Longévité…
Il y a ces artistes qui, avec le temps, auront produit tellement de choses qu’inévitablement, on fera l’impasse ou oubliera certaines de leurs œuvres. Mais, pardonnés nous serons car l’incroyable longévité de ces créateurs de l’infini fera que toujours, il y aura un fragment de création, d’œuvre dont nous ne soupçonnions pas qu’ils en étaient les investigateurs.
A l’heure où les musiciens fêtent avec brio les troisièmes ou quatrièmes albums, souvent nommés comme les « albums de la maturité », les allemands de
Rage ont depuis fort longtemps dépassé ces considérations d’ordre purement bureaucratique. Ayant passé le cap extraordinaire et bien peu commun des vingt albums studio avec leur précédent disque "
Strings to a Web", auxquels s’ajoutent les compilations, les dvd et les opus live, les teutons peuvent bien s’enorgueillir de ne jamais avoir changé de vision, menés d’une main de fer par le chanteur/bassiste Peavy Wagner. Les musiciens gravitant autour du groupe, dont les changements de line-up furent nombreux, auront tous apporté une touche différente et propre à une époque à un combo qui aura écrit plus de deux cents chansons originales, toutes sous le joug d’un heavy thrash à l’empreinte typiquement allemande, plus ou moins symphonique selon les moments.
Secondé par un guitariste virtuose depuis presque quinze ans en la personne de
Victor Smolski, étudiant puis professeur en musique et composition classique,
Rage a depuis lors proposé des disques de plus en plus ambitieux, cassant le traditionalisme dont ils avaient user lors de leurs premières galettes.
De retour en ce début d’année
2012 avec un nom d’album aussi simple mais impressionnant que le nombre d’opus originaux,
Rage entend bien se surpasser avec un "21" qui risque de surprendre, voir décontenancer, plus d’un fan.
Plus que jamais, Victor, Peavy et le nouveau batteur André Hilgers, se sont mis en danger pour oser de nouvelles sonorités, densifier leur son et aller vers des contrées qu’ils n’avaient pas encore oser fouler du pied.
Si l’opus précédent avait été une jolie surprise notamment pour sa sublime suite symphonique "Empty
Hollow", il était plus décevant sur les compositions plus typiquement metal qui, si elles n’apportaient évidemment rien de neuf (cela n’a jamais été le but), souffraient d’un manque de peps et de fraicheur évidente, écrite de manière automatique sans y insérer la dimension humaine nécessaire à l’émotion et la spontanéité dont doit jouir toute nouvelle œuvre.
Tout le contraire de ce nouveau cru qui débute pied au plancher avec son morceau éponyme destructeur. Une ambiance mystique, mystérieuse et sombre ouvre le disque, avant que la basse du ‘sieur Wagner ne vrombisse. La production est écrasante au possible, pleine d’impact, de feeling et de puissance. A presque cinquante printemps, le teuton chauve fait preuve d’une forme vocale olympique et c’est toujours ce brin rugueux, ce timbre entre agression et mélodie qui sied parfaitement à des riffs thrashy en diable, syncopés et bruts de décoffrage, parfaitement propulsés par une batterie ne tenant pas en place, très technique et cohérente avec la musique. Le refrain entre rapidement dans l’esprit et il est clair qu’un futur hit se prépare sur scène avec ce premier morceau au solo de Victor démentiel et très moderne, presque dissonant (et la partie d’André derrière à faire baver Mike Terrana). A n’en pas douter, les allemands ont mangé du poulet enragé croisé avec un taureau en rut. C’est un véritable bain de jouvence en comparaison des opus précédents.
Ce qui ressort d’ailleurs de cet album, c’est l’image d’un groupe qui accepte son temps et vit avec.
Rage n’est pas bloqué dans un glorieux passé dont il ne voudrait pas être sorti, refusant de s’ouvrir aux influences actuelles. Loin du traditionalisme exacerbé et paresseux du dernier
Iron Savior, mais se rapprochant dans la démarche plutôt d’
Helloween,
Rage ne recule devant rien.
"Forever
Dead" débute sur un riff monstrueux de technique et d’agressivité, martelé à la double grosse caisse, explosant quand Peavy hurle un « Guns Forever » à la limite du thrash/death. Les interventions solistes de Smolski sont d’une vélocité à faire pâlir les plus jeunes gratteux du circuit devant tant de maitrise et de virtuosité et d’efficacité réunis. La puissance qui découle du morceau, et de cette production en béton armé est d’une jouissance dont
Rage ne nous avait pas habitué ces dernières années il faut bien l’avouer. Et encore une fois, le refrain possède ces allures de tube en puissance qui colle une patate monstre à l’auditeur…
"Feel my
Pain" poursuit le plaisir dans une dimension plus mélancolique plus rare. André y démontre toute l’étendue de son talent et de sa classe derrière les futs, déployant un touché aérien superbe (oserais-je dire que j’ai, l’espace d’un instant, pensé au touché de
Cynic ?) conférant une grande sensibilité au morceau, au demeurant toujours aussi puissant, aux vocaux intraitables d’un Peavy pétant le feu. Que dire de "Serial
Killer" et de son approche résolument death, évoluant vers des textures vocales extrêmes complètement inédites pour le vocaliste, s’en sortant de plus avec les honneurs et faisant preuve d’une versatilité peu commune.
Inutile de décrire les morceaux un par un,
Rage signe avec "21" un grand disque qui, s’il ne changera ni la face du monde, ni celui du groupe, démontre qu’un groupe avec autant de disques derrière lui peut encore sonner frais, moderne et surtout surprendre ses fans. Car attendre le trio à ce niveau, avec cette énergie, cette niaque et cette rage (c’est le moment de le dire ahah) propre à vous dévorer cru, n’était pas donné à tous. Les allemands réussissent sur tous les tableaux (même dans l’ultra classique avec "
Destiny", qui explose toutes les compos du groupe dans le même genre depuis dix ans, ou "Death Romantic" et ses nombreux arpèges, très présents sur le disque).
Certes, l’album s’adresse avant tout aux fans du groupe et du heavy thrash en général, mais les autres auraient tort de s’en priver. Il est rare de voir le classicisme aussi ouvert et propre à coller un bon coup de pied au cul de ceux qui sont les premiers à le critiquer. Ouvrez bien grandes vos esgourdes, "21" débarque. Et vous ne serez plus prêt de vous assoir sans coussin tellement il vous aura botté le c…
De là à faire de nos amis de NB des philantropes, j'avoue que ce serait abuser -)
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