S’il y a bien une chose à ne pas confondre avec l’Aviron Bayonnais, c’est son cousin et frère de sang, mais amical ennemi sportif, le Biarritz Olympique. A l’origine, le rugby fut importé dans ces deux villes du pays Basque par un Landais ayant découvert à Bordeaux ce sport de gentlemen joués par des brutes certes, mais respectueuses des fondamentaux et des règles de ce jeu pratiqué à quinze contre quinze avec un ballon de forme ovale. Les derbys entre ces deux villes distantes de quelques kilomètres donnent l’occasion aux porteurs des couleurs bleu ciel et blanc de l’Aviron de venir taquiner le cuir des Biarrots porteurs de la tunique rouge, blanche et verte aux couleurs de l’Euskadi.
Ce sport est affaire de conquête à la base.
Il véhicule aussi des vertus de camaraderie, d’humilité, de don de sacrifice et bien entendu de courage. Tout le Sud-Ouest respire au rythme des mêlées enfoncées, des mauls acharnés et des cadrages-débordements d’école. Eté comme hiver. L’éducation de chaque jeune garçon passe immanquablement par l’école de rugby du village. Doit-on voir dans la culture Basque des réminiscences de combat, de hargne et parfois de haine maitrisée en provenance du substrat rugbystique ?
Qui sait…
Quoiqu’il en soit, Bruno Dolheguy a grandi sur les terres verdoyantes et généreuses des environs de Bayonne. Dès son plus jeune âge, autodidacte fier et convaincu, il va entamer l’apprentissage de la guitare. Auditeur assidu de musique Rock, les anecdotes que Bruno nous conte sur son site lorsqu’il évoque les débuts de
Killers sont croustillantes. Ce sont les années de son premier groupe « Génocide », en hommage à qui vous savez, avec déjà Patrice Le Calvez au chant, mais aussi les années à écumer les bals de province. Ah les bals du week-end. Comme lui, j’en garde quelques souvenirs précieux. Lieux de rencontres, parfois amoureuses ou plus musclées, véritable creuset social et lieux de défoulement les plus habituels dans un pays humant l’air des années post soixante-huitardes. Dans le centre de la France, il y avait « Fréquence », jeune groupe qui reprenait un répertoire proche de celui que Génocide avait adopté et qui assurait plutôt bien.
Et oui, jeunes garnements rapides à la critique et aux jugements à l’emporte-pièce, à cette époque du début des années 80 les occasions de se divertir et d’accéder à la culture étaient moins immédiates que de nos jours. Il n’existait pas Internet (tout juste le téléphone, mais pas cellulaire), il n’y avait que trois chaines de télévision (avec déjà Michel Drucker en tête de gondole), les émissions de rock télévisées se comptaient avec une certaine facilité (une seule, « Les enfants du rock » sur Antenne 2), les salles de concert dignes de ce nom étaient faméliques (le POPB, à ne pas confondre avec le Biarritz Olympique Pays Basque soit BOPB, fut inauguré début 1984 tout comme le Zénith) et le pouvoir d’achat était déjà limité (surtout lorsque, comme votre serviteur, vous étiez fils d’ouvrier et fier de l’être).
Une seule solution donc : la persévérance et la flamme de la passion, seuls remèdes connus que l’on soit artiste ou fan pour étancher sa soif.
L’année 1982 fut celle de la création de
Killers.
Le line-up était complété par Jean-Marie Ducout à la batterie, Patrice Latapy à la basse et Didier Deboffe à la guitare solo. Les choses deviennent plus sérieuses et le groupe compose son propre répertoire en parallèle de la tournée dominicale des villes en périphérie de Bayonne.
Pascal Chauderon s’empare des baguettes et Pierre Paul prend le poste de bassiste. Ne parvenant plus à concilier les bals et la création artistique d’un répertoire,
Killers se concentre sur les répétitions et tente la chance à un tremplin rock sur sa bonne ville des bords de l’Adour en mars 1984. Pari gagné et en prime la possibilité de mettre en boite un 45 tours, objet si précieux pour percer enfin dans une France goûtant aux années Mitterrand.
