Entité non négligeable de la musique, je vous invite à entrer dans le monde de DIR EN GREY et plus précisément dans le monde du disque qui est le fruit de leur consécration, leur atteinte de l'état Adam Kadmon :
Uroboros.
Retour rapide sur l'évolution musicale du quintet japonais.
-D'abord espoir de l'univers visual kei, à l'état de bourgeon, dans la fin des années 90, Dir en grey était un groupe à part qui, malgré un son punk-rock et pop distillait un univers noir, glauque et terriblement réaliste dû au lourd vécu de son frontman et parolier : Kyô. Après avoir marqué le public de part son premier album ;
Gauze, le groupe décide de casser les codes de celui-ci sur le second :
Macabre en s'auto-produisant. L'ambiance et le message sont restés identiques sauf que la musique se prêtait davantage aux revendications via un style rock plus sombre et torturé. Au cours des années 2000, le groupe expérimente la voie du métal au sens large, le renouvelant sur chaque opus et évoluant à chaque fois sur des tons de plus en plus agressifs. Laissant définitivement derrière eux les looks branchés le quintet nippon s'attaque en 2007 avec violence et sensibilité aux structures plus complexes, nouveau tournant artistique amorcé par l'incompris, glacial et lugubre
The Marrow of a Bone qui se voit avoir, ici, une incroyable et époustouflante suite avec cet
Uroboros qui fait entrer DIR EN GREY au panthéon des groupes intouchables.
Uroboros, la pièce maîtresse au travers duquel l'expérience de tous les précédents disque se ressent.-
DIR EN GREY est avant tout un son, une genèse acoustique des plus improbables il y a un peu plus de dix ans.
Et sur cet album le son est démentiel, massif. Le groupe ne veut pas réellement s'embarquer dans quelque chose de nouveau ou de très différent de ce qui a été fait précédemment mais est plutôt dans une optique d'acception de soi. DIR EN GREY reprend les ingrédients qui font son identité et va même rechercher des éléments des albums précédents, comme, ici, l'indépendance des instruments et l'omniprésence de la basse bien à
Macabre, les sons électroniques de
Kisou, les mélodies de
Withering to Death., le rock agressif et la tournure poétique de
Vulgar ainsi que l'ultra-violence froide de
The Marrow of a Bone.
Sur
Uroboros, DIR EN GREY devient sa propre et principale influence avec cette exploitation de leur héritage musical acquis jusqu'à présent et veut lui faire hommage de la meilleure façon possible. Ce disque renferme donc à la fois le passé de DIR EN GREY, son présent mais également son futur.
- Peintres et protagonistes de cette estampe musicale :
L'aboutissement des instruments est exceptionnel, une parfaite concordance entre eux qui ne forment qu'un, qu'une seule et unique entité comme un puzzle géant où la suppression d'une seule pièce fait que le tout s'effondre.
La concordance des guitares de Kaoru et
Die est remarquable et forme une symbiose sonore. Les deux guitaristes jouent dans plusieurs domaines, bien qu'avec une majorité en saturé, ils n'hésitent pas à passer dans le registre acoustique où les deux énergumènes grattent même une mandoline et un Sitar électrique. Le riffing électro-distordu est très heavy et varié, empruntant beaucoup de codes au thrash et au metalcore. Cette lourdeur et agressivité électrique sait se faire planante et ambiante avant de replonger dans les profondeurs et grésillements, bien au post-rock, avec une cohérence hors du commun. Un seul petit riff suffit à identifier le groupe, un simple grattement de corde pose une ambiance gigantesque, les quelques fins et courts solos agrémentent de couleurs cette toile sonore.
Toshiya et sa basse nous prouvent qu'il y'a une infinité de possibilités de faire sonner une basse par simple fortement de cordes ou en slapping (STUCK
MAN), de créer sa propre ligne mélodique mais surtout de la rendre cohérente au milieu des autres instruments. La façon dont celle-ci est mise en avant ne gâche en rien le son, on est même surpris par l'aspect clean de chaque instrument qui sonne bien distinctement sans empiéter sur les autres et à aucune fois on entendra un son 'brouillon'.
