Suite à son départ du groupe
Theatre Of Tragedy, c'est dans un tout autre projet musical que
Liv Kristine poursuit son chemin, eu égard à son inscription au sein de ce sextet metal gothique et mélodique, notamment. Cet introductif album full length, produit par son mari Alexander Krull (
Atrocity), voit la petite sirène norvégienne déambuler avec élégance, un léger sourire en coin, sur une tonalité doucereuse et hypnotiquement aérienne. Au regard de la riche teneur des gammes atmosphériques du propos de l'opus, celui-ci semble s'annoncer d'ores et déjà comme les prémices d'un voyage musical au long cours pour le collectif. A l'histoire des pérégrinations du combo sur cette scène metal à chant féminin, déjà foulée par de redoutables formations, de nous donner raison ou bien tort.
Si ce ravissant paysage de notes gothiques peut évoquer
Xandria sur le plan des suites d'accords, voire
Within Temptation sur certains axes mélodiques avec une touche atmosphérique, on se situe néanmoins assez loin de l'univers épique de
Nightwish, ou de celui, grandiloquent, d'
Epica, même dans les tendres passages. Au-delà de ce constat, le climat romantique qui s'en dégage, accolé aux relents traditionnels de ses arpèges, fonde l'originalité du concept. C'est dire que les compositions, aux tonalités pastel, ont fait l'objet d'une attention toute particulière de la part de l'ensemble des musiciens, pour conférer aux séries de notes de chacune des partitions toute leur substance harmonique et leur saveur mélodique. On les doit aux talents conjugués des membres du groupe, a savoir : Alexander Krull, au chant et à la programmation ; Thorsten Bauer, guitariste émérite ; Mathias Röderer, à la guitare ; Chris Lukhaup, à la basse et Martin Schmidt, à la batterie et aux samples. Quant à l'empreinte vocale, teintée d'angéliques inflexions à la grâce indéfectible, elle parachève de nous convaincre de l'efficacité de la démarche, tout en contribuant à confectionner l'identité de la production. En outre, par ses célestes ondulations vocales,
Liv Kristine n'aura de cesse de laisser transpirer une émotion difficile à contenir bien longtemps. Pour l'occasion, a aussi été impliquée, dans les choeurs, sa petite sœur
Carmen Elise Espenaes (
Midnattsol), chanteuse au filet de voix délicatement resserré dans les médiums, sur «
Into Your Light ». Quant aux paroles, tel un poème, où chaque mot est le reflet de l'âme de son auteure, elles sont l'oeuvre exclusive de la vénérable déesse.
Si le visage de la belle, au regard éperdument rêveur, apparaît sur la pochette, le concept relève d'Alexander et Katja Piolka. Cette dernière a notamment réalisé l'artwork de la jaquette, aux subtiles nuances de couleur graduées dans les beiges, ainsi que les médaillons patinés où apparaissent les membres du groupe, chacun étant juxtaposé à un texte du livret. Alexander, de son côté, s'est davantage concentré sur l'enregistrement, le mixage, l'ingénierie du son et le mastering, réalisés au Mastersound Studio (en Allemagne). Assisté par ses musiciens, essentiellement sur les enregistrements, le maître d'oeuvre nous octroie une restitution du son de bonne facture couplée à des arrangements bien ficelés. D'autre part, le mixage offre un équilibrage judicieux des parties vocales et instrumentales entre elles, sans effets de compression ou de sous-mixage notoires. De ce travail de studio respirant une implication de tous les instants, en ressort une fondante galette de quarante-deux minutes où s'enchaînent dix titres d'une durée à peu près égale. Les fondements logistiques et techniques étant posés, entrons sans plus attendre dans les arcanes de cette œuvre.
Lorsque l'ambiance se fait enjouée, la section rythmique fringante, l'inspiration ne manque pas à l'appel. L'ensemble fait preuve d'une combinaison maîtrisée des instruments où la technique ne frise jamais une indigeste démonstration, témoignant plutôt de subtilités relatives à l'expert maniement des dièses et des bémols contenus dans ces compositions. Illustrons-le par quelques titres emblématiques de l'opus. Tout d'abord, de soyeuses et enveloppantes nappes synthétiques nous accueillent sur le frondeur « Norwegian Lovesong », titre à la frappe régulière et mesurée et aux riffs élimés. Ici, les impulsions de la sirène scintillent le long d'une ligne mélodique axée sur un spectre compressé et joliment ondulatoire. Celle-ci déambule sur une dense et soyeuse instrumentation, avec des changements de tonalité à la clé, l'interprète élevant simultanément d'un cran sa ligne de chant. Pour sa part, le mouvant «
Ocean's Way » met en scène la légèreté du timbre de la belle donnant la réplique aux grunts ténébreux de la bête, incarnée par Alexander, pour un duo à la construction harmonique solide et évoluant sur un chemin mélodique affiné. Liv use également d'insoupçonnées saccades lyriques sur une tonalité relativement basse pour assurer une osmose avec les rocailleuses impulsions de son acolyte. Savoureux moment gothique symphonique s'il en est ! Pour sa part, l'entraînant «
Return to
Life », où rutilent les guitares en liesse, a opté pour des variations rythmiques, des riffs érodés et une belle rampe au piano. On découvre ainsi une piste gothique aux refrains agréables offrant de jolies oscillations de tonalité, où la sirène nous charme par ses fines modularités, sans emphase, juste en toucher. Dans cette plage au parfum doux-amer, on adhère à un ensemble instrumental faisant montre d'une très efficace harmonisation. Enfin, plus tortueux, rageur, « Temptation » permet de retrouver la bête, au top de sa forme. Par contraste, les angéliques impulsions de la belle se calent parfaitement sur le refrain. En outre, un bref mais habile solo de guitare ravit le tympan avant que l'être de lumière ne reprenne les rênes. Bref, on a là une série de plages qu'on explore, qu'on apprivoise rapidement, l'adhésion s'effectuant sans encombres.