Malgré les efforts consentis et l’arrivée en mai de l’ex-Airborne Michel Camiade au poste de batteur, l’essai ne sera pas transformé et les deux titres « Chevaliers du déshonneur » et « Au nom du Rock’n roll » ne sortiront finalement pas. Gorgés d’une expérience en studio riche d’enseignement, les cinq pistoleros continuent leur travail de composition et d’enregistrement de maquettes 2 pistes d’un matériel désormais plus conséquent. La montée à la Capitale s’impose donc, ainsi que son cortège de démarchages et rencontres en tous genres. Rentré au pays, Bruno reçoit un coup de fil de Madrigal qui leur proposait un deal sur
Devil’s records, pépinière gauloise de ces années pittoresques. Direction donc l’autre capitale, celle du Sud-Ouest, Bordeaux, et ses studios Carat où s’enfermeront les membres du groupe pendant deux semaines.
Le résultat s’apparente à une grenade dégoupillée, fruit d’un extrait de rage fougueuse enfantée par une bombe humaine à dix bras.
Le son de ce premier album manque d’équilibre par moment, mais la naïveté de certaines paroles, le chant divinement nasillard et yaourté de Patrice, la furie dévastatrice des guitares, la basse engluée mais terrassante lorsqu’audible et surtout le jeu ultra-speed de Michel Camiade et l’impact sonore des différents titres vous transpercent de haut en bas telle une torpille Basque ayant atteint son but.
Tout était réuni pour faire de ce premier opus un album de légende. Et ainsi fut-il.
Malgré deux petites sorties de piste, la déferlante de «
Fils de la Haine » fait penser à une charge d’un paquet d’avants All-Blacks.
Chacune des deux faces possède en effet son temps faible. A chaque fois, le bât blesse sur la naïveté des paroles et l’intention de distiller un hymne fédérateur qui manque de force de frappe au final. Manque d’expérience du haut-niveau peut-être. « Au nom du Rock’n roll » s’affiche sur un air Trustien mélangé à un riff AC/DC avec un refrain assez passe-partout agrémenté de chœurs horribles et d’un chant perce-tympan. Même le solo essaie de passer en force. Dominer n’est pas gagner. Comme au rugby il faut savoir concrétiser et la face 2 contient un « Heavy-
Metal » au chant presque inaudible. Cependant, la basse de Pierre Paul tabasse fort sur ce titre plus mélodique faisant encore penser aux grands frères Australiens, avec son mid-tempo servi par un beat de batterie très sec. Gardons cependant le charme désuet et la fraicheur adolescente de ces deux titres en mémoire.
Killers est avant tout un groupe qui fait parler son instinct et excelle lorsque la mèche consumée atteint le baril de poudre.
Pour le reste, le sentiment principal ressemble à celui que pourrait éprouver un arrière débutant sous un up-and-under botté par un ouvreur Irlandais dans un Aviva Stadium balayé par le vent et la pluie. Ça va chauffer au point de rencontre et ça risque de piquer fort…
L’ouragan débute sur une guitare en distorsion, un cri de bête puis riffing et frappe de toms achèvent une entrée en matière explosive. «
Fils de la Haine » vous colle au mur avec une attaque atomique de double grosse-caisse et un riff de guitare d’une violence alors inconnue en France. La fougue du groupe se cristallise dans ce morceau ultra-speed d’où émerge un chant décharné, à la pointe délicieuse d’accent du Sud-Ouest, atypique ou insupportable selon les goûts. La tonalité de Patrice le Calvez est l’un des chromosomes clefs de
Killers tout comme la démonstration de Michel Camiade derrière les fûts qui atteint des sommets de sauvagerie. La paire Deboffe-Dolheguy quant à elle envoie du bois sur la rythmique, le pont et l’outro, bave aux lèvres et toutes cordes dehors. « Qu’il s’appelle Juan, Ahmed ou Nordin, il sera toujours étranger, rejeté » comme le clame Patrice. La haine s’immisce insidieusement,
Killers la dompte et nous la délivre sur un plateau doré.
Le rythme infernal perdure sur « Pense à ton suicide » et son riff thrash-core renforcé par une association basse-batterie attelée comme deux deuxièmes lignes dans une mêlée fermée. Ça pousse fort dès l’introduction aussi grandiloquente que du
Manowar des grands jours. L’ami Camiade flirte avec le blast et le solo de Didier Deboffe, bref et incisif, vous fait l’effet d’un arrêt-buffet reçu de Thierry Dusautoir, avant une reprise de riff aboutissant à une orgie sonore totale. Le débit des paroles se met lui aussi au diapason de la ligne mélodique. Jouissif.