Shinya, le drummer infernal du groupe impressionne encore en osant des rythmes non conventionnels, en changeant son approche de la batterie. 8 beats sont joués pour l’intro de BUGABOO, et à côté de ça, il y'a une construction anormale pour tous les autres morceaux. L’enchaînement dans RED SOIL n’avait jamais vraiment été fait jusque là, il y'a une combinaison de la charleston et la ride sur le pont de
Glass Skin et Gaika, Chinmoku Ga Nemuru Koro a le tempo DPM228, le plus rapide que Shinya ait pu jouer jusqu'à présent. La batterie est donc pas mal sollicitée, même lors de chansons plus posées (
Glass Skin). On pourra également noter, grâce aux sieurs Shinya et Kaoru, la présence fréquente du piano dans les compositions renforçant la mélancolie de l'ambiance ou permettant à l'auditeur des envolées plus légères (
Glass Skin,
Dozing green) ainsi que d'autres effets d'orgues au milieu des lourdes guitares saturées (RED SOIL). Le batteur joue même du conga et des percussions (Ware Yami Tote,
Reiketsu Nariseba) pour coller à l'ambiance. Ce sont d'ailleurs les deux seuls endroits de l'album où il fera de l'overdub.
Du côté du poète Kyô, ce qui frappe directement est l'apparition de grunts profonds et de borborygmes dans ses lignes vocales. Son panel vocal se démontre comme extrêmement diversifié, et cela que ce soit en chant clair, qu'en cris, bruits loufoques. Kyô nous dévoile sa capacité à réaliser un chant diphonique sur quelques passages au cours de l'album, ceci contribuant à renforcer l'ambiance mystique du disque. Le chanteur offre un récital de sons au travers de la musique en imitant un moine bouddhiste ou encore un mantra. Il y'a beaucoup de personnages qui entrent en scène dans ses chansons, certains sont doux, d'autres offensifs, Kyô se devait donc d'utiliser sa voix de façon judicieuse afin de donner vie à ses paroles, à son histoire contée. Au travers de ses textes à la fois durs et poétiques, il dépeint une véritable pièce mélodramatique où il incarne chaque personnage et chaque dialogue.
Se prenant à tour de rôle pour Kiyoharu Mori, Mikael Åkerfeldt,
Mike Patton, Max Cavalera,
King Diamond et Jonathan Davis, Kyô signe ici ses nouvelles signatures vocales personnelles qui l'accompagneront désormais.
Le CD -unplugged- en bonus dans la version limitée, voit quelques invités pour cet autre aspect des compositions. Sont remarqués Jun Fukamachi (compositeur de jazz-fusion) au piano et à l'orgue sur Ware, Yami Tote... et INCONVENIENT IDEAL ainsi que TADASUKE au piano sur RED SOIL.
-
Uroboros en lui-même :
Les 5 nippons ont, sur
Uroboros, un souhait de mélodies orientales avec une expérimentation du son poussée très loin. Diverses sonorités acoustiques et électroniques côtoient les chants sacrés. DIR EN GREY essaye de dépeindre au travers du disque des teintes et atmosphères religieuses sous un angle purement Japonais. Tout ceci se faisant en partie grâce à l'utilisation d'un synthétiseur, d'une mandoline, d'un Sitar électrique par les deux guitaristes qui ont également utilisés plusieurs objets divers pour gratter leurs cordes de guitares sur certains morceaux. Des congas de la part de Shinya, les variations vocales de Kyô ainsi que d'autres instruments folkloriques ont été nécessaires à cette œuvre.
Tous les titres font preuve d'un sérieux travail de composition, sur les sonorités, sur les mélodies surtout sur l'atmosphère et l'ambiance générale. Pour confirmer sa marque de fabrique, comme à l'accoutumée chez DIR EN GREY, chaque titre, chaque riff, chaque intonation de voix est des plus personnelles au groupe. Le tout sonne tout simplement "DIR EN GREY", et cette fois-ci mieux que jamais. DIR EN GREY exploite pleinement son propre héritage culturel et musical.
Il n'est donc pas anodin de retrouver quelques clins d'œil volontaires à leurs anciennes œuvres ; comme la structure du titre barré, au son grind funky, Reiktesu Nariseba qui fait fortement penser à celle de HYDRA (
Macabre), le pont électro-psychédélique de STUCK
MAN qui aurait pu trouver sa place dans
Kisou, le début post-rock de Toguro provocant une petite réminiscence de 24 Cylinders (
Kisou) ou
Drain Away (
Vulgar) en plus lent. Sans compter sur le flow stéréotypé indus-punk que Kyô chérit dans RED SOIL rappelant Audrey (
Macabre) ou ses propres compositions en solo via ses "poem books".
