Il faisait sombre. Perdu dans mes réflexions sur le nouvel album d’
Enslaved, j’errais de manière hasardeuse en ville, les fines gouttes de pluie perlant sur mon visage. (Puis je me les pelais un peu aussi pour tout vous avouer.) A ma grande surprise, en cette heure avancée du matin (ou de la nuit, ça dépend des points de vue), une petite bicoque à l’enseigne discrète était encore ouverte. Pourquoi pas après tout ? Je me glissais au comptoir et hélais le propriétaire des lieux (à la longue barbe un peu sale et aux tempes grisonnantes):
« Une pinte de blonde, tavernier !
- Bon alors déjà tu vas te calmer gamin et rester poli, t’es pas chez mémé. Puis c’est pas la peine de crier : on va bientôt fermer et y’a pu personne.
- Pardon monsieur, une pinte s’iou plait.
- J’aime mieux ça.
Dis-donc, t’en tires une drôle de gueule. T’as la tête de quelqu’un qui a écouté le dernier opus d’
Enslaved. Comment qui s’nomme déjà ?
- « E » ! Mais comment vous savez ça vous ?
- Ta gueule, pose pas de question, c’est pour la chronique, sinon ton intro tombe à l’eau.
- Ah euh, d’accord. Bon bah, oui je l’ai écouté.
- Et alors, y’a un truc qui va pas ?
- Disons qu’après 25 ans de bons et loyaux services, 13 albums allant du Black
Metal au Prog Extrême à tendance
Viking, le départ du claviériste/chanteur et un certain sentiment de tourner en rond malgré un «
In Times » vraiment réussi, je savais pas trop à quoi m’attendre, imagine ils nous faisaient une
Opeth..!
- Et du coup ? Accouche, j’ai pas toute la journée moi, faut que je range ce bordel et que j’nettoie les tables !
- Bon... »
Le grand
Enslaved est de retour. 14ème galette pour les Norvégiens, un nouveau chanteur/claviériste à bord, 6 titres, 8 minutes de longueur moyenne pour 50 minutes au compteur, et la 5ème lettre de l’alphabet en guise de titre. Non mais sérieusement, pourquoi E ? Et pourquoi pas me direz-vous ? Bah oui, c’est la fête quoi ! Moi aussi j’vais sortir un album et je l’appellerai Q et puis ça parlera de la Grèce antique, de postérieurs et de nich...
Hum, s’cusez pour ce petit dérapage. Je disais donc : E. Une référence à la rune « Ehwaz », représentée par un « M » en runique (d’où le M sur la couverture de l’album), et signifiant « Poney » (enfin, plutôt « Cheval » mais c’est kif-kif la même chose, on va pas se mentir). Un concept album sur le PMU donc, des génies ces Norvégiens. Personne n’y avait jamais pensé ! Retourne chez ta mère
Arjen Lucassen ! Et plus sérieusement ? La rune « Ehwaz » représente, symboliquement parlant, la confiance et l’entraide. En ce sens, elle renvoie à la relation entre l’humain et le cheval : une des plus anciennes (historiquement parlant) collaboration entre l’homme et une entité extérieure. Le concept de l’album tourne alors autour de la symbiose, des relations entre l’homme et ce qui l’entoure : entre les individus eux-mêmes, avec la nature, la sagesse, etc, pouvant être extrapolé jusqu’à
Odin et
Sleipnir, la boucle est bouclée (cf. une interview avec Mr Ivar Bjørnson lui-même).
Musicalement parlant, on retrouve sensiblement les mêmes ingrédients que par le passé et éprouvés particulièrement sur «
Riitiir » et «
In Times ». La production est parfaite (
Nuclear Blast et Jens Bogren obligent), puissante et aérienne, pas compactée pour un sou et rend honneur aux compositions et aux instruments. Que ce soient les guitares au feeling toujours aussi Prog et Rock 80’s, la basse, les nombreux arrangements, les chœurs, le mix est équilibré et ne lèse personne.
Tout au long des 6 titres de ce E, nous retrouverons donc le
Metal Prog’ Extrême aux influences «
Viking » des Norvégiens, ponctué de ces légères touches de psychédélisme, toujours un peu plus présentes. On retrouvera donc un feeling proche de ce que l’on pouvait avoir sur un
Vertebrae : des titres mid-tempo avec quelques accélérations bien senties, des riffs hypnotiques répétés à l’infini (Sacred Horse, Feathers Of Eolh par exemple), des solos psychés et décalés (l’intro d’
Axis Of The Worlds), et au final un esprit assez Rock, empruntant beaucoup à
In Times (
The River’s Mouth aurait pu figurer sur ce dernier avec globalement plus de chant Black que les autres morceaux, un rythme véloce et des chœurs doublés de voix gutturales).
