connaissez le titre, vous l'aurez en tête en relisant ces lyrics, et vous vous rappellerez également de l'émouvant solo de Phil, court mais intense qui clôt le titre magistralement. Je dis Phil, mais rappelez vous qu'à cette époque Campbell, non sans humour, ne mettait plus son nom dans le livret, et qu'un symbole foireux le représentait, faisant référence à Prince / The Artist Formerly Known As Prince... Je t'assure, Axel, j'étais mort de rire en décortiquant le livret car il y prend le pseudonyme de "The Artist Frequently Seen
Down The Liquor Store" !
Mais Suédois s'en foutait de "Joy Of Labour", il s'en carrait également complètement que je lui fasse une tirade sur "
Dead And Gone", ballade fort agréable dans la lignée des plaisantes "
Don't Let Daddy Kiss Me" ou "I Ain't No Nice Guy", désormais typique du gang de Lemmy. Suédois était devenu blanc, car les deux types qui nous suivaient, que nous avions à peine entrevus et certainement inconsciemment pris pour deux cadres lambda avaient maintenant enfilé deux paires de Ray-Ban et des gants en cuir, et que dans le rétro nous pouvions distinguer une batte de base-ball dans les mains du passager, et surtout un rottweiler au visage aussi inexpressif que ses maîtres qui passait sa tête entre les deux sièges. Incrédule, je me retournai un instant les yeux écarquillés : l'un des deux Blues Brothers me fit un sourire affable en se passant doucement l'index sur la gorge. C'est à ce moment que j'ai cru me chier dessus.
"Je pense à la mort, tu sais elle est si proche que je la vis dans ma tête"...
Aussi surréaliste que cela puisse paraitre, nous étions apparemment tombés sur les Vincent
Vega et Jules Winnfield champenois, ou quelque chose dans le genre, et ces brutes épaisses avaient dû décider de donner une leçon aux deux petits merdeux impolis que nous étions incontestablement. Je ne sais plus si nous avons coupé le son dans la panique du moment, mais nous n'avons certainement pas eu l'occasion de deviser sur l'agressif "Dogs Of
War" et ses chœurs martiaux qui renvoient eux aussi au passé du Bombardier ("
Deaf Forever" sur "
Orgasmatron"), tout occupés que nous étions à nous taire en serrant les dents, à contenir les lavements rectaux qui menaçaient d'inonder la Lemmy-mobile, et surtout à conduire bien trop vite en prenant des virages serrés dans les petites rues rémoises dans le but de semer la voiture des psychopathes.
Après une dizaine de minutes longues comme l'éternité, mon brillant pilote grilla un feu rouge et traversa l'avenue de Laon comme un dingue, klaxonné par quatre files de voitures qui avaient dû piler devant sa R5 incontrôlable, et cette ridicule course poursuite prit fin. Traumatisés, nous nous garâmes à dix minutes à pied de l'appart de ma copine chez qui nous allions bouffer de peur d'être localisés, et Axel, en sortant de sa caisse, arracha la photo de Lemmy de la lunette arrière, imaginant certainement sur le moment que la bagnole serait méconnaissable, genre repeinte ou ayant changé d'immatriculation... Ce fut la fin de la Lemmy-mobile, et le début d'une ère plus civique nous concernant. Je crois me rappeler avoir fait traverser trois grands-mères durant la semaine suivante pendant qu'Axel se levait dans les bus pour laisser sa place aux dames (la voiture était camouflée dans son garage).
Malgré cette absurde aventure véridique, je prends toujours du plaisir à écouter ce "
Snake Bite Love", peut-être parce qu'il me rappelle que je suis moins con (ou plus vieux) qu'avant, mais surtout parce que je cherche à comprendre pourquoi ce disque est dans l'ensemble peu apprécié. Parce qu'il est moins bourre-pif que les précédents et les suivants? Parce que la recette des accords plaqués pendant le refrain servant une ligne de chant imparable mise en valeur par la dextérité du maestro Mikkey Dee est reprise sur chaque titre ? Parce que ce qu'il y a de plus difficile quand on joue du
Motörhead, c'est de ne pas confondre les morceaux ? Mystère... J'attends des révélations, et pas dans l'au-delà, maintenant que j'ai échappé à une fin épouvantable. De toutes façons, "Lemmy is Rock'N'Roll" comme disait une amie très chère.
Une véritable redécouverte que ce skeud pour moi. Je le trouve intéressant. Hyper varié (pour du Motorhead) mais un peu mou, bien produit, etc. La ligne de basse en intro du titre "Assassin", miam…. Zarbi ce morceau d'ailleurs par rapport au reste de l'opus. Et ces claviers Purple-iens sur "Take the blame", surprenant également. Et que dire de ce "Dead and gone" sur lequel Lemmy prouve une nouvelle fois qu'il est capable de faire passer de sacrées émotions avec sa voix toute rapée :-) Bref, beaucoup de très bons moments à l'écoute. un disque à l'image de sa chro : royal!
Ha ha, excellente chronique ! Je m’imagine d’autant mieux la scène que je suis de Reims et que je visualise parfaitement les endroits que tu décris ! Ca me rappelle une (més)aventure un peu similaire qui nous est arrivée pendant les vacances : quatre garçons pleins d'avenir, la vingtaine prometteuse, perfusés à la bière et au pastis avec des yeux d’albinos tassés dans une vieille R5 rouillée à 2h du mat’, la musique à fond et en train de chanter comme des gogoles les fenêtres grand ouvertes : des vacances entre potes quoi. On fait les kékés, on roule vite, et on dépasse une BM rutilante avec notre vieux tacot pourri. Grisé par notre succès, on klaxonne insolemment, on fait quelques coucous de la main et des sourires de glands tandis qu’un pote bien aviné lance un "Ben alors?" goguenard à destination de la caisse que l’on vient de laisser sur place. 15 secondes après, feu rouge : bien sages, on s’arrête, la BM arrive à notre niveau, les vitres teintées du bolide s'ouvrent et là, on voit quatre baraques en marcels, chaînes en or, bandanas, montagnes de muscles huilés, tatouages et gueules balafrées qui nous fixent avec un regard plus qu’explicite. Gros silence dans la R5, on entend le trublion déglutir, et on sent l’ambiance retomber méchamment. Notre pote au volant démarre au quart de tour sans attendre que le feu passe au vert et s’engage alors une course-poursuite avec ceux qu’on baptisera plus tard les « ganstas ». Heureusement que le conducteur connaissait par cœur les rues de la Rochelle ! Les lascars nous suivent et ne nous lâchent pas, et après une quinzaine de minutes à bomber dans le centre-ville, on finit par semer nos poursuivants, en tournant brusquement dans une petite rue à sens unique pas éclairée. Là, on éteint les phares, on se tait, on retient notre souffle, on se fait tout petit et on serre les fesses, c’est quitte ou double puisqu’il n’y a pas d’issue possible; d'ailleurs, pour le détail qui tue, on était tellement flippé sur le coup – et un peu défoncé aussi quand même - qu’on n’avait même pas remarqué que la musique était toujours à fond !
Finalement, les gangstas sont passés en trombe 20 secondes après, et l’histoire s’est donc arrêtée là, avec plus de peur que de mal avec une anecdote sympa à raconter aux copains et un super prétexte pour s’en renvoyer un en rentrant histoire de se détendre un peu et de trinquer à nos aventures ! :-D
Ahahaha, excellent Icare ! Comme quoi ce genre d'histoire est plus courant que je ne l'imaginais !
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