En écrivant cette chronique je me suis rappelé la lecture d’un article de Rock’n’Folk en
1980 qui présentait les nouveaux groupes de la scène hard britannique (c’était le début de la NWBOHM) dont selon eux, faisait partie la bande à Lynott. Si mes souvenirs sont bons, l’article indiquait que la discographie de
Thin Lizzy devenait réellement intéressante pour un hard-rockeur, à partir de
Nightlife, les trois premier opus étant à ranger au « placard ». S’il est vrai que les deux premiers manquaient de punch, pour ce troisième volet, on a affaire à une autre dimension, incontestablement le meilleur de la période Bell. Mais revenons un petit peu en arrière pour tenter d’en expliquer la genèse.
Après la sortie de Shades of Blue
Orphanage, la carrière anglaise de notre groupe favori a du mal à décoller. En revanche, les trois musiciens font déjà le plein en Irlande, mais c’est un petit pays et l’ami Lynott en veut davantage. Si le jeune Philip est déterminé à devenir un véritable artiste, son orientation musicale n’est pas complètement fixée et sa timidité laisse souvent les honneurs de la scène à Eric Bell. Le groupe tourne beaucoup et même s’il gagne peu d’argent, il évolue rapidement. Sur scène, les artistes doivent étoffer leur set-list de reprises diverses et de ballades irlandaises auxquelles ils donnent un ton un peu plus rock. C’est d’ailleurs, l’une de ces ballades, «
Whisky in the Jar », sortie en single, qui donnera le premier grand succès de
Thin Lizzy, au grand désespoir de Phil Lynott qui aurait préféré l’une de ses compos.
C’est donc après les retombées de ce premier succès que le troisième album commence à être travaillé. Si pour les deux premiers, il s’agissait de répondre à une commande du label, ce qui explique que l’on y retrouve des anciennes compositions de Phil Lynott, pour ce troisième essai, les artistes sont prêts à prendre les choses en main. Il est enregistré dans les studios londoniens du label Decca avec le producteur Nick Tauber avec qui nos vagabonds avaient déjà travaillé. L’enregistrement est fait dans de bonnes conditions et surtout sans précipitation, c’est pourquoi, la production me semble bien meilleure. L’accueil critique a d’ailleurs été positif et l’album s’est vendu davantage que les précédents.
C’est également dans le souci de mieux suivre l’élaboration de l’ouvrage que Phil Lynott prend contact avec le peintre et illustrateur
Jim Fitzpatrick. En effet,
Vagabonds of the Western World est le début d’une collaboration fructueuse et d’une amitié entre le peintre et le musicien.
Jim Fitzpatrick est célèbre en Irlande pour avoir illustré des épisodes de la mythologie celtique et il est connu mondialement pour être l’auteur du fameux portrait stylisé du Che que l’on retrouve un peu partout. Quand à l’illustration de l’album, très proche d’un style BD, elle présente les trois musiciens sur fond de paysage de science fiction.
Pour revenir au contenu musical, on ne peut que se réjouir de constater que
Thin Lizzy a su trouver une cohérence qui se traduit par une véritable énergie. Le groupe ne renie évidemment pas ses influences. On sent bien le coté rythme and blues et même funk sur des morceaux comme
Mama Nature Said ou Gonna Creep Up On You. Le folklore irlandais reste une valeur sûre et s’entend sur
Vagabond of the Western World ou dans les paroles de The héros and the Madman. Enfin, le blues reste un des fondamentaux du groupe avec
Slow Blues et l’inoubliable
The Rocker. Même les deux ballades, passage obligé chez nos Irlandais, Little
Girl in Bloom et A song for While I’m away ont su capter toute leur énergie et leur enthousiasme.
Phil Lynott n’est pas un adepte de la simplicité et nombre de ses compositions s’enrichissent de coupure de rythme et d’apport d’autres instruments. Ainsi, on notera la participation du musicien Fiachra Trench sur la ballade A song for While I’m away dont l’orchestration donne toute sa force à cette super mélodie. Convaincu, Lynott fera à nouveau appel à lui pour ses albums solos. Comment ne pas évoquer la richesse d’un
Slow Blues qui est un véritable morceau du début des seventies, un blues rock quasi psychédélique avec le groove en plus.
Lynott qui a une perception imagée de sa musique aime introduire ses compositions comme s’il voulait nous raconter une histoire. Ainsi les percussions ouvrent
Slow Blues ou
Vagabonds of the Western World, alors que c’est le frontman lui-même qui avec sa basse nous introduit dans The Héros and the Madman, Gonna Creep Up On You ou encore Little Girls in Bloom. Sur la fin de ce dernier morceau, on sera attentif à la guitare doublée qui préfigure le jeu à deux guitares adopté par la suite.
On a donc un très bon album de rock qui est à la fois blues et dynamique, mélodique et groovy. Mais, il fallait sans doute un ouvrage comme celui-ci pour permettre à Eric Bell de donner la pleine mesure de son talent. Les qualités du guitariste se sont exprimées sur la plupart des extraits et c’est grâce au « hard-blues »
The Rocker que le musicien montre qu’il fait partie du panthéon de la saga
Thin Lizzy La version interprétée par Bell est vraiment extraordinaire. Encore une fois quel guitariste ! Ecoutez ce solo, il est à pleurer, son interprétation est bien plus blues que lorsqu’il est joué par ses successeurs. Malheureusement, c’est sur la tournée qui suit la sortie de l’album, après un concert lamentable à Belfast, dans les brumes épaisses de l’alcool que le musicien finit par renoncer à continuer la route. Il sera remplacé au pied levé par un jeune guitariste,
Gary Moore. Mais, c’est une autre histoire qui commence…
Quant à Whiskey in the Jar, que tu évoques, c'est pour moi un titre complètement raté. J'ai connu ce morceau dans les pubs irlandais, enfumés et dégoulinant de Guinness, dans sa version purement folk, celle des Dubliners: elle est infiniment plus tonique et jouissive que la mollassonne interprétation de Lizzy!
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