En parlant de chant Black, les vocaux gutturaux de ce bon vieux Grutle m’ont semblés moins présents, laissant plus de place aux instruments, aux chœurs et au chant clair. En parlant du loup, le nouveau chanteur/claviériste remplit son office (et pas orifices, je vous ai vu venir bande de gros dégueulasses) à merveille, si bien que, pour être honnête avec vous, je ne savais pas qu’un changement avait eu lieu à ce poste-là avant de faire des recherches en préparation de ce papier... La voix du petit nouveau est donc bien semblable à celle de son prédécesseur et mise à contribution tout au long de ce E, notamment sur le morceau « Feathers Of Eolh » au chant clair uniquement. On gardera également en mémoire les refrains de «
Axis Of The World » ou le jeu de questions/réponses de « Hiindsiight » entre chant Black et chant clair (c’est quoi cette manière de doubler systématiquement les « i » les gars ?).
« Du coup, c’est juste la suite bête et méchante d’
In Times ? Rien de neuf ? » me diras-tu.
Non. E reprend la recette
Enslaved tout en développant l’aspect spirituel, atmosphérique du groupe et ce dès le premier titre : du long de ses 10 minutes 30, «
Storm Son » surprend avec une introduction étonnement longue et contemplative pour un morceau d’
Enslaved ; c’est uniquement après 6min 30 d’arpèges, d’ambiance ésotérique et nuageuse, d’arrangements en tous genre que le titre décolle et lance ses chœurs
Viking à l’assaut. De la même manière, « Feathers Of Eolh », en plus de son chant clair, propose un break à l’ambiance chamanique et éthérée, «
Axis Of The World » nous offre un break légèrement « noisy » évoquant de grandes étendues et puis vient « Hiindsiight ».
Vous en rêviez ?
Enslaved l’a fait. A l’instar de son compatriote
Ihsahn,
Enslaved ajoute une arme à son éventail d’instruments et vient achever ce E avec une longue complainte déchirante au saxophone (interprétée par Kjetil Møster et rejoint par Einar Selvik de
Wardruna pour le final du morceau). Oui mesdames et messieurs, du saxophone runique, vous avez bien lu. Ce final, aux influences shoegaziennes (le groupe évoque Slowdive comme influence) et aux chœurs éthérés et astraux, apporte de la diversité à la musique d’
Enslaved (déjà complexe et variée) et un vent de fraîcheur bienvenu.
E est donc, à mon sens, un des albums les plus contemplatifs d’
Enslaved. Avec de nombreuses inspirations, évidemment Prog (hello
King Crimson), Shoegaze mais aussi provenant de travaux plus personnels comme Skuggsjá, le groupe mûrit son propos et propose d’autres portes d’entrées, plus accessibles diront certains, à sa musique. Nous retrouvons donc l’essence même du groupe, moins direct, mais sublimée par une atmosphère, une âme plus présente que par le passé, amplifiant les sensations et les émotions, prenant aux tripes, apaisante, et surtout introspective. Un voyage intérieur. Un must-have dans la discographie du groupe (un peu comme à chaque nouvel album me direz-vous).
A noter que le remplaçant d'Herbrand Larsen n'est autre qu'Hakon Vinje, des excellents Seven Impale.
J'ai grandi avec ce groupe... Frost fut pour moi, une énorme référence a l'époque, depuis ils n'ont fait aucun faux pas, une baisse de régime avec Mardraum pour ma part, sinon depuis Monumension ils sont au top! Celui ci est trés prog, j'adhère complétement. merci pour ta chro. 17/20 execelent!
Bof ! Bof ! Une première partie sympa mais ensuite ça plane vers on ne sait où ? Le prog' oui ! mais point trop n'en faut ! A voir comment "UTGARD" va s'orienter car ici Enslaved est décevant, et pourtant j'adore tout du groupe, mais là j'accroche vraiment pas, trop contemplatif du coup, ça traîne en longueur.
@SEBGAS: étant donnée la direction affichée par les 2 premiers singles révélés, on peut dire sans trop se mouiller qu'Utgard sera dans la même veine que ce E. Après j'aime vraiment bien Homebound, même si on sent que c'est un peu "radio formaté", ça reste efficace et simple
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