En 1987,
Venom ne faisait plus peur à grand-monde… Après un "
Possessed" passablement bâclé — et logiquement éreinté par la critique — et le départ d’un
Mantas visiblement de moins en moins concerné par l’affaire, la barque de ce qui était encore trois ans auparavant le groupe le plus sulfureux de la planète semblait prendre l’eau de toute part : des ventes en berne, un nouvel album, “Deadline”, mort-né du fait de la désertion du guitariste, des querelles internes de plus en plus envahissantes… Pour ne rien arranger, de nombreuses formations beaucoup plus extrêmes et techniques que le trio anglais avaient entretemps vu le jour –
Slayer,
Megadeth,
Exodus et bien sûr
Metallica, pour ne citer qu’eux –, et le roi d’antan, qui les avait pourtant toutes inspirées, faisait désormais piètre figure auprès de cette jeune garde du Speed/Thrash
Metal triomphant. Pire, les premiers rejetons d’un nouveau genre, le Death
Metal, commençaient à faire parler d’eux, repoussant encore plus loin les limites de l’agression musicale et de l’imagerie blasphématoire, menaçant ainsi de faire définitivement passer la bande de Newcastle pour de vieux ringards sentant la naphtaline. Bref, pour
Cronos (basse et chant) et
Abaddon (batterie), il semblait urgent de se ressaisir, sous peine de voir l’entreprise tourner au naufrage pur et simple.
Pour palier au départ du guitariste historique, ce ne fut non pas un, mais deux remplaçants qui furent engagés : l’américain Mike Hickey et l’anglais
Jim Clare, faisant ainsi passer le groupe, à l’instar de Motörhead quelques temps plus tôt, du statut de trio à celui de quatuor. De plus, il fut décidé d’apporter cette fois-ci davantage de soin tant à la production qu’aux compositions, afin de ne pas renouveler l’expérience malheureuse de "
Possessed". Les thèmes abordés, dans un salutaire soucis de renouvellement, laissèrent quelque peu les diableries des précédents opus de côté pour aborder par moment un fantastique plus conventionnel, évitant ainsi au groupe de sombrer plus avant dans l’auto-caricature. Enfin, même la pochette, d’une surprenante sobriété (un éclair dans un ciel nocturne, le tout cerné d’une bordure blanche), achevait de convaincre l’observateur attentif – si tant est qu’il en restait encore quelques-uns à l’époque – qu’un nouveau
Venom était en train de naître.
Que penser, donc, de ce "
Calm Before the Storm", cuvée 1987 d’un combo bien décidé à reconquérir une couronne tombée aux mains de jeunes usurpateurs ? Première constatation, le son concocté par le producteur Nick Tauber (
UFO,
Thin Lizzy, Marillion,
Girlschool…) est en effet bien meilleur que la bouillasse chaotique dont nous avions été gratifiés sur "
Possessed". Ho, certes, nous sommes encore loin des grosses productions Thrash de l’époque, mais les différents instruments sont à peu près bien en place et distinctement audibles, ce qui, pour
Venom, n’est pas loin de constituer une première. La fameuse basse de
Cronos claque correctement,
Abaddon a visiblement un peu bossé son instrument (bon, on reste à des années lumières de ce qu’un Dave Lombardo balançait à la même époque, mais après la prestation embarrassante de l’album précédent, c’est un gigantesque pas en avant) et l’ajout des deux guitares enrichit indéniablement l’ensemble de subtilités (le terme est un peu fort, je l’admets) inimaginables jusqu’ici. Attention, ne vous attendez pas à un duel Satriani versus Malmsteen pendant les solos, mais force est de reconnaître que la paire Hickey/Clare apporte tout de même une finition et une maîtrise aux six-cordes dont
Mantas semblait résolument incapable, du fait de ses limites techniques ou d’un certain j’m’en-foutisme. Et, surprise improbable,
Cronos s’essaye même par moment à moduler sa voix, ne se contentant plus de beugler comme un damné du début à la fin mais adoptant parfois une forme primitive de chant.
