Une fois la joie éphémère de tenir son premier album entre les mains,
Mercyless repart sur les routes de France pour le défendre sur scène. En dépit d’une sortie retardée et d’une distribution difficile,
Abject Offerings permet à
Mercyless de s’attirer les faveurs du label
Century Media, passant à la division supérieure, se plaçant aux portes de l’Europe.
1993, on reprend les mêmes et on recommence : le duo de choc, Otero/Viard, sous la houlette d’un Colin Richardson qui a continué à développer son art tout en ayant une connaissance approfondie des frenchies. La partition semble s’écrire d’elle-même, c’est magique ! Souvent lorsqu’on se laisse inspirer par certains esprits. Cependant, dès la première écoute de
Coloured Funeral, on perçoit un véritable changement. L’agressivité des leads et la brutalité rythmique ont été revues et adaptées pour laisser la place à un ensemble compact et homogène qui dispense une intensité émotionnelle inattendue. Au lieu de nous rouer de coups et de nous crucifier, comme ce fut le cas sur
Abject Offerings,
Mercyless nous transperce le cœur sans sourciller. On passe de la torture médiévale à la frappe chirurgicale.
Le growl de Max se fait moins blasphématoire même si les paroles continuent d’être subversives, il approfondit sa technique vocale pour laisser échapper d’autres émotions qu’une simple haine viscérale. L’instrumentation emprunte le même chemin. Ainsi au lieu de se cantonner au rouge sang et au noir mortifère, le groupe monte en puissance techniquement mais sans démonstration aucune, étoffe sa gamme de couleurs, et propose un véritable voyage plutôt qu’une énième bataille. L’atmosphère, comme sur
Abject Offerings, reste ici primordiale, le choc frontal proposé par le passé se meut en tornade crépusculaire.
Il se dégage de
Coloured Funeral, derrière ce mur de sons, une forme de nostalgie romantique porteuse d’espoirs perdus et d’attentes insatisfaites. Quand un chanteur de la trempe de Max Otero évoque les fleurs sur
Spiral of Flowers et Mirrors of
Melancholy, puis les voyages, réels et oniriques, comme sur Travel
Through a Strange Emotion, ce n’est certainement pas parce qu’il s’est rangé des bagnoles, ou a viré sa cuti pour se lancer dans le metal symphonique (il a sa fierté, à l’inverse de
Misanthrope !!!). Il se laisse inspirer par des forces obscures et pluriséculaires au risque de s’ouvrir les portes d’autres dimensions. Chaque pacte engage des transformations profondes. Même s’il tente de s’évader, une profonde tristesse semble entacher cette œuvre. Ce ressenti est perceptible en particulier sur l'instrumental acoustique Agrazabeth. Un titre qui sonne comme une dédicace. Le malaise continue d'être palpable à travers des ralentissements rythmiques surplombés de riffs et soli lancinants, aussi puissants qu’éreintants comme sur
Forgotten Fragments et Contemplations.
Cette mélancolie, un autre groupe s’en est fait l’apôtre, c’est évidemment Death. En particulier sur
Human où certains morceaux renvoient à des questionnements intérieurs, au mal-être et à l'isolement. L'instrumental Cosmic Sea quant à lui emporte l'auditeur dans des paysages sonores d'une richesse insoupçonnée, qui ne sont pas sans rappeler ceux traversés sur
Coloured Funeral, avec cette basse frondeuse commune aux deux œuvres. Chuck Schuldiner ne cachait pas ses émotions, sa musique n’étant que le reflet de ce qu'il ressentait. A la suite de la sortie de
Coloured Funeral, Max et Chuck vont avoir la chance de partager une tournée européenne durant laquelle l’admiration du premier pour le second ne cessera de croître,
Together as One.
En définitive,
Coloured Funeral marque un profond changement d’atmosphère tout en conservant ses acquis dans la forme musicale, puisque le death metal, certes moins direct mais tout aussi intense, continue de couler à flots comme les larmes d’esprits chagrins.
« La rose est sans pourquoi ; elle fleurit parce qu’elle fleurit,
N’a souci d’elle-même, ne cherche pas si on la voit. »
Angelus Silesius in Le voyageur chérubinique (1657)
Avec maintenant un recul suffisant, je trouve cet album meilleur que le précédent, sans en renier l'excellence. Mais on sent que Mercyless avait muri, et mieux défini son spectre musical. Rempli de titres prenants (cités dans la chronique), et dôté d'une mise en son parfaite, le second Mercyless mérite, grâce aux récentes rééditions Xenokorp, une redécouverte attentive.
Peut-être le meilleur album de death Français de la première période.
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