Le metal symphonique à chant féminin n'a de cesse d'alimenter des querelles intestines entre les détracteurs les plus divers aussi bien qu'entre les groupes eux-mêmes, de plus en plus nombreux à se positionner sur ce terrain stylistique. Ce registre spécifique du metal devient ainsi un enjeu de luttes entre les combos qui cherchent à tout prix à se démarquer de leurs rivaux susceptibles de leur faire de l'ombre. Dans ce contexte houleux, émerge pourtant un jeune groupe armé d'une solide instrumentation et de qualités mélodiques enviables par beaucoup. Le quintet néerlandais de heavy symphonique
Delain est l'oeuvre de Martijn Westerholt, claviériste et frère de Robert Westerholt (
Within Temptation). La partie vocale, quant à elle, est assurée par la jeune et talentueuse
Charlotte Wessels, au timbre de voix profond et aux variations de tonalité dignes des plus aguerries de ses homologues.
Ce premier opus adopte le concept d'une heureuse conjugaison d'artistes issus de la scène européenne du metal symphonique autour d'un même projet, celui du groupe lui-même. Dans cette mouture s'observe une orchestration impressionnante de brio et de puissance, typique du heavy symphonique, une instrumentation bien inspirée faisant place à de beaux soli, une présence significative et opportune de choeurs, des harmonies d'une grande richesse ainsi que des textes à l'écriture fine que la voix de
Charlotte magnifie à chacune des notes qu'elle pose sur ces mots. Fort d'avoir répondu à ces critères d'appréciation, le groupe s'élance alors avec aplomb et autorité dans cette arène parsemée de valeureux gladiateurs.
Tout d'abord, j'ai pu constater que peu sont les morceaux qui ne s'impriment pas dans les mémoires tant les onze pistes de l'album témoignent d'une grande accessibilité à l'instar de compositions d'envergure à l'armature mélodique redoutable. L'ensemble se veut fondamentalement entraînant, usant tantôt d'un tempo rapide, tantôt étant empreint de douceur. On comprend dès lors que rien n'est laissé au hasard, pas même l'ordre de succession des titres, ni les choix des chanteurs et chanteuses venus prêter main forte à cette formation en devenir.
Parmi les titres les plus significatifs sur lesquels
Charlotte a chanté en solo, on retiendra l'entraînant et mélodieux "
Frozen". Un anachronique démarrage impulsé par une boîte à musique fait rapidement place à une rythmique propre au métal symphonique. Sur cette armature instrumentale roborative se calent des riffs bien dosés, des changements de rythme dont un break venu dispenser de savoureux passages vocaux, le tout servi par une clarté exemplaire du timbre de l'interprète que viennent encore renforcer les choeurs. De plus, le titre s'achève par un beau solo de guitare. Sur un même pied d'égalité, on placera "Sleepwalkers
Dream". Ce titre aux subtils enchaînements harmoniques nous offre des couplets bien ciselés, des refrains addictifs, une mouture rythmique plus heavy que purement symphonique, avec quelques passages syncopés. Là encore, les montées en puissance et en voix de tête témoignent d'autres couleurs vocales encore dans la palette étendue de la jeune diva. Un peu en retrait de ces deux pistes, "
Shattered" séduit toutefois par ses variations de tonalité, son taping tout en légèreté et ses choeurs renforçant la mélodicité des refrains.
En ce qui concerne les duos, la plupart sont mixtes et sont d'excellente facture. Les plus stupéfiants sont ceux faisant appel aux talents de growler de l'impressionnant George Oosthock (
Orphanage), à commencer par "Silhouette of a
Dancer". Les voix de chacun des deux interprètes se complètent à merveille sur ce titre à la fois instrumentalement puissant et rythmiquement mi-soft et progressif, dans une ambiance orchestrale typiquement heavy. Les changements de tonalité et de rythme sont loin d'être rares et les choeurs s'invitent aussi au bal. Non moins monumental, "Pristine", ultime plage de l'opus, est une de ces fresques musicales pénétrantes sur le plan vocal, avec le même surprenant duo aux commandes. Les contrastes vocaux sont encore plus marqués entre la profondeur de celle de George et la clarté caressante de celle de
Charlotte. Ce mélodieux morceau fait preuve d'une puissance orchestrale remarquable, d'une délicieuse progressivité instrumentale et vocale, avec l'aide de choeurs chatoyants, pour finir en apothéose.
Autre association mixte et non des moindres entre
Charlotte et Marco Hietala (
Nightwish) sur plusieurs titres, dont "Sever", superbe entame à la fois heavy et progressive de l'opus. Ce morceau brille par les variations rythmiques proposées, les jeux de contrastes vocaux entre l'aérienne tonalité de
Charlotte et le timbre rocailleux et profond de son acolyte. Légèrement moins enjoué, mais également bien inspiré, "
The Gathering" offre de belles nuances harmoniques, des accords judicieusement travaillés, une puissance orchestrale typiquement symphonique de premier ordre et des modulations de tonalité intéressantes aussi bien sur le plan instrumental que vocal. Tout aussi envoûtant, "Daylight
Lucidity", convainc autant par la rapidité progressivement installée du tempo, par la richesse de la combinaison vocale entre les deux protagonistes et les choeurs que par une ligne mélodique difficile à prendre en défaut.
Un seul réel duo féminin apparaît entre
Charlotte, en voix profonde, et
Liv Kristine (
Leaves' Eyes), à l'angélisme bien identifiable, sur la splendide et sensible ballade "
See Me in Shadow". Au son du magnifique cheminement mélodique et des modulations proposées par les deux divas, on se laisse volontiers embarquer dans une progressive alchimie entre chant et instruments. Là encore, s'intercale un joli solo de guitare sur ce titre émotionnellement intense.
Parfois,
Charlotte cède le micro, ou se place en retrait, pour nous permettre d'apprécier différemment deux pièces d'envergure, comme "No Compliance", interprété par Marco et Sharon den Adel (
Within Temptation). Cet insolite duo fait mouche sur cet entraînant et mélodieux titre, plein de puissance et d'emphase notamment sur le plan rythmique. Ce morceau progressif fait appel à des violons, eux-mêmes finissant par céder la place à un petit solo de guitare. Non sans charme non plus, le rapide et puissant "
A Day for Ghosts" conjugue les talents reconnus de Marco et de
Liv Kristine dans un duo de choc assis sur une ligne mélodique nuancée.
Au final, on aurait tendance à ne pas tarir d'éloges sur un album de cet acabit, tant les associations vocales s'offrent à nous tels de véritables bombes de saveurs, tant les arrangements sont travaillés au millimètre et les textes rédigés avec une certaine dose d'inspiration. Le groupe n'a pas cherché à forcer son talent, il a tout simplement eu l'audace de proposer un métal agréablement acidulé, sans mièvrerie pour autant, ni artifices qui auraient pu alourdir l'oeuvre d'inutiles redondances. Il a pu répondre ainsi à des attentes d'un public en mal de jeunes artistes accessibles par leur musique autant que par leur personnalité.
Cet album conviendra donc à la majorité des amateurs de metal symphonique et de heavy metal à chant féminin ainsi qu'à tous ceux venus d'horizons divers et sensibilisés aux richesses vocales et orchestrales prodiguées par un groupe. Or, ces qualités artistiques et techniques sont contenues à parts égales dans cette pépite. Cet opus peut donc s'avérer apte à figurer parmi les incontournables d'une discothèque de metal symphonique digne de ce nom.
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