Amorphis, il n’est nul besoin de présenter ce groupe cultissime qui a très largement contribué à l’explosion du death mélo au début des années 90, avec notamment l’intemporel
Tales from the Thousand Lakes. Une petite page de rappel tout de même pour ceux qui prendraient le train en route : après
Elegy, troisième album de la formation, le combo finlandais se plaît à explorer d’autres univers musicaux, délaissant petit à petit son death rugueux et mélodique pour des sonorités gothiques, folk et prog. Les albums du combo se suivent et ne se ressemblent pas. Et même si beaucoup de fans de la première heure boudent
Amorphis, suite au virage plus mélodique et à l’abandon progressif du growl, on ne peut nier que chaque album du groupe a au moins le mérite de présenter une musique soignée et de qualité. Après ces albums plus mitigés à qui l’on reproche souvent un manque de puissance et une musique trop simple et accessible (Tuenola,
Am Universum et
Far from the Sun), les Finlandais marquent pour beaucoup leur grand retour avec la sortie d’
Eclipse en 2006 et l’arrivée De Tomi Joutsen au chant, qui injecte un peu de sang neuf chez un combo qui commençait à tourner en rond.
Skyforger, qui sort en 2009, est donc le troisième album de cette période Joutsen qui sonne comme le renouveau d’un groupe en perte de vitesse. Et après deux très bonnes sorties (
Eclipse et The
Silent Waters), on était en droit de se demander si
Amorphis allait continuer sur sa lancée ou retomber dans ses vieux travers. La galette s’ouvre sur le complexe et délicieusement progressif Sampo, qui reste pour moi l’une des pièces maîtresses de l’album. Le titre démarre par une ligne de piano mélodique et complexe, reprise par les guitares, et s’enchaîne rapidement par un couplet musclé à la rythmique entraînante soutenu par une voix chaude et puissante. On débouche rapidement sur un refrain somptueux emmené par des leads lumineux et une voix claire superbe. Des parties plus lourdes et typiquement metal viennent dès deux minutes dix épaissir l‘ambiance, avec un riff sombre et saccadé que n’aurait pas renié
Opeth. Et cette lourdeur doom death de toute beauté sera rapidement éclipsée dès trois minutes par un passage onirique et atmosphérique mené par un clavier enchanteur, des flûtes légères et cette voix claire toujours aussi juste et expressive. Le motif metal revient ensuite, introduit par un clavier plus sombre et mystique, pour un acme musical où émotions contradictoires et styles musicaux s’entremêlent en une explosion jouissive: riffs death, clavier sibyllin et hypnotique, solo bourré de feeling et growl caverneux et profond viennent cohabiter tous ensemble avec une cohérence bluffante pour venir magnifier ce titre. On retombe ensuite sur le refrain, qui va en s’intensifiant grâce à l’appui de la batterie qui accélère la cadence et du chant clair qui monte crescendo et se termine sur de longues notes pleines et claires pour bien marquer la fin du titre. En un peu plus de six minutes, Sampo nous présente un résumé magistral et imposant du cru 2009 d‘
Amorphis.
Les claviers sont toujours aussi présents, mais sont à mon avis utilisés plus judicieusement et ressortent nettement plus : moins centrés sur les soli, ils se contentent de placer quelques leads de piano lors d’intro et de courts passages atmosphériques qui viennent relever l’ambiance. De même, ils appuient parfois subtilement les refrains pour plus d’impact mélodique. Les riffs sont lourds mais toujours imparables et très prenants, d’une mélodicité subtile, et décuplent leur puissance sur les refrains, tissant une toile de fond sombre et envoûtante dont on ne soupçonne pas forcément l’impact à la première écoute. Il reste, bien sûr, ces arpèges de toute beauté, souvent en début de titres, et ces leads lumineux typiques du groupe, qui se fondent en des déluges de notes oniriques sur une rythmique massive, s’invitant tout au long de l’album pour notre plus grand plaisir. Parlons maintenant de la voix: ici, les lignes vocales sont tout simplement phénoménales et nous servent des mélodies complexes mais imparables et d‘une grande virtuosité. Elles ne sont pas toujours évidentes à retenir au premier abord (Sampo,
From the Heaven of My Heart), mais finissent invariablement par faire mouche, admirablement portées par une voix claire saisissante de justesse et de feeling. Certains refrains sont sublimes et entêtants, s’imprimant très rapidement dans un coin de votre cortex pour ne plus en sortir, d’autres, plus agressifs, sont portés par une voix plus rauque et hurlée mais sont toujours aussi efficaces. Le growl, plus sporadique, mais qui intervient tout de même sur une petite moitié des titres, est toujours aussi profond et caverneux, et la parcimonie des interventions gutturales ne le rendent que plus impressionnant.