Parfois, la cadence se fait moins alerte, sans y perdre en lumière percussive, tout en conservant cette empreinte gothique mélodique, aux accents symphoniques, si caractéristique. Ainsi, l'engageant « Tale of the Sea Made », est un mid tempo, aux riffs massifs, nous octroyant des refrains délicatement acidulés, le cristal vocal de la déesse n'étant pas étranger à cette sensation auditive. De belles attaques à la guitare rythmique s'accouplent à un serpent synthétique jusqu'à tomber nez à nez avec un break, précédant une spectaculaire reprise sur le refrain, la belle éclaircissant progressivement son timbre pour clore le chapitre crescendo. Dans la même veine rythmique, guitare et synthé s'unissent à nouveau pour laisser « Secret », aux riffs gras, déverser de suaves couplets et de souriants refrains. Très haut calé, le timbre de Liv extasie par l'élasticité de son spectre vocal lui permettant de tutoyer les étoiles. Dans cette mouvance, des choeurs et les ravissantes et claires notes qu'elle distille impriment « The
Dream », où le schéma percussif est savamment retenu et les riffs un tantinet graveleux. Un break opportun permet à Alexander de reprendre le flambeau, avant de laisser sa comparse, tel un ange, repartir de plus belle sur l'infiltrant et fier refrain. On reste aussi suspendu à une atmosphère générale rayonnant de subtilités techniques. Une fois de plus, le pavillon aspire à se sustenter de telles friandises sans jamais s'en écoeurer, tant l'exercice de style, délicat et inspiré, s'avère incitatif à une adhésion quasi automatique.
Par ailleurs, et ce n'est pas le moindre de ses mérites, le combo n'a pas manqué de nous offrir des passages tamisés, à l'image de quelques instants fragiles. Confondante, la ballade « For Amelie », chère au cœur de Liv, est d'une extrême sensibilité, venant cueillir nos émotions les plus enfouies. Difficile alors de ne pas se faire aspirer par la câlinante présence vocale de la chanteuse. On appréciera aussi les courbures des arpèges au piano dispensés par Timon Birkhofer (Indilounge) tout le long. Lorsque le convoi instrumental se met en marche, l'enivrement gagne du terrain, et plus rien ne semble alors pouvoir nous retenir à une quelconque contingence matérielle. Autre doux moment, à l'instar de «
Into Your Light », envoûtant morceau, à l'allure d'un hit, disposant d'immersifs couplets et de refrains imparables à l'angélique déhanché mélodique. On appréciera également les jeux d'ombre et de lumière entre les vibes haut perchées de Liv et les fins médiums ondulants de
Carmen. Pour précision, cette séduisante plage a donné lieu à un clip où la belle, telle une Marilyn, évolue gracieusement sous les feux de la rampe. Enfin, le troublant et affectueux «
Lovelorn », titre éponyme de l'album, nous enchante par les patines vocales en retenue tout le long.
Pas de rythmique, ni de riffing, cette fois, juste un délicat tapis synthétique, des samples, un inaltérable métronome et quelques accords à la guitare pour corroborer les oniriques caresses orales de la sirène. Et, malgré la linéarité du tracé mélodique, la magie opère, là encore.
Au final, on ressort inspiré par un espace sonore sensuel et poétique, un poil aseptisé mais sans tomber dans l'écueil d'un terne nivellement harmonique. Un savant équilibre s'observe entre des lignes mélodiques finement sculptées, mais sans demeurer ni sulfureuses, ni mièvres, et une dynamique rythmique en retenue, légère et magnétique. Même si la part belle est faite à la blonde déesse, elle fait corps aussi bien avec ses musiciens qu'avec son comparse. On apprécie donc une complicité groupale évoluant sur une mer limpide à la profonde agitation intérieure. Cela dit, de rares finitions seraient encore à éradiquer pour en faire une œuvre quasiment irréprochable. De résiduelles modulations vocales seraient aussi à affiner sur certains couplets. Mais, l'exercice offre une profusion d'envolées semi-lyriques, arc-boutées sur un veloutant timbre cristallin, qui nous font bien vite oublier ces petites irrégularités.
Pour un premier jet, tout s'annonce sous les meilleurs auspices pour Alexander et ses acolytes. Nul doute que les amateurs de metal gothique mélodique et symphonique à chant féminin puissent y trouver matière à satisfaire leurs aspirations, l'accessibilité mélodique et technique des compositions aidant. Aussi, si le projet doit encore faire preuve d'un soupçon de maturité supplémentaire pour y gagner en épaisseur artistique, l'ensemble produit s'avère déjà fort honorable. En raison de ses particularités atmosphériques, cette œuvre est à considérer à part entière, pour profiter pleinement des richesses harmoniques et des jeux de contrastes qu'elle contient. Le charme des tribulations oratoires de la talentueuse parolière et sensible interprète fera le reste...
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