Dum Spiro Spero, huitième album du célèbre combo Rock et Métal japonais qu'est
Dir En Grey. Après plus de 12 ans de carrière hachée en 7 albums tout aussi inventifs et déroutants les uns que les autres et concluant cette saga par le magistral et théâtral
Uroboros qu'est-ce que pouvait bien encore proposer
Dir En Grey alors que la formation semblait avoir atteint son apogée sur l'album du dragon mystique, synonyme de l'éternel renouveau ?
Un disque colérique, de chaos et plein d'espoir.
Après les lourdes catastrophes qui ont dévasté une certaine partie du Japon, le pays s'est retrouvé dans un contexte politico-économique très difficile, entre le brouhaha des médias, les informations dissimulées et même effacées, laissant une population dans l'incertain. C'est dans ce contexte sombre, colérique, chaotique et revendiquant de vérité qu'émerge
Dum Spiro Spero, véritable message à la face du monde entier sur ce qu'est le peuple japonais et la façon dont ce peuple relèvera la tête et avancera de nouveau vers l'avenir. "Tant que je respire, j'espère".
"Tant que je respire, j'espère", un titre qui sonne tel un paradoxe avec le contenu de l'album après une première écoute car tout comme pour
The Marrow of a Bone on se retrouve en apnée dès l'introduction angoissante "Kyoukotsu No Nari" aux sons stridents d'une basse sur-saturée, d'un violon et d'un piano mélancoliques et de rugissements étouffés. Un véritable puits nous invitant à déboucher directement dans l'antre terreuse du Diable lors de son repas où celui-ci contemple avec mépris ses doux mets de l'humanité pour la première véritable chanson de ce nouveau disque "The Blossoming Beelzebub". Une imagerie pouvant ramener à l'esthétique du clip "The Nobodies" de
Macabre. Chanson complètement décousue et sans réelle structure apparente où le groupe arbore un son post-hardcore métallien aux relents purement atmosphériques avide de changements de scènes et de mélodies, de cassures rythmiques et d'orchestrations où de forts accents théâtraux de la part des vocaux se posent de manière schizophrénique.
Dir En Grey nous invite dans ce nouveau monde étouffant, aveuglant et oppressant où un sens différent est requis pour capter ce qui se déroule sur cette obscure scène d'imageries complexes et décomplexées.
Plus encore que sur le précédent la sensation d'avoir une pièce de théâtre en représentation est frappante. "
Different Sense" enclenche réellement ce
Dum Spiro Spero avec ses tonalités rugissantes, aux polyrythmes et au Kyô grondant. Le groupe travaille ses ambiances et ses couleurs grâce à ses nombreuses déstructurations au sein même du morceau, le tout pris dans un engrenage complètement chaotique où les soli de guitares agrémentés d'arpèges acoustiques hypnotisants et les mélodies semblent complètement OVNI. Une approche forte proche de
The Dillinger Escape Plan ou
Meshuggah où les sons tortueux et originaux emmènent l'auditeur vers une sculpture sonore démente et schizophrénique tourmentée par un champ thématique humanisé : Le cycle interne de la fierté, de la destruction et du regret, ceci au travers de la guerre, de la menace nucléaire, des grandes peurs humaines, de la fin du monde.