Si, lors d’une écoute distraite, la musique peut sembler simple car plutôt easy listening, on se rend rapidement compte qu‘elle est bien plus riche qu‘elle n‘y paraît au premier abord, regorgeant de nombreux détails qui la magnifient. En fait, l’exploit que réalise
Amorphis sur cet album, c’est de réussir à faire de réelles chansons, avec une structure facilement identifiable, et des refrains superbes et entêtants, sans pour autant tomber dans le piège de la facilité. En rarement plus de cinq minutes, les Finlandais parviennent à construire des morceaux d’une densité incroyable, où de très nombreuses influences cohabitent avec une homogénéité parfaite, où les émotions se mêlent et nous chavirent, pour former des chansons accrocheuses et superbes, fourmillant de petites trouvailles ingénieuses.
C‘est bien simple, chaque piste prise séparément est excellente et possède son petit passage qui la distingue des autres (le refrain ébouriffant et addictif de
From the Heaven of My Heart, ces chœurs touchants sur
Silver Bride qui viennent rehausser l’intensité metallique de la fin du morceau, le solo de clavier aux forts relents psyché sur Sky is Mine suivi par un magistral solo de gratte gorgé de feeling, les riffs orientaux et lourds de
Majestic Beast, les flûtes folk qui entament paisiblement Highest
Sar, le riff épique et entêtant qui porte le morceau final, From earth I
Rose…, la liste est loin d'être exhaustive!). Ceci dit, mises bout à bout, elles forment un tout d’une cohérence étonnante. Le tout est à la fois mélancolique et énergique, parfaitement chiadé et contrôlé, avec quelques explosions parfaitement maîtrisées et une mélodicité de tous les instants servis par une maîtrise instrumentale irréprochable.
Et les défauts dans tout ça? Sincèrement, pas évident d’en trouver sur une galette de ce niveau. Le son est limpide et énorme, les compos sont toutes inspirées, même si on dénote peut-être une petite baisse de régime sur des titres comme My Sun ou Course of
Fate (et encore, je chipote), la musique reste originale et typique du combo.
C’est peut-être justement ce qui serait le seul point noir de cet album, le manque de surprise et l‘absence de prise de risque.
Skyforger ne sortant pas de nulle part, il va forcément piocher allègrement dans les éléments des albums précédents qui ont contribué à forger l’identité sonore du groupe, et à proprement parler, cet album n‘invente rien:
From the Heaven of My Heart fait immanquablement penser à
House of Sleep dans les riffs et l’ambiance dégagée, mais en bien meilleur, avec plus de détails, de changements de rythme et d’intensité. De même Sky is Mine rappelle immanquablement ce passage envoûtant de Under a Soil and Black
Stone à la deuxième minute. Ceci dit, le nouveau morceau est plus puissant, plus prenant, plus complet, en un mot, plus abouti. On ne niera pas non plus que certains passages font immanquablement penser à
Paradise Lost ou à
Anathema, mais cela fait désormais incontestablement partie de l’identité musicale du combo finlandais qui a depuis longtemps digéré toutes ses influences pour créer sa propre pâte.
En tout état de cause, on ne peut donc parler d‘une pâle redite des deux précédents albums.
Skyforger s’inscrirait plutôt comme une suite logique et magistrale, un prolongement magnifié des deux œuvres précédentes et un excellent condensé de la carrière des Finlandais.
En conclusion, on a ici un excellent cru d’
Amorphis, qui marie avec virtuosité l’agressivité et la lourdeur du metal à des passages éthérés et mélancoliques, précipitant l’auditeur d’une émotion extrême à une autre, et qui parvient à composer des chansons cohérentes, puissantes, accrocheuses et d’une mélodicité omniprésente tout en conciliant tous les styles chers au groupe avec un savoir-faire unique. A mon sens, l’un des meilleurs albums d’
Amorphis toutes époques confondues, ni plus, ni moins.
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