Là où le groupe sait créer des ambiances intimistes, il sait aussi ne livrer que sa hargne, ses reproches et martyriser son confident avec un condensé où le mal-être et la fureur harcèlent... Le parfait compromis entre violence, ambiance et sensibilité. Mais peut-on parler de simple violence sur ce disque ? La réponse est non.
Là où beaucoup de groupes s'engouffrent dans une violence brute et non maîtrisée, les japonais de DIR EN GREY préfèrent prendre un certain recul afin de rendre leur violence plus intelligente mais surtout poétique. Façon de faire qui n'est pas sans rappeler un certain
Opeth ou autre
Katatonia.
Le groupe sculpte une musique à sa propre image in vivo ; une musique noire et puissante, hypnotique, hallucinogène et hallucinée, capable de transporter l'auditeur vers d'autres sphères.
Sa bir ouvre sur un monde et nous fait plonger en profondeur, on se demande comment sera le prochain endroit qui va s’ouvrir à nous. L'auditeur vagabond ne se posera pas la question plus longtemps quand résonnent les premières notes de VINUSHKA ; véritable noyau de l’album et du groupe s'écoulant sur une durée de 9 minutes et 30 secondes intenses.
- La plainte d'un homme, d'un monde :
Partie de la chronique, exclusivement consacrée au parolier et à sa poésie. Du côté des revendications, les morceaux ont eux même un fort univers, qu’il soit restreint ou alors très vaste.
Uroboros apparaît une fois de plus comme le plus recherché par rapport aux précédents, là où
The Marrow of a Bone était une violente insulte physique envers la société moderne,
Uroboros traite, à son image, de sujets plus psychologiques, tout en continuant d'être en rapport avec les horreurs humaines et le malêtre qu'impose la société moderne à l'Homme.
Les thèmes abordés restent globalement les mêmes que d'habitude chez eux, Kyô écrivant toujours par rapport à ce qu'il ressent, observe et vit au quotidien : La culpabilité, la destruction, le rapport de l'humain à la haine, l'amour, la mort et plus subtilement : la demande du pardon.
Quand la tension des 13 entités musicales du disque retombe, les riffs qui ont marqués la douleur et la lourdeur des sensations restent à l’esprit, mais ça ne se limite pas qu’à ça. Pour la première fois chez DIR EN GREY et surtout dans les textes de Kyô surgit une impression de douceur et d'apaisement. On ressort d'
Uroboros avec plusieurs sensations d'arrière-goût. C’est dans cet état d’esprit que, pour chaque parole, est laissé un sentiment d’incomplétude, ou une difficulté à comprendre. Kyô écrit dans le but d’avoir une image qui arrive facilement à l’esprit, quand on a écouté la totalité de l’album. Les paroles ne contiennent que pas de la haine et que de la rancœur, elles montrent un monde qui s’est ouvert et qu’on observe des profondeurs. Le Kyô de DIR EN GREY a choisi de regarder, des bas fonds, le ciel et de laisser un sentiment d’arrière-goût. Les paroles contiennent du désespoir et de la colère, pourtant, quand on a tout écouté, bizarrement ce n’est pas le désespoir qui reste, on ressent une image de force et un grand désir d’aller de l’avant.
La mort d'une entité, la réincarnation et le renouvellement.
Définissant Kyô comme peintre de sa propre musique, son intention première est de donner vie à ses textes, aux musiques de son groupe. Par ses paroles il peint une sorte de toile, un tableau. Les mots sont la peinture tandis que l'instrumentation sert de toile blanche et plus les phrases se posent plus le tableau se peint. Le fait que plusieurs sensations et interprétations nous viennent en tête à l'écoute de ses mots vient de son désir de créer des textes en trois dimensions. Grâce à cette polysémie obtenue part son style d'écriture personnel et unique alliant différentes formes littéraires japonaises, Kyô offre à sa plaidoirie un lot de sensations organiques plus subtiles les unes que les autres.
- Bilan de l'entité.