Et c'est cet aspect de structurations/déstructurations couplé à une extrême violence qui ressort principalement de ce
Dum Spiro Spero ne laissant réellement aucun temps mort à l'auditeur où seule peut-être "
Lotus", qui surgit au milieu des escapades dans de sombres estampes, agit comme une bouffée d'air avec ses aspects de ballade nerveuse "
A Perfect Circle-ienne" et de force tranquille après que l'auditeur se soit retrouvé en apnée devant une vision de fin du monde dans la boîte de pandore aux mille malices et au paysage d'un désert où se mêlent sang et sable sous un soleil écrasant dans un ciel rouge de "Yokusou Ni Dreambox". L'introduction de la chanson rappelle un mécanisme d'horloge, la
Doomsday Clock ? Et c'est dans ce même engrenage de mécanisme horloger complètement déréglé que s'orchestrent les différents plans de ce titre. Planant et incisif, aux ponctualités grindcore et aux refrains sortis tout droit d'un récital oriental, enchaîné par "Shitataru Mourou", chanson pesante aux airs de m
Arche funeste où
Dir En Grey s'essaie au métal planant dopé à
Tool, un
Korn sale et rampant lors de sa génèse et
Deftones dont l'introduction est un clin d'oeil au titre "Digital Bath" des 5 gars de
Sacramento. Shinya, le fan. Kyô y prend son envolée lyrique de manière très Opéra avec diverses vocalises haut perchées pour aboutir à un final écrasant où les choeurs et la voix principale se mêlent dans des beuglements sombres avant se s'estomper laissant le simple son d'un violon grinçant laissant apparaître l'image d'une veille bâtisse décrépite, glauque et déserte au milieu de la brume, à la porte branlante après un holocauste.
Un enchaînement d'ambiances variées mais créant un ensemble, paradoxalement, homogène sans que les transitions ne soient choquantes ou mal placées, car s'il y a bien un aspect étonnant qui amène
Dum Spiro Spero à "détrôner" son prédécesseur c'est par sa cohérence forte appuyée.
Dum Spiro Spero a une cohérence bien plus appuyée qu'
Uroboros, un fil rouge qui ne saute à aucun moment de l'album pour une homogénéité globale contrastant avec une hétérogénéité dans les morceaux eux-mêmes. Tout comme sur
Uroboros le tout est maîtrisé et calculé avec une précision chirurgicale. La technique des différents musiciens a la main belle sur cet album et sans tomber dans la prétention,
Dir En Grey tire son épingle du jeu dans une quête de mélodies et de changements bruts de scènes donnant aux musiques de l'album un relief incontestable et bon nombre de retournements de situations où l'auditeur est surpris et martyrisé à la fois avec un condensé où le mal-être et la fureur harcèlent. L'utilisation des guitares à 7 cordes procure un son bien plus brut, sombre et lourd qu'auparavant, au-dessus duquel les spectres de
Pantera et des premiers KoRn semblent flotter, entre riffs écrasants, incisifs et hypnotisants. La présence de nombreux soli de guitares donnent un véritable panel de couleurs aux musiques de ce
Dum Spiro Spero, le tout saupoudré du groove de Toshiya à la basse, un groove dévastateur et maîtrisé (
Amon, Akatsuki,
Lotus).
La voix de Kyô se veut sensuelle, mélodique, violente, hargneuse et attirante... Complètement théâtral, son chant serait à l'image des masques de théâtre antique : extrêmes mais révélateurs. Masques utiles à l'expiation d'une flamme poétique de la plume de Kyô concernant des sujets personnels mais également à plus grande échelle avec une approche plus spirituelle et conceptuelle, une approche systémique sur la raison d'être et la vie elle-même, le tout avec une étincelle d'espoir... Car s'il y a bien une chose à retenir du message global de
Dum Spiro Spero, c'est une poésie noire qui distille de l'espoir. Une poésie chaotique peignant une relecture de l'
Apocalypse selon Saint Jean avec l'élégance dans le style dont fait preuve CLAMP pour son manga X et un souffle d'espoir. Tant que je respire, j'espère à un changement de ce monde avant sa fin. Le chaos de l'attente à ce changement avec l'espoir de la vie. Le souffle de vie, tant que je respire car tant qu'il y a la vie, il y a l'espoir. Ce qui se couple bien avec la citation de Gandhi "Soyez le changement de ce monde". Un message triste mais également porteur d'espoir. Alors tant que je respire, j'espère et j'avance vers l'avenir que moi-seul puisse me tracer. Un onirisme typiquement japonais à l'instar d'un Ryû Murakami dépeignant les recoins sombres et pathologiques d'un monde sale et définitivement humain.
