Au clair de la lune, mon ami
Pierrot
Comment rebondir après la disparition aussi tragique qu’injuste d’un prodige comme
Randy Rhoads ? Certainement en continuant.
Le fameux adage « Show must go on » doit sacrément vous coller à la peau pour vous permettre de reprendre la suite de l’aventure. Alors que la douleur se confond avec l’acceptation du manque de l’être cher, la tournée de 1982 se poursuivit pourtant avec Brad Gillis de
Night Ranger à la guitare et se concrétisera par le double live «
Speak of the Devil ». Bien qu’Ozzy tournait pour promouvoir l’album «
Diary of a Madman », ce témoignage ne contiendra que des reprises de
Black Sabbath, jouées au Ritz de
New York les 26 et 27 septembre 1982. Profondément atteint par la perte de
Randy, il n’était pas question pour l’heure de tirer profit de son décès mais plutôt de damer le pion à Tony
Iommi et sa bande qui sortirent leur «
Live Evil » seulement un mois plus tard aux Etats-Unis. Mais le compte n’y était pas. Ozzy ne s’accommode pas d’un remplaçant temporaire. Il recherche l’osmose, celle qui transcende l’inspiration, et jette son dévolu sur
George Lynch, fabuleux guitariste de
Dokken.
Jakey Lou Williams vit le jour en 1957 à Fairmont, West Virginia.
Moitié Gallois par son père et Japonais par sa mère, il grandit à San Diego dans un environnement où le jazz côtoya la musique classique comme le rock. Délaissant le piano, il s’empara sous l’influence de sa grande sœur d’une guitare sur laquelle il fit ses premières gammes. Autodidacte inouï, il développa son propre style, fruit d’un talent inné, et se tailla une réputation de virtuose dans le sud de la Californie. Après une première expérience sérieuse au sein du groupe
Teaser, il rejoignit
Ratt et la Cité des Anges en
1980. Un single « Dr Rock / Drivin’ on E » fut pressé pour être distribué gratuitement aux fans lors des concerts avant que leur titre « Tell the World » ne figure sur le premier
Metal Massacre de 1982. Courant 1981, celui qui désormais s’appelait
Jake E. Lee devint guitariste de
Rough Cutt, produit par Ronnie James
Dio et dont le management était assuré par sa femme Wendy. Sous le charme de son jeu, le Divin Lutin l’invita à rejoindre son projet solo et les séances de répétition commencèrent. La légende prête au jeune Lee la composition du riff principal de « Don’t talk to Strangers ». A y écouter de plus près, la légende repose souvent sur un minimum de réalité.
Prête-moi ta plume, pour écrire un mot
Le dénicheur de talent Dana Strum propose à Ozzy de faire passer une audition à Jake, lui qui lui présenta déjà en 1979
Randy Rhoads. Ebloui par la classe naturelle du gamin, il suit son instinct et l’enrôle finalement à la place de
George Lynch.
Le jeune guitariste s’attèle alors à la composition des titres du successeur de «
Diary of a Madman » avec Bob Daisley, de retour à la basse. Tommy Aldridge, fidèle sur son tabouret de cogneur, et
Don Airey (ex-
Rainbow) aux claviers complètent un line-up bâti pour le long-cours.
«
Bark at the Moon », produit par Max Norman et enregistré aux Ridge Farm Studios à Rusper, débarque en décembre 1983 dans les bacs. L’artwork n’est pas en reste. Le
Pierrot de la comptine pour enfant s’est mué sous les traits d’un loup-garou habité. Huit titres figurent sur l’édition d’origine européenne dont «
Spiders » opportunément remplacé par «
Slow Down » propulsé par une basse de feu sur le pressage US. A la première écoute, on est séduit par l’équilibre de la production et l’utilisation intelligente des claviers. On retient surtout la bonne qualité du chant du Madman malgré une prise inconsidérée de substances en tout genre, la basse-pacemaker de Bob Daisley et le jeu inspiré et caractéristique du nouveau six-cordiste. L’ensemble alterne entre un univers pop-rock affirmé et un côté plus traditionnel, sans noirceur excessive.
