“La rapidité est sublime. La lenteur majestueuse”
Antoine de Rivarol
Réinterpréter un disque du passé est un exercice délicat de l’artiste, souvent symbolique, afin d’initier un nouveau chapitre, un nouveau line up ou de créer une véritable scission entre un avant et un après. Le covid ayant bouleversé tous les plans de carrière habituels, certains prennent donc le temps de faire des choses originales, créatives et ainsi de simplement repousser les conventions. Entre les albums qui voient un successeur naître sans avoir pu tourner entre les deux, ceux qui profitent du temps passé (perdu ?) pour peaufiner le prochain disque où les nombreux live streaming qui sortent de terre désormais en format physique (
Epica,
Behemoth,
Evergrey,
Gamma Ray et bien d’autres),
Architects a décidé de mener à bien un projet pour le moins original.
Réinterpréter intégralement, et dans l’ordre (afin de conserver le caractère conceptuel et la logique de composition initiale), l’ensemble de son dernier disque en date dans les studios cultes londoniens d’Abbey
Road (The Beatles, Pink Floyd, Radiohead, etc …) avec la présence exceptionnelle d’un orchestre complet (le Parallax Orchestra, qui avait déjà travaillé avec le groupe sur "
Dying is Absolutly Safe", ou encore avec
Alter Bridge ou Bring Me the
Horizon en live).
Qu’un groupe de metalcore s’attaque à un tel projet est en soi inédit, même si
Architects s’est depuis déjà quelques albums bien écartés des carcans du genre. "
For Those That Wish to Exist" est en soi un album différent, très aéré, entre violence et mélancolie, qui se prête parfaitement au mariage symphonique. Mais le faire sur un disque entier est une autre histoire, surtout que l’album se veut complexe, long et fourmille d'électroniques.
L’enregistrement fut en une seule prise par composition (auxquelles on ajoute les passages filmés pour les clips) et l’album sonne donc, comme son nom l’indique, live, brut et authentique.
Les sensibilités de chacun feront les préférences mais les deux albums s’écouteront de toute façon dans des conditions bien différentes. Ce "
Live at Abbey
Road" est une véritable prouesse tant l’addition des deux mondes se complète, se veut naturelle et logique, apportant une grandeur, une dimension épique et dramatique impressionnante à la musique, lui otant par la même occasion une certaine urgence, une violence viscérale qui faisait évidemment la force de l’album.
On ressent cette dimension dès la fabuleuse introduction "Do you
Dream of Amageddon ?", ici instrumentale, digne d’une bande originale de film dans son caractère grandiose. "Black Lungs" se charge de planter le premier clou et le résultat s’avère évidemment impressionnant. On reconnaît totalement la composition, le chant de Sam Carter prend une dimension supplémentaire, le caractère live lui conférant un écho et une puissance hallucinante, beaucoup plus humaine désormais dénuée d’artifices et de reverb’. Le mix fait la part belle à l’orchestre, sans étouffer les guitares mais en les intégrant harmonieusement à l’ensemble, ne faisant pas des orchestrations de simples arrangements mais une véritable base mélodique ou rythmique.
Certains morceaux se prêtent naturellement à l’exercice, notamment un "
Dead Butterflies" déjà très mélodique et prenant une dimension moins mélancolique, plus solennelle, presque comme une sublime prière, bien aidé par l’interprétation tout en émotion du vocaliste. C’est également le cas sur la ballade "Flight Without Weathers" et ses envolées de cordes ou encore le fabuleux final "
Dying is Absolutly Safe", plus sombre et tragique que jamais. Gorgé d’émotion, entre la partie acoustique, les phases de violons à pleurer et ce final d’une intensité lyrique absolue. Nous sommes loin du metalcore des débuts, il n’y en a même plus rien, mais le talent et l’émotion y sont incroyables.
Les plus traditionnels ne seront pas en reste avec un "Giving
Blood" profitant de l’orchestre pour gagner en dynamique (et perdre en violence), surtout sur les passages syncopées où les cuivres apportent une lourdeur surprenante. Il en va de même pour "An Ordinary
Extinction", lourd comme une enclume à la base, qui voit toute son électronique devenir des cuivres et des vents pendant que la mélodie se jouent par les cordes, les guitares jouant plutôt des nappes sonores pour densifier l’ensemble plutôt que le mener. Preuve de l’intelligence de réarrangement allant bien au-delà de simplement caler un orchestre sur les compositions. Idem pour "Impermanence", brûlot core qui conserve ici toute sa violence (Sam partage le chant avec Josh Middleton pour l’occasion) tout en intégrant des cuivres presque jazzy. Le break se veut toujours aussi brutal, renforcé par l’intensité de percussions qui donnent presque un esprit de fin du monde.
Globalement, il n’y a aucun titre qui souffre réellement de la comparaison tant l’émotion qui s’en dégage est différente. Il reste évidemment la qualité intrinsèque du titre, mais le côté urgent et nerveux d’un "Animals" (et son break électronique digne d’un Zimmer) développe ici une sensibilité presque charnelle, comme si nous regardions une image du passé en sépia plutôt qu’étions dans le feu de l’action.
Il est évident que ce "
Live at Abbey
Road" restera une œuvre particulière dans la carrière des anglais, qui n’auraient probablement pas eu l’opportunité de faire ça sans la pandémie. Il est une relecture différente, un angle de vue transverse d’un même prisme pour prouver qu’un bon album reste un bon album sous différentes formules. L’humeur et l’état d’esprit du moment choisiront la version que vous désirez.
Je n'avais pas spécialement apprécié l'album, mais cette version me plaît énormément. L'orchestre est vraiment top!
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