Variation on Inductive Theories a beau passé pour une œuvre ambitieuse, elle n’en demeure pas moins le premier album d’un groupe en quête de lui-même. Après trois démos, et un split qui a fait son chemin dans l’underground, même si l’association de malfaiteurs avec le gang chilien
Torturer, aurait pu prendre une dimension légendaire avec d’autres prétendants comme
Edge Of Sanity ou
Vader alors sur les rangs,
Misanthrope est quasiment revenu au point de départ. En effet, Philippe Courtois de l’Argilière, pilier fondateur du groupe, à la tête de son propre label, encore en rodage, Holy Records, est dorénavant seul maître à bord. Certes en ce qui concerne la direction artistique, et l’inspiration, cela ouvre les portes de l'impossible ; en revanche pour enregistrer un album complet, cela se corse vraiment pour l'époque, 1993.
La scène parisienne regorge de groupes en devenir, et l’une des forces de Philippe Courtois, c’est d’être capable de détecter les talents. C’est à l’occasion d’un concert fin janvier 1993 que Philippe reste scotché par la performance de
Krakkbrain, le combo des frères
Moréac. Il retrouve alors Jean-Jacques
Moréac en coulisses, le temps de s'échanger leurs numéros. En réalité, les deux bonhommes se suivent à la trace puisqu’ils s’étaient déjà rencontrés quelques temps auparavant lorsque
Misanthrope se produisait en première partie de The Accüsed en 1992. Le duo Philippe/Jean-Jacques commence à répéter ensemble. Puis de file en aiguille, après avoir intégré le bassiste, c’est au tour du guitariste, Charles-Henry
Moréac, puis du batteur, Ollivier Gaubert, bref tout le line-up de
Krakkbrain y passe, à l'exception du chanteur. L'alliance semble profitable aux deux parties : d’un côté, Philippe a des compos prêtes à être enregistrées, et de l’autre le groupe est rôdé, il ne reste plus qu’à faire le lien. Le temps manque pour cela. Deux mois de répétition, c’est court. Sans compter que les finances font également défaut.
La production restera emblématique des limites techniques et du savoir-faire franco-français du début des années 90's. Le fait que la production soit obsolète dès la sortie de l’album lui confère un cachet qui joue grandement en faveur de l’attachement que l’on peut développer au contact de Variation. Le mixage fait la part belle aux guitares, la rythmique, en particulier la batterie, est reléguée bien loin avec un son très cru, de salle de répète digne du garage de Papy Roger : le son des frappes rebondissant au hasard sur les outils de jardinage et autre bicyclettes datant de l’avant guerre. La basse se montre déjà frondeuse, souvent en contrepoint, même si elle aussi est mixée très en arrière. Donc restent au premier plan des guitares heavy, surplombées de soli tous plus hystériques les uns que les autres, et une voix qui balance entre complaintes théâtrales et growl corrosif. Variation brille par ses phases mid tempo, voire low tempo, lorsque les instruments donnent l’impression de partir en improvisation totale. Concernant le style, l’énigme reste entière, aucun style n’émerge véritablement, en revanche c’est un univers qui s’ouvre à l’auditeur dont les limites semblent en mouvement permanent. Variation est déconcertant, car il ne remplit pas le cahier des charges de l’album de death attendu, autrement dit technique dans le jeu, massif dans la production, identifiable soit par son growl, soit par les atmosphères développées. En même temps comment pouvait-il en être autrement quand on connaît la vénération de Philippe Courtois pour l’inclassable et éternel
Celtic Frost. Cela lui permet d’être déterré près de 30 ans après, et redécouvert avec un grand sourire.
Le feeling qui se dégage de ce premier album, c’est une grandiloquence introvertie, une poésie de l’intime qui tutoie un romantisme noir exacerbé. Les phases atmosphériques ralentissent une instrumentation dispersée. L’impression que chacun fait un peu ce qu’il veut a tendance à nous effleurer, alors que le chef de file ne se dérobe à aucun moment, Philippe Courtois de l’Argilière s’en donne à cœur joie et incite au dépassement ses collaborateurs. Les guitares ne se font pas prier, la basse non plus, la fratrie
Moréac domine son sujet. La batterie a plus de mal à ressortir, en même temps tenir la baraque quand chacun construit son jeu sur son voisin donnant l’impression d’une cacophonie indigeste, cela peut devenir rapidement un casse-tête. Quel tempo suivre ? Quand imposer des variations ? Sur qui se caler si le batteur décide lui aussi d’en rajouter une couche ? Non sincèrement Ollivier Gaubert s’en sort finalement fort bien, même si sa frappe a tendance à passer inaperçue au milieu du chant de bataille.
En définitive
Variation on Inductive Theories, par ses constructions musicales biscornues et inachevées, laisse l’auditeur sur sa faim. En effet, le groupe ne manque ni de technique, ni d’ambition, et Philippe, certainement pas de souffle. Mais quand le groupe doit mettre du poids et de la puissance, il s’emballe sur du riff rock n’ roll comme sur My Black Soul, lorsqu’il peut enfoncer le clou, il suspend son geste comme sur Aquarium mais quand il s’astreint à jouer simple, il percute par un riffing à la fois mélodique et entêtant comme sur l’opener
Solstice of Poetries, Childhood Memories, et atteint son point culminant sur La Demiurge. Cependant une fois qu’on a jeté son bonnet par dessus les moulins, et pris le temps de profiter de certaines incongruités, cet album devient du plaisir en barre. L’agressivité originelle prend une nouvelle dimension alliée à une profondeur baroque sur le point de devenir la marque de fabrique du groupe. L’aventure
Misanthrope ne fait que commencer.
"je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître..."
En revanche, sur le livret, Holy était domicilié à Livry Gargan (93), chez Philippe Courtois, donc pas encore à la Ferté Sous Jouarre.
Enfin, ce n'est qu'un petit détail, histoire de dire que je le possède en original...tout comme les autres albums que j'ai référencé.
Merci pour ce devoir de mémoire.
Je corrige, merci.
Le terreau est là en effet, mais dedans on a encore à faire à une jeune plante fragile qui ne sait pas encore trop vers quelle direction pousser.
Les bougres ont eu une excellente note, et ont ainsi monté leur label, Holy Records, bien connu des fans. Ainsi naquit le label.
Parallèlement, Misanthrope, avec ses influences Celtic Frost assumées, préparait ce premier jet. J'aime bien le terme OVNI, tant ce disque pue l'originalité. Déjà, on percevait le sens de la mélodie, des sons plaintifs, mais aussi le côté théâtral repris ensuite à renforts d'idées personnelles.
Dotée de lyrics recherchés, littéralement très personnels, musicalement originale et plutôt aboutie vu l'époque, cette oeuvre a sans doute marqué ses acquéreurs.
Quelques approximations, comme évoqué dans la chronique, un son unique (mais qui pue le début des 90's), je crois que cet album est finalement parmi les plus attachants du groupe, mélangeant langues de Molière et de Shakespeare avec un sens de la poésie étonnant.
Nombre de ces titres ne s'oublient guère (la doublette qui ouvre le disque, "My Black Soul", et... finalement presque tous les titres tant ils ont leur couleur propre.
Une oeuvre qui fait partie du patrimoine doom/death Français. Moins aimé ce qu'ils ont fait après Misanthrope Immortel, mais ça reste un must-have pour les adeptes de Celtic Frost, période Into the Pandemonium.
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