Inattendu message musical que cet «
Interlude », suite à trois remarquables et généreux albums full length signés par le combo batave. Cette fois, c'est un tout autre concept qui nous attend, à l'instar d'un disque compulsant nouveautés, reprises, refontes et titres en live. De plus, le groupe complète son offre en nous octroyant un dvd incluant clips, prestations en live, backstages et footages. Faut-il y voir là une parenthèse dans le projet du collectif néerlandais ou une volonté de panacher son propos à l'image d'un patchwork de prestations de différentes natures ? S'agit-il d'un désir d'élargir le champ de son auditorat, eu égard aux reprises par le groupe de quelques titres de la scène pop-rock des années 80/90 ? Quoiqu'il en soit, cette production, ayant opté pour la variété d'ambiances, permet à nos tympans et à nos rétines de jouir d'un lumineux kaléidoscope musical alliant passé et présent, sous plusieurs angles d'attaque. Une fois encore, à sa façon, le groupe a mis les petits plats dans les grands. En cela, la formation issue de Zwolle marque déjà ses distances en singularisant sa démarche face à bien d'autres productions metal symphonique, même parmi les cadors du genre,
Within Temptation,
Nightwish,
Epica et autres
Xandria en tête.
Cette mouture a été judicieusement pensée en termes de line-up et de logistique. Elle témoigne d'un dispatching des musiciens en fonction des séries de morceaux sélectionnés. Tout d'abord, sur les titres propres du groupe réalisés en studio, on retrouve la patte indélébile de la chanteuse
Charlotte Wessels, des claviéristes Martijn Westerholt et
Oliver Philipps, du batteur Sander Zoer, des guitaristes Guus Eikens et Timo Somers, assistés d'
Oliver Philipps, et du bassiste Otto Schimmelpenninck van der Oije. Ces morceaux ont été enregistrés et mixés, avec le concours de Tom van Heesch, aux
Tripod Studios (Stockholm). Il en ressort une belle profondeur de champ acoustique et peu de sonorités parasites sur chacune de ces pistes. Ensuite, pour les reprises des hits pop-rock, quelques modifications du line-up se sont opérées :
Outre Charlotte, Martijn,
Oliver et Sander, à la guitare rythmique, Guus Eikens a été remplacé par Ronald Landa, Rob van der Loo a permuté avec Otto à la basse et
Oliver a été sollicité à la lead guitare. Enregistrés au Galaxy Studio's, ces titres bien connus des années 80/90 ont fait l'objet d'un soin particulier tant pour la juste restitution que pour une opportune réapproriation de leurs notes. Le mixage a requis l'habile doigté de Ronald Prent aux manettes, la partie vocale apparaissant toutefois un poil sous-mixée sur deux des trois pistes en question. Enfin, concernant les titres live, on retrouve
Charlotte, Martijn, Sander, Otto, avec le concours de Timo Somers aux guitares. Le mixage, œuvre de Christian Moos, a permis de restituer l'ambiance du concert tout en profitant d'un bon équilibrage des parties instrumentales et vocales. Suivons alors la logique de distribution des musiciens pour poser un regard sur les plages audio de cet opus, dans un premier temps, avant d'infiltrer la partie vidéo, elle aussi ayant profité d'un traitement particulier lui conférant toute sa saveur.
Parmi les nouveautés, on retrouve la recette structurelle des titres du combo, avec, comme à l'accoutumée, un sens aigu du détail mélodique qui fait mouche. Ainsi, sur une assise metal symphonique, le crépitant « Collars & Suits » déploie de sensuels couplets au rythme d'un riffing tempéré en osmose avec des nappes synthétiques enveloppantes, au fil desquelles quelques arpèges au piano s'immiscent. Quant aux refrains, ils s'illuminent dès les premiers accords, eu égard à un cheminement harmonique des plus immersifs, délicatement mis en exergue par l'inspirée déesse. Carton plein sur ce titre aux allures d'un hit. On remarquera aussi l'entraînant « Breathe on Me », titre à la basse vrombissante et aux riffs élimés, où intervient rapidement la sirène, à voix basse d'abord, précédant ses claires inflexions sur les couplets avant de s'élancer avec véhémence sur un explosif refrain, qu'on se plait à entonner. Et ce, même si la ligne mélodique s'avère, cette fois, plus resserrée autour de son axe central, avec peu de modularités. En outre, un fin tracé synthétique s'insinue simultanément aux tribulations oratoires de l'habile interprète. Un petit break se fait aspirer par une déferlante en habits de lumière sur le refrain. Les ingrédients essentiels sont là pour en faire, une fois de plus, une tubesque piste. Au rang des nouveautés, là s'arrête le programme.
