On peut franchement s’abstenir de rappeler qui est
Immortal, tout au plus faire un bref rappel du parcours des Norvégiens, histoire de remettre en lumière l’événement que constitue
All Shall Fall.
Immortal est une entité mythique dans le metal extrême : groupe phare de la bande de Bergen au début des années 90, coupable d’un
Pure Holocaust légendaire qui a marqué au fer rouge toute une génération de metalheads, repoussant les limites de la brutalité du black metal avec
Battles in the North, puis par la suite prenant soin de tracer sa voie artistique guidé par son instinct et son talent, en s’éloignant toujours un peu plus de ses premières amours,
Immortal achève en 2002 dix ans époustouflants avec un
Sons of Northern Darkness qui parachève la légende des Norvégiens, ceux-ci faisant dès lors partie des rares à pouvoir se targuer de s’être construit leur propre style : la musique d’
Immortal dépasse le cadre du black et du death metal, elle incarne une forme glacée, épique et brutale d’un metal extrême puissant et racé.
Puis le monstre s’est endormi dans les profondeurs de son fjord, en 2003, alors que son succès était à son firmament, au grand dam de sa horde de fans et du surpuissant
Nuclear Blast qui avait su attraper la bête dans ses filets. Il a fallu plus de trois ans pour que la bête se régénère. Elle s’est doucement réveillée en 2006, notamment par le biais du side project « I », où
Abbath a rappelé combien ses élans épiques prenaient leurs sources dans un heavy metal ancestral. Puis quelques apparitions remarquées dans de grands festivals ont gonflé la rumeur :
Immortal, créature bicéphale (
Abbath &
Demonaz), a recouvré sa force.
All Shall Fall est censé en être la demonstration.
Quelques données laissaient entrevoir de bien belles choses : le fait de choisir (en partie) les fameux studios Grieghallen pour l’enregistrement (de quoi faire frémir l’échine des nostalgiques du son glacé de
Pure Holocaust, à l’époque de sa sortie), ou celui non moins redoutable de mettre une nouvelle fois le mix aux mains expertes de Peter Tägtgren.
Ce son, parlons en, car c’est la première chose qui frappe. Pour ceux qui avaient couiné à cause de la surproduction patente de Sons Of Northern
Darkness, rassurez-vous. Le résultat est une franche réussite : profond, puissant, un poil abrasif, le son de la guitare est un régal. Le mixage est franchement équilibré, les fûts du redoutable Horgh étant également en léger retrait par rapport à l’album précédent; quant au chant d’
Abbath, il se fait plus lointain et plus détaché, produisant une impression mystique et surnaturelle intéressante.
Comme on pouvait s’y attendre, le Between
Two Worlds (I) avait donné de précieuses indications sur l’évolution à venir d’
Immortal. On ne sera donc pas surpris du premier qualificatif qui vient à l’esprit :
All Shall Fall est épique. Abandonnant quasiment systématiquement le riffing agressif typé death metal,
Abbath renoue avec un jeu plus conventionnel, très heavy, plus linéaire, faisant la part belle à son feeling imparable. Du titre éponyme, envolée implacable à la fois rapide par sa rythmique, et d’un lyrisme posé et aérien par son riff lancinant et entêtant, sans parler d’un break qui file le frisson, ou par le heavy-black guerrier et le riffing cinglant de
Norden On
Fire,
Immortal entretient sa longue tradition de semi-ballades heavy black glaciales et monumentales (de Blashyrkh jusqu’à
Tyrants). Le groupe pousse même la démarche encore plus loin avec la superbe conclusion
Unearthly Kingdom, plus de huit minutes très dépouillées mais ô combien emplies de force mystique. Un riff heavy d’une grande sobriété, une rythmique mid-tempo réduite à sa plus simple expression, qui montent crescendo à la mesure de l’intensité de la musique. Rien à faire, il faut admettre que le talent se reconnaît souvent dans la simplicité…
Toutefois, le virage expérimenté par le biais de I pousse quand même
Immortal vers une approche jusque là inconnue pour lui, j’en veux pour preuve l’emploi parcimonieux mais assumé de quelques soli bien sentis, subtils et fluides, fleurant bon l’inspiration heavy metal. Cette notion de heavy/black épique revient quand même comme une évidence au fil des écoutes.
J’en vois déjà certains qui frémissent : rassurez vous,
Immortal n’a pas complètement viré sa cuti au point d’abandonner pour de bon le metal extrême. L’ossature du disque est quand même bâti sur une base agressive, même si
All Shall Fall table plutôt sur le recours à la magie ancestrale, celle de l’atmosphère légendaire du groupe, plutôt que sur l’agression directe et la profusion de blast beats.
The Rise
Of Darkness, globalement mid-tempo, rappelle un peu l’univers de At The
Heart Of The
Winter, avec quelques relents seventies mais en renouant aussi avec une ombre mythologique que le groupe avait négligé depuis lors. On retrouve cette puissance sombre qui se dégage de Mount
North, magnifique morceau empli de pureté et de force tranquille.
Le morceau le plus agressif du disque est incontestablement Hordes Of
War, qui fait penser à du
Bathory époque
Blood,
Fire, Death, dans une version particulièrement mordante et survitaminée. Mais on est bien loin du bombardement en règle d’un One By One, soyons clairs, même si le rendu est diablement entraînant. Mais il faut l’admettre, pour les accélérations brutales et le bombardement massif, il faut aller voir ailleurs.
Comment juger
All Shall Fall à l’aune de la prestigieuse discographie d’
Immortal ?
On doit d’abord reconnaître au groupe une grande cohérence artistique, même si cela passe par un contenu sans surprise et relativement conforme à ce qu’on pouvait attendre. L’identité
Immortal, qui fait désormais presque figure de marque déposée, est soigneusement entretenue et respectée. La magie indéniable qui se dégage des compositions d’
Abbath est plus que jamais vivace. Le niveau de qualité de la production, froide mais organique, puissante et profonde, lui donne encore une dimension supplémentaire. C’est donc ce caractère ensorcelant, un brin magique et souvent immersif émotionnellement, qui fait la force de All Shall
Burn.
Pour le reste,
Immortal s’est franchement écarté de la brutalité qui caractérisait jusque là son metal extrême. Cela fera grincer quelques dents, mais aurait-il été envisageable de reproduire l’approche ultime de
Sons of Northern Darkness sept ans après ? Pour ma part je ne le pense pas.
Immortal a déjà démontré sa force à ce niveau, et cette propension à renouer avec une certaine profondeur artistique, où mysticisme et noirceur épique refont clairement surface, même au détriment de la vitesse et de la brutalité, remet en lumière le vrai talent d’
Immortal, ce qui fait son unicité et sa légende. J’y vois de manière assez évidente une volonté d’
Abbath et
Demonaz d’emboîter le pas d’un
Bathory dans cette évolution artistique. Cela ne serait guère étonnant quand on sait ce qu’incarne
Quorthon aux yeux du duo.
Immortal sort donc son album le moins brutal depuis At The
Heart Of The
Winter. Mais
All Shall Fall incarne un
Immortal inspiré, presque habité, puissant, monumental, souverain. Donc un grand
Immortal.
Et donc un grand disque.
Mais c'est vrai que les deux époques d'avant sont vraiment mieux : l'époque furieuse finissant avec Battles et les trois albums Heart, Damned et Sons qui sont des monuments.
Du moment que la qualité, l'originalité et la griffe ancestrale d'Abbath sont présents, ça me va.
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