Le tout est un disque extrêmement noir et mystique qui dose intelligemment la violence avec la douceur (douleur ?). Pièce maîtresse de DIR EN GREY à ce jour,
Uroboros est DIR EN GREY et DIR EN GREY est
Uroboros. Et d'une certaine façon, les 5 japonais atteignent une similitude d'état d'Adam Kadmon sous-entendant une symbiose parfaite entre eux, leurs pensées, leurs âmes et leur création commune.
Uroboros est une alliance parfaite de poésie intime et noire, de colère et de musique métal/rock. L'excellente symbiose de la sensibilité, de l'émotion, et du son percutant englobé dans une sphère de mélancolie poignante.
La dureté déchirante, criante côtoie la sensibilité à fleur de peau.
Crachat de venin sanguinolent, charme morbide et dolent, les chansons laissent une saveur troublante. On s'y sent comme en plein rêve aux perturbations nombreuses dans l'immensité du monde. Le flot de cris ou de chuchotements accompagnés de notes par ses
Archets dessine un air fatal, une détresse ou clairement une ivresse.
Ce qui en ressort est une musique au tournoiement de couleurs, de mots et de sons. Le halo d'instruments avec la poussière sonore étale la puissance, la vision d'
Uroboros.
Mystique, torturé, obscur, merveilleux, évasif, cet album transporte l'auditeur halluciné qui, par le biais de la musique, se voit avoir un tas de représentations en tête.
Fureur, bruit, déchirement, douceur, mélancolie s'entremêlent et se séparent merveilleusement nous détruisant et nous faisant renaître à l'infini : Une expérience synesthésique et organique unique en son genre.
Fin d'un cycle, d'une vie et début d'une autre... Replay ?
Autant je connais Dir en grey depuis longtemps et j'aime les deux périodes de leur carrière (visu et métal). Je savais qu'ils avaient ce potentiel pour pondre une merveille, étant donné leurs qualités d'ambianceurs hors pair. Parce que chacun de leurs album possède une saveur qui lui est propre.
Mais sur cet opus ils ont su mettre en place une mécanique fluide, une symbiose brillante de leurs inspirations respectives, en liant le tout par un désespoir catharsique mêlé de fureur nippone. Voila pourquoi je comprend parfaitement ce que tu insinues quand tu fais allusion à cette sensation mystique qu'inspire UROBOROS.
Et puis ces rythmes de batterie... C'est du Shinya de la meilleur trempe, une musicalité fascinante!
Je crois que The Marrow of a Bone a été pour eux, un excellent moyen de hurler leur mépris vis a vis des fans visualeux. Pour leur signifier, par cette galette réfrigérante, que Dir en Grey époque Gauze c'est terminé. Ils ont voulu par ce biais s'imposer comme un groupe de gars, terriblement durs et rageurs, en massacrant tout souvenir de leur sensibilité. Tout ca pour être plus proche des attentes des amerlocs. Bien que TMOAB soit un album super, UROBOROS en s'appropriant à nouveau cette sensibilité oubliée, atteint un niveau qu'ils auront du mal a surpasser. Enfin je pourrais m'éterniser longtemps sur cet album dont je ne me lasse pas de d'admirer les subtilités et la colère vengeresse.
Merci pour ta chronique qui rend justice à la claque gargantuesque que je me suis pris dans la face en l'écoutant la première fois.
Le premier album de Dir En Grey que j'ai possédé et pourtant je connaissais déja le groupe. Mais Uroboros fut le déclic, en écouter quelques instants a insufflé cette envie irrépressible de l'acheter... pour le meilleur.
Uroboros est un grand album, celui qui a effectivement vu Dir En Grey rendre sa musique cohérente, homogène, tout en se permettant toutes les folies sonores qui l'habitaient. Un coup de maître.
Seul bémol pour ta chronique, la longueur, tu décortiques tellement que tu enlèves un peu de mystère à l'album. Mais malgré tout nul doute que celle ci a du jouer dans mon choix d'acheter cet album. Merci.
Mais bon, quelque part c'est un choix de ma part. Je voulais vraiment exprimer ce qui gravitait autour de cet album, bien mettre en avant chacun des 5 membres qui forme un groupe plus soudé que jamais.
Comme un puzzle, le fait de retirer une pièce fait s'effondrer le tout.
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