Sinon, le combo a aussi pensé à inclure deux titres de son troisième album, en les revisitant à sa manière. Tout d'abord, une mouture du dynamique « Are You Done with Me », en version single, avec le son d'une guitare acoustique comme carte d'entrée nous est octroyée, s'étant substituée au piano, pour l'occasion. Il s'agit d'une option instrumentalement plus aérienne, moins metal que rock dans son principe d'évolution, vêtue pour les dancefloors, où l'on retrouve les choeurs et la ligne de chant féminine d'origine. D'autre part, le titre éponyme du-dit opus, «
We Are the Others », a subi un véritable lifting. Cette fois, c'est dans une rayonnante ballade que nous convient
Charlotte et ses comparses, au cours de laquelle coule un flot ininterrompu d'arpèges au piano. Si les choeurs d'enfants sont préservés, une rythmique progressive, avec quelques fêlures bien maîtrisées, témoigne d'un effort de récupération de cette pièce cadencée pour la remodeler en instant fragile. Difficile de ne pas subir l'effet d'attraction mélodique de cette piste, celle-ci ayant profité d'une refonte sans y perdre en saveur dans ses portées.
Pour les reprises de titres phares des années 80/90, le groupe a opté pour deux morceaux bien cadencés et une ballade. Tout d'abord, la valeureuse troupe n'a pas eu froid aux yeux en s'attaquant à l'un des titres emblématiques du groupe de pop-rock waveuse Talk Talk. On se rappellera de « Such a Shame » (extrait de leur second album « It's My
Life » (1984)), en son temps, composé et magistralement interprété par Mark Hollis. L'exercice était risqué, mais le groupe affiche une inspiration non sans mérites sur le plan instrumental. Et ce, notamment, avec de clapotantes perles de pluie au piano et un tapis synthétique moquetté, le groupe ayant judicieusement metallisé l'ambiance avec des riffs souples, des variations rythmiques et un filet de voix en retenue, parfois murmuré, notamment sur les refrains. On jettera donc une oreille attentive à la nouvelle version sans pour autant oublier l'originale. Bel effort d'abnégation de la part du groupe, s'étant réapproprié le titre dans une mouture pleine d'humilité, avec quelques modulations vocales, tout en toucher. Quant au hit planétaire «
Smalltown Boy » (extrait de l'album « The Age of Consent » (1984)), du groupe de new wave Bronski Beat, à l'unique grain de voix de castra de Jimmy Somerville, comment permettre de lui donner un second souffle sans risquer la déroute ? Un effet de réverbération, un riffing en touche, quelques patines au piano et à la guitare acoustique suffisent à nous replonger dans cette ambiance, agrémentée par le timbre haut perché de la belle, avec un arrondissement de la ligne mélodique sur les refrains. Là encore, la réinterprétation s'effectue avec aisance, mais sans chercher à forcer le trait. Autrement dit, là où l'art est naturel, les « copistes » ne s'avèrent pas maladroits, loin s'en faut. Dans un autre registre, la ballade « Cordell », titre délicatement réinterprété, dont la version originale émane du groupe de rock irlandais The Cranberries (extrait de l'album « To the Faithful Departed » (1996)), envoûte par les câlinantes ondulations de la belle sur les refrains, le tout évoluant sur un chemin mélodique des plus ravissants. Le charme de son timbre et la fine instrumentation qui corrobore sa présence vocale transfigurent la version originelle, sans lui retirer sa substance de composition. Il ne faut pas y voir une substitution à l'empreinte vocale si particulière de Dolores O'Riordan, aux fêlures naturelles, mais plutôt une approche originale et complémentaire, faite de rondes douceurs. Tout l'art de sublimer un titre déjà transcendant comme pour mieux respecter leurs illustres prédécesseurs est là. Bref, ce triptyque séduit tant par les prestations de la souriante vocaliste que par la structure instrumentale conférée à ces morceaux. Plages qu'il s'avérait illusoire de vouloir sereinement prendre à son compte sans y ajouter une touche personnelle pour assoir un brin d'originalité. L'effort de distanciation interprétative consenti par le combo est réel et la sauce finit par prendre. Les puristes pourraient bien se laisser sustenter à leur tour...
