Il n'aura fallu que deux ans à
Enslaved pour décider de remettre le couvert après
Isa, album hors normes. Construire un chef d'oeuvre n'est pas tâche aisée, et il en va de même en ce qui concerne la conception de son successeur. Dans ce domaine,
Ruun s'en sortira avec les honneurs, même si l'on n'ira pas au delà du qualificatif de ''bon album''.
Quelques changements sont notables d'entrée de jeu au niveau de la production : le son est légèrement plus propre et travaillé, tandis que la double pédale marteau-piqueur d'
Isa se trouve ici plus camouflée. Le tout reste bien arrangé et on reconnaît la patte
Enslaved sans problèmes.
L'ambiance prend aussi une autre forme, quittant le côté ''vieille forêt en montagne'' pour partir vers un monde plus spatial, plus moderne. On le remarque dès l'apparition du riff d'Entroper qui lance à merveille le disque. Ici, pas question de se reposer sur ses acquis et de tenter une vaine reproduction de l'album précédent. La complexité de composition ayant été momentanément épuisée avec la création d'
Isa,
Enslaved ne se casse pas la tête et offre huit titres dont seulement un frôle les sept minutes. Ainsi, l'auditeur enchaîne les boulets de canon sans broncher et n'a pas le temps de se tourner les pouces.
Pas folles, les guêpes.
Path To
Vanir et Fusion Of Sense
And Earth sont le parfait exemple d'un enchaînement réussi : un mid-tempo entêtant au double riff une nouvelle fois magnifique, pour moi l'une des meilleures mélodies trouvées à ce jour par le groupe, suivi d'un morceau au rythme plus emporté, jouissant d'un très bon solo d'Arve Isdal (pardon, on dit Ice Dale maintenant!) et d'un refrain vraiment unique et écrasant.
Bref, deux des meilleures chansons de ce CD. Un panthéon qu'
Essence aura également le plaisir de rejoindre, nouveau mid-tempo plein d'émotions, dont le riff est couplé à une guitare sèche. On notera une utilIsation très intéressante des passages plus rapides (dont une trentaine de secondes de blast) sur ce titre, qui, au lieu de le rendre plus agressif, ajoutent un effet de dissonance hérité du black qui envoûte encore plus!
Ruun, titre éponyme, est un peu un morceau-test, qui permet au groupe d'expérimenter à l'aide d'airs et de rythmiques qu'ils ne s'autorIsaient jadis que frileusement.
Ruun, la chanson et l'album, traitent donc des runes, ensemble de 24 lettres constituant cet alphabet germanique ancien, antérieurement utilisé par exemple par les Anglo-saxons ou bien sûr les Scandinaves (le groupe Týr use de cet alphabet pour le lettrage de son logo). Chaque rune se voit garante d'une symbollique particulière et d'attributs spéciaux. L'album précédent se concentrait par exemple sur une seule rune,
Isa, synonyme d'unicité, et ayant un certain pouvoir sur la glace. Enfin, la racine indo-européenne (donc originelle) du mot rune (rùn) serait "mystère", ou "secret".
Voilà pour la petite histoire, qui saura faire planer sur ces deux disques une atmosphère mystique, taciturne et furtive. Passons à un sujet nettement moins sympathique : les bémols, car cette fois il y en a.
Le riff répétitif d'Api-Vat a très franchement un pouvoir lassant à la longue. Le morceau manque d'émotion et ne transporte pas, il est à peine sauvé par un solo pourtant une fois de plus magistral d'Ice Dale. Les cinq minutes de Tides Of Chaos sont encore moins justifiées (encore de la répétition) et le refrain, trop facile, nous rappelle tout à coup l'existence de cette touche ''piste suivante''. Dommage, car sur un album de huit chansons l'erreur a vite fait d'enlever une bonne couche d'intérêt.
Heureusement, la qualité des autres morceaux comble ce léger vide, ainsi que la prestation vocale de Grutle Kjellson toujours au top de son chant black, sans parler du magnifique final Heir To The Cosmic Seed (dont les parties de chant sont cette fois uniquement assurées par la voix claire et magnétique du claviériste Herbrand Larsen), à mille lieues de tout ce qu'
Enslaved a pu faire jusqu'ici, planant, absorbant, hyper mélodique et spatial (encore et toujours).
Ni plus ni moins qu'un bon album vous dIsais-je plus tôt.
15/20
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