Et la finesse me direz-vous.
Killers n’est pas en reste.
Agile comme un trois-quarts aile, le groupe prend en contre-pied son auditoire avec un instrumental « Le magicien d’Oz » d’une excellente facture. Sur un riff à la
Anvil /
Raven, la basse vrombit avec chaleur et Camiade, costaud au combat de près, change le rythme sur un appel du pied et l’aération surfe désormais sur un riffing stellaire. Le travail des guitares, somptueux de bout en bout, regorge de puissance contenue et de mélodie avant qu’un roulement cataclysmique ne clôture les débats.
L’introduction martiale de « Rosalind » faite de vers déclamés et d’un doux arpège de guitare débouche ensuite sur une ballade heavy au chant plus posé passant de grave à éraillé. Cette histoire d’un homme pleurant sa fille condamnée de sorcellerie transpire d’émotion dégagée par le chant de Patrice le Calvez avant que le groupe ne hurle sa haine dans une outro rebelle et décibelisée à outrance. Titre magnifique à la sensibilité, à la rage et au feeling à fleur de peau, toujours en limite d’implosion.
Dernier exemple de travail d’orfèvre avec « Chevalier du déshonneur ». On entr’aperçoit quelques secondes un riffing schizophrénique mais le morceau repose finalement sur un riff aussi massif qu’un pilier droit. La partie de guitare se distingue autant sur la rythmique, fluide et puissante, que sur le splendide solo et les interventions libres de Didier Deboffe. Le chant parfois strident ne fait pas d’ombre à ce titre mélodique à l’interlude andalous et aux fondations basse/batterie solides.
«
Sacrifice » accélère la cadence sur un up-tempo plein de sève avec son riffing en cascade et ce chant à la limite du supportable mais au charme indicible. La grosse rythmique étouffe le solo comme un ballon dans une mêlée ouverte alors que l’accélération de fin de piste tient plus au chant qu’à la guitare proprement dite.
Bref et incisif, « Mercenaire » figure parmi les titres d’anthologie de
Killers. La superbe introduction de Dolheguy / Deboffe ne laissait pas présager de ce riff à nouveau thrash-core. Le refrain mélodique et le lead en toile de fonds de Didier Deboffe m’ont souvent fait penser à du Dutronc ayant muté tel Hulk sous l’effet d’une surdose de rayons
Gamma. Malgré les paroles incluses dans la pochette du vinyle, j’ai toujours compris et je perçois toujours « Mercenaire à
Paris, mercenaire à Pantin » alors qu’il faut comprendre « Mercenaire par envie, mercenaire par besoin ». C’est grave docteur ?
En attendant, «
Killers » termine le travail en proposant un brulot articulé sur deux axes, comme un talonneur empoignant ses deux piliers. La rythmique est tenue sur un jeu de toms couplé à une basse dominatrice et un riff angoissant et lugubre. Le chant guttural de Patrice le Calvez étonne par sa clarté d’outre-tombe. Puis arrive le lâcher de fauves, trop longtemps contenus. «
Killers,
Killers…. » et son refrain identitaire appuyé sabre au clair par un phénoménal Michel Camiade vous arrive pleine face. Le riff thrash-core démultiplie à nouveau la sensation de vitesse et de force alors que le solo ravage des tympans pris dans un maelstrom de décibels.
Killers avait sorti la machine à baffe bien connu des stades de l’Ovalie. La rage et l’énergie dégagée au travers des dix chansons de ce premier album donnent un cachet indélébile à ce qui restera une de leurs plus belles victoires. Leur bouclier de Brennus en quelque sorte.
Et pour en revenir au début de ce propos, la dédicace figurant sur la jaquette intérieure de ce tonitruant album, loin d’être naïve, mérite la réflexion : « dédié à tous les
Fils de la Haine en puissance… Puisse leur agressivité ne se manifester que pour le Heavy-
Metal ». Il suffit de changer le dernier mot par rugby et la boucle est bouclée.
Finalement, tout est question d’éducation non ?
Didier – mars 2013
Que la main de Dieu s’abatte sur toi
Et fasse qu’en un moment tu te consumes
Pour moi c'est un disque culte dans ce contexte. Et putain le groupe sur scène, il envoyait vraiment !
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