Tu les sens vivre en toi. Grandir. Elles te rongent. Lentement mais sûrement. Elles gagnent quotidiennement du terrain, gangrènent ton âme. tu voudrais réagir, mais tu restes impuissant. Alors tu les acceptes.
La
Rage, la Violence, la Haine et la Colère.
Envie d'hurler pour te libérer, de flinguer sans plus te poser de questions, de frapper aveuglément jusqu'à ce que mort s'ensuive. De réveiller le Loup qui sommeille en toi.
Des sentiments légitimes auxquels tu te trouves aujourd’hui confronté de plus en plus souvent "grâce" entre autres aux merveilleuses avancées technologiques de notre société décadente qui ont réussi en quelques années à déshumaniser et déculturer toute une génération ; ou encore à la bêtise sans fond et l’incompétence de soi-disant professionnels qui transforment dans tous les domaines tes démarches les plus simples en chemins de croix sans fin. Oui, contrairement à ce qu’on essaie de nous vendre, plus rien n’est simple dans notre nouveau monde ; et tu règlerais bien ton lot d’injustices quotidiennes en faisant confiance à ton instinct le plus primaire... Oh qu'il serait jouissif de te laisser aller à l'écouter, cette voix sournoise qui te susurre insidieusement d’arrêter de parler pour fracasser la gueule de ton interlocuteur qui ne comprendra visiblement jamais ce que tu te tues à lui expliquer calmement depuis des plombes; cette voix qui prône la seule solution viable pour mettre un terme à la connerie, l'incompétence, la lâcheté, l'hypocrisie, la trahison.
La voix de la Colère.
Celle qui paradoxalement te permet de tenir.
Si Bernie la personnifie jusqu'en 1981 dans le cœur de beaucoup d'entre nous, son passage à "Champs Élysées" le 15
Octobre 1983 enterre les espoirs des derniers irréductibles qui voulaient encore croire en sa sincérité : déguisé en pingouin, fixant la caméra d'un saisissant regard de faux-cul oscillant entre conviction égarée et lover-attitude, Bernie laisse ce jour la France orpheline, prête à céder aux appels de pied de la barre à mine... Et l'attente sera longue, interminable... Car c'est seulement en Mars 1987 qu'arrive dans les bacs ce furieux "
Mise aux Poings" (labellisé
Dream Records et distribué par CBS), chef d'œuvre qui marque le retour de la Colère française, Colère incarnée par la voix enragée du stupéfiant Serge Pujos.
Pour comprendre le trauma qui engendre la naissance sanguinaire et salvatrice de ce troisième opus de
Killers, il est nécessaire de revenir en 1985, aux sessions d'enregistrement de «
Danger de Vie» dans le Studio
Campus du onzième arrondissement parisien. Bruno Dolheguy, leader du groupe faut-il le préciser, est absent ce jour de
Novembre où Didier Deboffe met en boîte les soli du second album de nos Tueurs nationaux, et ne découvre que quelques jours plus tard ce qu’il faut bien appeler un massacre en travaillant sur le mixage. En cause non pas les soli à proprement parler, mais le son de guitare (pris en direct de la pédale de saturation à la table de mixage) choisi par Didier et l'ingé-son Laurent Thibault, son qu’on pourrait vaguement rapprocher d’une guitare-synthé, voire d'une cornemuse saturée...
Si vous connaissez un tant soit peu le caractère entier des gens du Sud, vous imaginerez facilement les tirades poétiques qui ont inévitablement dû souffler dans les bronches du soliste… Didier ne digère pas les remontrances, et une ambiance pesante s’installe quelques temps dans le local de répétition alors que «
Danger de Vie» n’est même pas encore sorti. Elle ne durera pas bien longtemps : les quatre musiciens de
Killers abandonnent Bruno quelques semaines plus tard en lui laissant pour toute explication un post-it sur une table. Ne pouvant s'approprier le nom "
Killers" dont Bruno est dépositaire, Patrice Le Calvez, Didier Deboffe, Pierre Paul et Michel Camiade fondent un nouveau combo :
Titan.
A ce stade de l'histoire, j'abandonne les faits pour essayer de comprendre ce que pouvait ressentir Bruno en retirant un à un les couteaux qui lui avaient été plantés dans le dos.
Injustice, dégoût, solitude ? Colère ? Sans vouloir jouer les psychologues de seconde zone, on peut en tous cas le supposer après avoir pris en pleine face cette "
Mise aux Poings" qui décolle le papier peint.
Car là où d'autres auraient replié les gaules, vendu le
Marshall et la sono pour passer à autre chose en gardant toute leur vie un léger goût amer au fond de la bouche, Bruno a instinctivement serré les dents, pris une bonne cuite, rebranché sa guitare, affûté son crayon et passé quelques coups de fil... Ses potes du groupe bayonnais V.S.O.P. le rejoignent et c'est Serge Pujos qui s'empare donc du micro tandis que François Merle (futur
Manigance) assiste Bruno aux guitares. La section rythmique est désormais assurée par le tandem Miguel Caron / Philippe Borda.
Killers redresse la tête, renaît de ses cendres, plus fier et fort que jamais.
Sous la houlette de Bruno, galvanisé par cette Sainte Colère, ce besoin de revanche, cette envie de hurler qu'on ne l'enterrerait pas, la nouvelle équipe d'
Assassins compose rapidement huit nouveaux titres, qu'ils enregistrent dans la foulée en Décembre 1986 au Studio Couleurs d'Auvers-Sur-Oise (95) de l'ami Laurent Thibault, qui précisons-le, n'était pas n'importe qui : après avoir fondé Magma, ce musicien / ingé-son a entre autres bossé avec Iggy Pop, David Bowie,
Bad Company,
Alice Cooper,
Rainbow ou
MSG, excusez du peu... Et la production s'avère cette fois à la hauteur : brute, rocailleuse, pure. Parfaite. Thibault qui a pleinement compris l'essence de ce disque, à savoir une claque de bûcheron dans ta gueule, met évidemment en avant la performance ultime de Serge au chant; Serge qui pleure de la gorge, qui saigne des cordes vocales, qui donne bien plus qu'il ne peut, qui met ses tripes sur les sillons de ton vinyle pour un résultat absolument magnifique sublimé par les lyrics extrêmes de Bruno...