Dum Spiro Spero se vit comme une sorte de relation amoureuse avec ses hauts et ses bas, ses grandes inspirations et ses colères furieuses. Une relation amoureuse, et tels des amants l'auditeur et Kyô seraient en proie à une violente dispute, où les pleurs succèdent aux accès de colère, où chaque instant pourrait basculer à nouveau dans une violence sans fin.
Concept fortement bien illustré par "la pièce maîtresse" de l'album : "Diabolos". Dix minutes de surpassement de soi-même, de grande classe et de musique schizophrénique raffinée. Alors que le titre s'ouvre sur une basse saturée et un clavecin baroque, les musiciens commencent à dépeindre l'introduction à un voyage dans les abysses, dans les enfers. Voyage aux enfers complètement imagé grâce à l'atmosphère noire et psychédélique de la mélodie où les nombreuses cassures de rythmes embrayent sur des schémas d'une extrême violence, d'un élégant passage à tabac. A l'image de Virgile du chapitre Enfer de "La Divine Comédie" de
Dante Alighieri, Kyô nous guide au fil de ce long poème haché et déstructuré aboutissant à une alchimie mélodico-bruitiste raffinée au final magistral et dantesque.
D'autres chansons clef telles que "Juuyoku" ou "
Decayed Crow" sont d'autres points forts de l'album, l'une pour sa déstructuration totale défendue par une cascade de sons dont un récital arabisant et un unique refrain clef cavalant au rythme d'un lead de guitare dévastateur, et l'autre pour un passage à tabac dans la plus pure tradition black metal où les musiciens se positionnent en véritables corbeaux lancinants et tortueux, croassant de colère envers le cercle vicieux du système prônant superficialité et corruption.
Vanitas, ballade mélancolique aux allures grunge grâce aux lignes de chant fébrile témoignant d'une voix rattrapée par l'émotion et au bord de la cassure se révèle être un réel hommage au défunt Daisuke Ochida (kagerou, the studs), artiste et proche de Kyô où la plume de ce dernier permet un ultime et fatal rassemblement posthume du duo "Alice & Lily". Cette chanson amorce la conclusion de l'album dont le rôle est confié à "Ruten No Tou", la tour de la décadence. Pour l'ultime titre de
Dum Spiro Spero,
Dir En Grey décide de privilégier les mélodies aux allures orchestrales sur un fond instrumental clairement tourné death metal mélodique inspirant des airs de grandeur. Et des airs de grandeur, il en faut pour illustrer cette tour de la décadence. En effet on se sent cloué et happé face à une sensation de grandeur où est erigée une titanesque tour de Babel auditive où la plume distille une ode à l'individualité des êtres humains. Une ode à la vie et non à l'existence.
Quelques mots sur la production réalisée par le danois Tue Madsen et l'américain Alan Douches qui s'accorde parfaitement au son d'un groupe de l’acabit de
Dir En Grey. Un son et un mixage massif, écrasant, à l'instar du travail que peuvent faire les producteurs avec des groupes comme
Mnemic,
Mastodon,
The Dillinger Escape Plan. Puissant, gojiresque et percutant mais néanmoins imparfait. En effet, le retravail d'une composition comme "Hageshisa To, Kono Mune No Naka De Karamitsuita Shakunetsu No Yami" avec un nouveau mixage est bénéfique à la composition en accordant une plus grande maîtrise du son et dans l'univers créé autour de cette chanson. Beaucoup plus lourde, ambiante et surtout bien plus harmonieuse de part les guitares et les sons leads sur le refrain qui viennent embellir vraiment la globalité appuyée par la lyrique voix de Kyô. Ce qui n'est malheureusement pas le cas à tout moment comme sur "Yokusou Ni Dreambox" où le son est tellement massif et noisy que certaines lignes de chant énervé passent au second plan et sont quasiment inaudibles.