Dans un troisième mouvement, les titres live nous invitent à nous immerger dans une chaude ambiance de concert. Ceux-ci ont été joués au
Metal Female
Voices Festival, pour la dixième édition, en octobre
2012. Il s'agit d'un festival dédié aux groupes de metal à chant féminin, ayant lieu chaque année à Wieze, en Belgique, pour lequel le groupe s'est illustré pour la première fois lors de la quatrième session, en 2006. Parmi les six titres proposés, dont cinq extraits du troisième opus, on remarquera les cris extasiés d'un public impatient et vibrant à la synthétique et pénétrante entame de « Mother
Machine ». Puis, la machine métronomique est lancée prête à cueillir ses âmes tremblotantes, au rythme de ses refrains magnifiés par la justesse du timbre de la belle, que suivent ses musiciens à la trace. Le spectacle offert tient déjà toutes ses promesses, avec quelques sollicitations incantatoires de
Charlotte en direction de son auditoire, encore abasourdi par les premières gammes envoyées par le combo, qui n'a pas failli à sa tache. Pour les autres titres, que l'on retrouve en images, votre humble serviteur vous convie sans plus attendre à la découverte du dvd. Introduisons-le donc dans le lecteur et découvrons ensemble ce qu'il nous réserve.
Premier constat : trois options nous sont offertes, soit, autant de volets à considérer à la fois pour une immersion au cœur de l'action et pour un regard circonstancié. Commençons notre infiltration par un raccord du film à la partie live sus-mentionnée.
Au lieu des six titres en live en version audio, le groupe en a sélectionné cinq pour sa vidéo (amputée de « Mother
Machine »), pour la plupart issus de l'album «
We Are the Others » (
2012), à l'exception de « Invidia », extrait de l'opus précédent «
April Rain » (2009).
Les titres live s'enchaînent dans l'ordre d'apparition de la setlist. Quelque soit la prestation, un intense éclairage suit fidèlement le tempo, mais sans agressivité visuelle, avec peu de variations dans les tonalités de couleurs choisies. De son côté, l'ingénierie du son, de qualité satisfaisante, a profité à la mise en valeur des prestations de nos acolytes. Sinon, peu de diversité dans le jeu de scène s'observe tout comme dans les improvisations du dispositif instrumental et vocal. Quant à la belle, elle se plait à se placer, sous les feux des projecteurs, parfois loin sur le devant de la scène, pour communier avec son public, sans pour autant omettre de revenir au sein de son groupe, qui lui, reste plus volontiers tapi dans l'ombre.
« Invidia », seul titre extrait du second opus, l'atteste, avec également une présence instrumentale de tous les instants et une précision du jeu de notes proche de la version originale. On y retrouve les savoureux couplets alternant avec de fondants refrains, enjolivés par les patines vocales de l'interprète. Un peu moins mobile sur « Electricity », la sirène, de ses habiles trémolos, témoigne, là encore, d'une faible place laissée à l'improvisation au profit d'une redoutable adhésion au protocole de base. Efficace tout le long, ce bien entraînant morceau ne rate pas non plus sa cible, un joli solo de guitare venant parachever de nous convaincre de ne quitter la scène ni du tympan, ni du regard. Le tout avec une belle finition au piano, en prime. Tout aussi engageant, avec un changement de tenue pour la déesse, passant du noir charbonneux au blanc immaculé pour être raccord avec le clip, «
We Are the Others » déverse énergiquement ses chapelets de douceurs auditives, lui aussi, conformément à la partition d'origine. La magie opère d'un claquement de doigts sur un titre taillé pour les charts, provoquant même quelques hystériques réactions au sein d'un auditoire survolté semblant soudain acquis à la cause du groupe. Pour sa part, l'intrigant « Milk & Honey », à la rythmique plus lourde, aux riffs tamisés, laisse couler quelques larmes au piano avant de céder la place à un impressionnant solo de guitare, la sirène complétant le tableau comme elle sait si bien le faire, notamment sur les refrains, immersifs à souhait. Enfin, le fuligineux « Not Enough » nous installe au cœur d'une chaude ambiance metal savamment mélodieuse, les couplets fouettant littéralement le pavillon et les refrains s'avérant irrésistiblement prégnants. Mais, c'est surtout lorsque la nappe synthétique s'élargit, évoluant sur de fins arpèges que rejoint un piano inspiré, que le magnétisme de la piste opère. A la sirène de conclure avec de troublantes vocalises haut perchées et finement modulées, avec, en fin de parcours, la note qui tue, puissante et profonde comme d'aucuns n'osaient l'espérer.