Mais le génie passe souvent inaperçu; et le mixage du duo Laurent Thibault /
Pascal Bodin est vivement critiqué : la voix serait trop présente et boufferait les instruments... Putain, on n'a pas dû écouter le même disque. Si Serge tient logiquement le haut du pavé, les guitares sont pourtant juste énormes, tout comme la batterie qui te martèle la tête. Et si la basse n'occupe pas sur cet opus, c'est vrai, une place prépondérante mélodiquement parlant, elle ramène la couverture à elle de temps à autre ("
Illusion" par exemple), et, loin d'être inaudible, assume surtout parfaitement son rôle crucial de rouleau-compresseur rythmique. Non, franchement, je n'adhère absolument pas à ce point de vue, bien au contraire, mais je dois être le seul, puisque Bruno ressortira cet album en 2001 en réenregistrant le chant et en le mettant plus en retrait au mixage. Je n'ai jamais voulu l'écouter.
Musicalement, les titres sont bien plus violents que par le passé, certains riffs s'inspirant clairement du Thrash, toujours cependant modérés par un fort côté mélodique
Hard/Heavy (un mélange savamment dosé qui restera d'ailleurs une constante chez
Killers). Et c'est cette violence particulière qui rend cette galette si profonde et savoureuse et qui en fait, vous l'aurez compris, mon album favori des basques. Alors que "
Fils de la Haine" (1985) et "
Danger de Vie" (1986) sentent bon l'adolescence, la génération Perfecto qui découvrait le
Hard sur des Peugeot 103; que "Résistances" (1989) et surtout le sidérant "
Cités Interdites" (1992) illuminent l'accomplissement du musicien; "
Mise aux Poings" est une tranche de vie, un moment unique, la réaction viscérale d'un Homme blessé qui sort les griffes. Son authenticité sauvage, sa brutalité palpable qui transpire bien au delà des enceintes pour toucher la corde sensible de tous ceux qui ont pu un jour nourrir des sentiments identiques reste un trésor incomparable à mes oreilles; en témoignent par exemple les perles "Rockstar Limite", "
Illusion", ou encore "
Seul" et son hurlement de Loup en intro qui me met toujours le grand frisson malgré un nombre incalculable d'écoutes.
Bien sûr, le disque n'est pas parfait; et on peut lui trouver quelques petits défauts... Certainement de par sa ligne de chant trop banale sur le couplet, et un refrain trop mélodique, voire gentillet, "
Les Fleurs Du Mal" ne tient pas complètement la route face aux sept autres compositions, et ce malgré un pré-refrain bien sympa. De même, la relative simplicité des soli et leur côté "candide" est un peu surprenant, surtout lorsqu'on établit un parallèle avec "Résistances" sur lequel la patte technique de Merle est omniprésente. D'un autre côté, un travail plus poussé sur les harmonies aurait certainement enlevé au disque cette spontanéité qui fait sa force; j'arrête donc ici mes inutiles élucubrations pour profiter sans plus réfléchir de cette œuvre poignante, mature et passionnée.
Alors pour ne pas céder à la tentation qui devient chaque jour plus forte de gifler ton collègue sans donner d'explications, de faire livrer une couronne mortuaire à l'artisan que tu attends depuis huit mois alors que tu l'as déjà payé, de corriger à ta façon le petit merdeux qui emmerde tout le monde dans la rue mais à qui personne n'ose rien dire, de faire un stock de chaux vive dans ton sous-sol pour tenir compagnie à ta pelle, ou simplement d'arrêter d'avoir les mains qui tremblent quand tu allumes la radio le matin pour écouter les informations qui sans que tu saches pourquoi t'évoquent une sodomie non consentie, un seul remède : la
Mise aux Poings. Mets la dans ta platine et prends de la distance, à l'image de ce rapace déployant ses ailes, immortalisé par le regretté Philippe Ducassou. On ne guérit pas de la Colère mais on parvient parfois à s'en servir.
Pour cet album en particulier il a été enregistré avec un nouveau chanteur Serge alors que tous les membres avaient quitté le rafiot pour former Titan... et moi je l'aime bien ce chanteur éphémère qui correspondait bien à ce Killers de transition.
Lorsque j'écoute "Highway to Hell" d'Ac/dc j'écoute les paroles de Bon Scott de manière phonétique, c'est à dire que seul compte le son des mots qu'il chante, et qui greffé à la musique des frères Young forment le morceau (que je n'ai jamais traduit, mais dont je sais grosso modo de quoi il parle).
Quand j'écoute "Antisocial" de Trust en plus de ce que je viens d'écrire concernant "Highway to Hell", j'écoute aussi les paroles de Bernie Bonvoisin de manière littérale (puisque je les comprends), d'où une assimilation des morceaux en français beaucoup plus difficile que ceux en anglais.
Sur l'album "Slowly We Rot" (1989) d'Obituary John Tardy ne fait que hurler des brides de mots (les morceaux ne possèdent aucun texte), et pourtant ça passe bien !
Comment cela est-il possible ?
Réponse : parce qu'on écoute ses vocaux de manière phonétique sans s'embêter à savoir ce qu'il chante (ou plutôt hurle).
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