Ce
Dum Spiro Spero oscille donc bien entre de nombreuses atmosphères et états d'esprit, sans jamais baisser sa garde pour une quelconque faiblesse. Cet aspect global peut rappeler l'album
Macabre. De part des compositions longues, un son et une atmosphère noire côtoyant les chants religieux, un sens de la mélodie unique entouré d'un amas très bruitiste et complètement chaotique. Une musicalité résolument Métal complètement "weird" avec des idées et des sons barrés appliquant distorsions en tout genre sur la basse et les guitares, des mélodies très nombreuses ainsi que divers arrangements et orchestrations.
Avec
Dum Spiro Spero on comprend bien ce que Kaoru voulait dire avec
Uroboros dans le fait que ce dernier renfermait le passé, le présent et le futur de
Dir En Grey. En effet nombre de pistes d'
Uroboros (
Red Soil, Vinushka, Stuck Man, Toguro, Doukoku To Saniru, Inconvenient Ideal) laissaient déjà entrevoir la direction dans laquelle le groupe allait orienter sa barque mais dans quelque chose de plus poussé et avant-gardiste qu'il ne l'était déjà. Ce nouvel album agit également comme une complétude par rapport au précédent effort
Uroboros.
Uroboros représenterait la féminité avec son arrière-goût de douceur et ses pistes plus posées.
Uroboros comme la Lune, la femme, la Vénus et
Dum Spiro Spero comme l'homme, le soleil étouffant qui nous écrase durant l'écoute de l'album. La douceur et la force, la Lune et le Soleil ; Un couple fort bien assorti.
Dans la tradition du rock lyrique, le groupe développe un style se jouant de la tension entre accalmies précaires et saturations en élaborant un son distinctif aux influences très éclectiques et parfois bien senties. Sombre, agressif, lyrique, un disque très surprenant de Rock et Métal bien barré, lardé de rock noisy et de métal extrême déstructuré, complexe et décomplexé, et mâtiné d'arrangements orchestraux en tout genres accompagnés d'éléments ethniques pour une atmosphère unique.
Dir En Grey s'enfonce de plus en plus dans une musique complexe et avant-gardiste qui ne laisse que très peu de place à l'appréciation dite superficielle (juste pour le son et les mélodies). À l'instar de Sôseki Natsume en littérature,
Dir En Grey, on le sent, tire son inspiration d'artistes occidentaux. Mais leurs compositions et thématiques sont celles de japonais, composées sur l'autel de leurs cultures, croyances et idées. Autant dans les sonorités que les paroles, on sent à quel point l'âme est japonaise et très personnelle malgré toutes les influences. On en convient, leur ouvrage est difficile d'approche, mais une fois les paroles assimilées et la musique décortiquée, l'universalité saute aux yeux, aux oreilles.
Il sera très critiqué comme l'était
The Marrow of a Bone et plus qu'
Uroboros mais personne ne pourra nier que c'est un album clef, mature, à la fois sauvage et posé. Il permet, de plus, de confirmer la renommée que l'on attribue depuis longtemps à Dir en grey : un des rares groupes qui ne déçoit pas : mêlant assez de nouveautés pour combattre la monotonie, aux racines, qui constituent les fondements et valeurs reconnues de
Dir En Grey. Le groupe livre encore une fois un album d'une rare classe, à l'identité très prononcée et en quête de mélodies nouvelles voire même complètement OVNI.
Un album à fleur de peau, criant de douleur et de sentiments qui ne saurait laisser froid après une écoute.
Conclusion, sous la belle couverture à la forêt de bambous étouffante tiédie par la présence d'un autel bouddhiste de la divinité Senju Kannon, un texte et une musique s'échappent aux clichés, brouillent les perceptions et présentent une vision des plus personnelles de l'
Apocalypse et cachant un message de réel espoir, qui peut finir par déclencher un certain mal de tête.
Mais avec Hageshisa to ... j'ai été claquer en pleine poire , un tube en puissance , je ressentirais constamment ce frisson ! ... j'ai hate d'entendre Rinkaku !
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