Pour rester dans l'ambiance des concerts, le groupe nous invite également à le suivre dans trois court-métrages, à l'instar de moments-clés de leurs pérégrinations. D'une part, lors d'un festival de quatre jours, incluant quarante groupes, intitulé « 70000 Tons of
Metal », à Miami. On ne perçoit que les à-côtés et non le concert lui-même, mais sur une tonalité joviale. On recueille pêle-mêle des impressions à chaud de fans, de connaissances et du groupe lui-même, l'incontournable séance autographes, quelques bribes de prestations, toutes traduites en anglais, dans un décor maritime de carte postale, fleurant bon la Floride. Et pour cause, c'est sur un paquebot que le spectacle a lieu ! Un second reportage, à l'image d'un backstage-footage, permet d'avoir quelques clichés sur leur tournée européenne en 2011 (avec
Serenity et Lisa Middelhauve (ex-
Xandria)), dont un court passage à
Marseille, concert auquel votre serviteur a assisté. Enfin, un court extrait concernant les répétitions, avec de beaux fondus enchaînés, et quelques instants pris sur le vif d'un concert réalisé à l'
Alhambra (
Paris, 2011) complètent la toile. Bref, trois ambiances différentes, trois modes de représentation divergents, pour trois moments singuliers que l'on passe en compagnie de la sympathique troupe. Si le premier reportage s'avère intéressant, par les différents aspects révélés de ce moment particulier, les deux derniers, en revanche, peuvent ne se visionner qu'une ou deux fois, pour humer l'ambiance, partager les rires et les larmes de nos acolytes, demeurant plus anecdotiques et révélant une qualité de montage plus discutable.
Quant aux quatre clips proposés, ils renvoient aux trois albums, finissant par l'un des titres du premier opus. Ainsi, la boucle est bouclée. Extraits de «
We Are the Others », on y trouve le titre éponyme ainsi que «
Get the Devil Out of Me ». Le premier, hit représenté dans un style figuratif, nous montre une
Charlotte bien investie, fermement arrimée à son micro, à la gestuelle ample, oscillant entre noir et blanc dans ses tenues, ainsi que ses musiciens plus concentrés que jamais. Intéressant concept qui voit défiler, de face, des figures plus ou moins connues de la scène metal, ainsi que la chorale au complet, tenant chacune dans ses mains un cartouche incluant un mot bien choisi des paroles de la chanson. Dans un style plus mouvant, le second clip met en lumière le groupe sur scène et dévoile quelques coulisses alternativement, le défilement des images étant en raccord avec la dynamique du morceau. Autre ambiance émanant de «
April Rain », titre éponyme du second album. Sur un pont suspendu au-dessus d'un fleuve bouillonnant, le combo fait percuter ses notes en liesse,
Charlotte en tête, dans ce tubesque et frondeur morceau aux refrains hypnotiques, le tout dans une atmosphère diluvienne. Enfin, comme un clin d'oeil aux débuts de l'histoire, «
Frozen », relevant de «
Lucidity » (2006), nous enchante par cette empreinte metal symphonique pure pour un engageant titre à la belle esthétique mélodique, délicatement introduit par une boîte à musique. On oscille ici entre un movie faussement naïf où
Charlotte est mise en scène et une prestation d'ensemble du groupe où la talentueuse déesse n'a de cesse de nous interpeler. En quelque sorte, une déferlante qui résonne comme une invitation au voyage des tribulations de nos sens. Ainsi, là aussi, la partie clips réserve un travail dans et sur l'image diversifié, non dénué de qualités esthétiques et techniques.
On ressort de l'écoute de la partie audio agréablement interpelé par l'ordre de succession des titres, obéissant à une logique de classement rigoureuse mais originale, assurant un trait d'union entre passé/présent et studio/live. La partie vidéo, que l'on suit sans encombres, a un double intérêt : elle permet d'apprécier, d'une part, le jeu de scène et les prestations du combo sur cinq titres déjà référencés en version audio et de découvrir, en prime, quelques coulisses du concert ; d'autre part, de rendre compte du travail sur les effets relatifs aux clips vidéo de hits, des plus récents aux plus anciens. On aurait un seul regret : celui de ne pas découvrir plus de deux titres en guise de nouveautés. Mais cette option répond précisément aux exigences du projet, combinant diversité conceptuelle et générosité de l'offre.
S'agissait-il, au final, d'une simple rétrospective sous forme d'une classique compilation ?
Pas tout à fait, dirait-on... C'est dire que cette production comblera certainement les aspirations des aficionados du groupe, complétant ainsi leur collection avec cet
Interlude riche en rebondissements. Pour les amateurs de metal symphonique, gothique, mélodique, à chant féminin, ils y trouveront un menu déjà roboratif pour une première sensibilisation aux gammes développées par le collectif batave. Pour ceux qui espéraient un album, un vrai, ils n'auront pas à soupirer indéfiniment, au vu des ambitions affichées par nos acolytes. Aussi, en attendant le prochain épisode, on a bien de quoi patienter...
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