“Black Xmas” ouvre les hostilités sur un tempo assez rapide et un riff bien lourd, suivi de couplets et de refrains classiques mais efficaces, avant d’envoyer un premier solo tout à fait présentable. “The Chanting Of The Priests”, étonnamment mélodique pour du
Venom, voit
Cronos opérer ses premières tentatives de chant, pour un résultat certes un peu risible, mais finalement assez touchant. "
Metal Punk” fait quant à lui parler la poudre avec sa rythmique à la double-pédale qui ferait presque oublier la tentative honteuse de "
Powerdrive” sur l’album précédent (quand on vous dit qu’
Abaddon a bossé…), et n’est pas sans évoquer un Motörhead de la grande époque (oui, la classe en moins, mais quand même). "Under the
Spell” continue dans une veine “motorheadienne” similaire, avant que n’arrive le morceau-titre de l’album : ”
Calm Before the Storm”. Celui-ci, comme "The Chanting Of The Priests” avant lui, s’avère assez symptomatique de ce
Venom nouvelle version, avec son refrain accrocheur et son style général plus abordable (plus commercial diront les mauvaises langues). "
Fire” repart à l’attaque avec son riff guerrier et son tempo agressif, pour un résultat qui, à défaut d’être original, parvient à faire preuve d’une certaine efficacité, voire à titiller les cervicales du métalleux indulgent. Constat identique pour un “Krakin Up” qui, néanmoins, pêche rapidement par un refrain trop routinier, après un début pourtant prometteur. ”
Beauty and the Beast” vient rejoindre ”Chanting…” et “Calm…” au rayon des titres plus mélodiques sur lesquels
Cronos fait de son mieux dans les modestes limites de son registre vocal, pour un résultat il est vrai assez quelconque, malgré l’inévitable voix féminine censée faire contraste avec les grondements de l’animal. ”Deadline” (nom initialement prévu pour l’album) poursuit dans une veine pas très inspirée, avant que “Gypsy” ne vienne secouer l’auditeur par sa rythmique locomotive et un ou deux solos bien envoyés. Enfin, le totalement crétin et donc fort jouissif ”Muscle”, presque groove par moment, vient clôturer le disque sur une note relativement farfelue, tandis que
Cronos, tout en modestie, déclare sa flamme de manière tout à fait particulière à la gent féminine.
Hélas, malgré ses bonnes intentions et sa volonté louable de renouvellement,
Venom ne parvint pas à inverser la vapeur avec cet album, et "
Calm Before the Storm” fut un nouvel échec commercial. Toujours trop bourrin pour les amateurs de NWOBHM traditionnelle et déjà plus assez extrême pour séduire les jeunes headbangers partis chercher leur dose de décibels du côté du Thrash allemand, de la Bay
Area et des studios de Tampa,
Venom se retrouvait le cul entre deux chaises et, au bout du compte, finit de décevoir les derniers de ses fans originels. Conscient que les glandes à venin de la créature qu’il avait lui-même contribué à engendrer venaient probablement de cracher leurs dernières gouttes,
Cronos préféra jeter l’éponge et partit de son côté poursuivre sa carrière solo, non sans embarquer les deux six-cordistes de "
Calm Before the Storm” dans l’aventure. Quant à
Abaddon, resté seul à bord, il finira par retrouver
Mantas deux ans plus tard et montera alors une nouvelle incarnation de
Venom avec un autre line-up, sans plus jamais renouer avec le succès d’antan. Il faudra attendre 1995 et l’éphémère reformation du trio original pour que
Venom retrouve un peu de son lustre passé, mais ceci, comme dirait l’autre, est une autre histoire… Ironie du sort, alors que "
Calm Before the Storm” fut en son temps le disque le plus musicalement abouti de la discographie de
Venom, il fut également celui qui sonna définitivement le glas de ses années fastes. En attendant, même s’il demeure certainement l’un des albums les plus méconnus du combo infernal, il n’en reste pas moins une honnête galette de Heavy
Metal, certes pas très fine mais qui, plus d’un quart de siècle après sa sortie, se révèle en fin de compte plutôt sympathique. Ça sera donc un bon petit 14/20 pour moi.
N.B. : Alors que le CD d’origine, à la couverture inexplicablement reteintée en rouge par rapport au vinyle, est devenu introuvable, "
Calm Before the Storm” est disponible dans de nombreuses versions plus ou moins officieuses et parfois sous des titres alternatifs, parmi lesquels “Metalpunk”, ”
Beauty and the Beast” et ”Under The
Spell”. Les couvertures de ces éditions sont toutes plus immondes les unes que les autres, mais sauf erreur de ma part, la liste des titres demeure heureusement identique.
Même si je trouve un peu sévère de ne résumer Venom qu'à ses trois premiers méfaits, quelques bonnes galettes étant venues enrichir la discographie du groupe à la fin des années 90 de même que ces derniers temps (je trouve personnellement “Fallen Angels" et "From The very Depths" tout à fait présentables).
Par contre, il est assez triste de voir les compères de jadis se disputailler le nom du groupe à présent, avec le Venom de Cronos d’une part et le Venom Inc. de Mantas, Abaddon et Demolition Man de l’autre. Enfin, ce sont des choses qui arrivent, dans le métier… Pour une fois, Venom ne fait pas exception à la règle.
Merci pour la chro, excellente. Ayant connu Venom avec ce disque à sa sortie, j'ai pour celui-ci une tendresse particulière. Il tourne régulièrement depuis 87 et je lui trouve de belles qualités. En fait, c'est simple, je partage tous les mots de ta chro niveau ressenti.
La prod' de Tauber est pas ouf mais bien meilleure que sur "Possessed" on est d'accord. Et pourtant, la chro de Possessed, ben je m'y suis fait et j'adore :-)
Sans crier au génie, j'aime bien cet album.
15/20
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