Ma chandelle est morte, je n'ai plus de feu
Le mélange des genres, en effet, Ozzy peut tout se permettre.
Mélancolique sans être dépressif, du moins pas de manière ostentatoire, il surprend même avec une chanson sur une rupture amoureuse en hommage déguisé à
Randy, «
So Tired ». Les claviers comme les instruments à corde occupent l’essentiel de l’espace sur cette ballade et on penserait presque à un titre des Beatles si la voix n’était pas aussi singulière. Les ingrédients pop ressurgissent à grand renfort de claviers sur « You’re no different » porté par
Don Airey et l’incontournable Bob Daisley. Facile dès lors pour les nappes et improvisations par touche de la guitare de se greffer sur la légèreté d’une mélodie apaisée. La sensibilité de Jake dans son jeu comme sa liberté d’expression se retrouvent à nouveau sur «
Spiders » dont la ligne de basse torturée exécute avec le soliste un jeu d’é
Changes chaloupé digne d’une chatte sur un toit brûlant.
Le premier chainon manquant raccrochant les titres de l’album à l’univers heavy-metal d’Ozzy réside dans le simple et direct « Rock’n roll Rebel » au riff plaqué et gras et au refrain convenu, mais aux paroles règlement de comptes avec Tipper
Gore qui créera le PMRC quelques mois plus tard. Bob Daisley pulse le rythme comme un métronome derrière le chant décharné du mort-de-faim Ozzy avant un solo fluide et limpide de Mr Jake.
La patte du nouvel arrivant se précise et s’impose définitivement avec un riffing digne du Pourpre Profond sur «
Centre of Eternity ». Alors qu’un glas lugubre et des cantiques religieux sortant de la cathédrale du coin illustrent un début de piste inquiétant, la mélodie up-tempo souligne la technicité main droite et sur son manche de
Jake E. Lee, couronnée par un solo en tapping vertigineux. Le title-track contient les codes désormais légendaires du jeune Américain dont le riffing rampant et shreddé déchire l’espace. La frappe sèche de Tommy Aldridge, le brio de Bob Daisley, le solo étincelant et la ligne de chant vorace contribuent à l’intemporalité de ce titre. Sans en avoir l’air, « Now you see it, now you don’t » se distingue par un pont d’anthologie, installant ce morceau heavy dans un univers sublimé par les vocaux et les chœurs hauts perchés sous une reprise de rythmique étonnante. Les orchestrations sur « Waiting for
Darkness » soulignent un propos soudain plus sombre, martelé par un Ozzy poursuivi par ses démons et détracteurs en tout genre. La thérapie de groupe fait son œuvre avec des claviers et une guitare en symbiose, une batterie en contretemps et un chant dominant l’ensemble.
Ouvre-moi ta porte, pour l'amour de Dieu
La Grâce existe-t-elle ? Sans doute.
Là où le destin défait les liens de la vie, la Grâce se joue de la mort en unissant de sa touche bienveillante les étoiles dans leur course pour la gloire. La chandelle loin d’être morte se consume d’un nouvel éclat que
Jake E. Lee entretient de concert avec un Ozzy ressuscité tel un phénix. Il peut d’ailleurs remercier Jake et Bob, finalement non crédités de leur travaux sur ce disque alors qu’ils ont quasiment intégralement composé musique et paroles. Quelques années plus tard, le différend fut réglé à l’amiable contre un gros chèque et Ozzy apparait comme le créateur « officiel » de l’album.
L’enfer peut bien attendre car le meilleur est à venir. Ozzy est de retour dans la lumière, sous un clair de lune blafard.
Didier – mai 2014
Screams break the silence
Waking from the dead of night
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