En ma folle jeunesse, j'étais obsédé par
Deep Purple et
Van Halen et me suis laissé emporter par la vague de la NWOBHM. Au point de négliger des fondamentaux que j'ignorais alors et de me montrer injuste envers d'authentiques œuvres : au nom d'un goût aussi douteux qu'incertain, j'avais de prime abord condamné ce «
Fighting » comme étant mou du genou. J'ai vieilli, hélas. Mais j'ai heureusement mûri sur certaines choses (je ne prétendrai pas en toutes). Et mon opinion sur cet album a grandement évolué.
Thin Lizzy est déjà un vieux routier lorsque sort «
Fighting » en 1975. Déjà quatre albums au compteur, à la personnalité marquée, hétéroclites et un brin foutraques, mais qui leur vaudront toutefois un bon début de succès. Composé d'un emblématique bassiste-chanteur, d'un batteur et d'un, puis deux guitaristes à partir de 1974, résolument électrifié, le groupe avait les moyens de s'imposer dès le début dans ce genre nouveau et contrasté qu'était alors le
Hard Rock. Il n'en émerge qu'un Blues-Rock mâtiné de Folk et non exempt de certaines naïvetés popisantes. Certes, le matériau est excellent et on aurait tort de négliger ces premières sorties : certains titres résisteront au temps et accompagneront le groupe jusqu'à la fin, tels l'énergique
The Rocker ou la touchante ballade Still in Love with You. Mais il manque encore quelque chose : un liant, un style. Chaude et profonde, la voix de Phil Lynott est celle d'un Bluesman né, mais on sent qu'il a autre chose dans les tripes. La cohésion du groupe laisse à désirer, il se perd dans d'inutiles complications et peine à faire naître un véritable projet collectif.
En enregistrant «
Nightlife », Scott Gorham et Brian Robertson, les nouveaux guitaristes, ne savaient trop comment se placer aux côtés des membres originels et vieux copains qu'étaient Phil Lynott et Brian Downey. Des mois de tournées vont y remédier. Début 75,
Thin Lizzy joue aux USA en compagnie de
ZZ Top et de Bob Seger, auquel le groupe empruntera le titre d'ouverture de «
Fighting », Rosalie. Les foules répondent mieux aux titres puissants et rapides et le groupe s'y complaît, esprit de l'époque oblige. La fluette Élisabeth se découvre une âme de tigresse ; en fin d'été 1975, elle débarque aux Olympic Studios de Londres avec un projet de tueur.
Le conseiller artistique de
Vertigo auprès du groupe, Nigel Grainge, s'en émeut. « Au moins 4 ou 5 pistes de «
Fighting » sonnaient faux pour
Thin Lizzy, dit-il. Elles étaient forcées, dures jusqu'à l'absurde ». On s'assied dans un coin, on papote, le groupe accepte de revoir sa copie et revient 15 jours plus tard avec un projet sensiblement révisé. Phil se charge lui-même de la production, avec l'assistance de l'ingénieur du son Keith Harwood (Led Zep, The Rolling Stones). Au même titre que les longues tournées, l'intense travail réalisé en studio va donner à
Thin Lizzy un véritable esprit collectif : à son terme, le groupe avait trouvé son style définitif et pouvait commencer à creuser son glorieux sillon.
La pochette du disque donne le ton. On oublie les images oniriques et futuristes des précédents opus : le groupe s'affiche dans des postures de bad boys (très bientôt back in town). Il délivre un
Hard Rock racé dont les relents bluesy et folk (irlandais) bien perceptibles sont transcendés par la nouvelle énergie et la communion à l’œuvre parmi les musiciens. Le titre
Suicide en est l'illustration, pont entre l'ancien et le nouveau
Thin Lizzy : composé en novembre 1972, au temps où Eric Bell était le seul guitariste, il est pleinement intégré et revivifié dans un contexte résolument
Hard. Gorham et Robertson s'y livrent les fameux duos de guitare qui feront la marque du groupe tout en soutenant et soulignant avec une efficacité pleine de pertinence les lignes de voix et de basse de Phil Lynott (oui, avec Lizzy, on peut arriver à dire que les guitares soutiennent parfois la basse).
Rosalie, cover de Bob Seger, est tout aussi exemplaire : je ne peux m'empêcher de trouver dans le riffing une petite similitude avec les tout premiers
AC-DC. Un monde (en plus d'un hémisphère) sépare le blues crasseux des Australiens du blues classieux des Irlandais. Mais les réunit une commune volonté de subvertir les normes, de violenter les canons du genre.
On doit également souligner la qualité du songwritting plein de justesse et d'imagination de Lynott. Il n'hésite pas à donner comme souvent la part belle à l'histoire de son île natale, pleine de souffrances, de famines, d'oppression et de révoltes.
Wild Ones est un hymne émouvant aux Oies Sauvages, ces Irlandais qui suivirent en exil Jacques II, leur souverain vaincu à la bataille de la Boyne, pour combattre loin de leur patrie au service des armées de Louis XIV.
Freedom Song, dont les paroles sont un écho de celles de la chanson traditionnelle
God Save Ireland, est rien moins qu'une timide préfiguration de l'immortel Roisín Dubh, moins emphatique, plus délicat, tout aussi poignant.
Philomena Lynott, la mère de Phil, gérait à Manchester le Clifton Grange Hotel ; son bar était fréquenté par des vedettes du showbiz et du sport, ainsi que par d'authentiques voyous (dont un certain « Jimmy the weed »!), avec lesquels le leader de
Thin Lizzy développa parfois des relations d'amitié. Parmi eux, le joueur de Manchester
United George Best, originaire de Belfast, se voit dédier le trépidant For those who Love to
Live, plein de finesse et de lumière, au superbe final crescendo. Les voyous ne sont pas oubliés : ils ont clairement inspiré l'énergique et syncopé
Fighting my Way Back et le menaçant
Ballad of a
Hard Man.
King's
Vengeance, aux scintillantes parties de guitare, est un titre où Lizzy donne libre cours à un sens mélodique que vient maintenant muscler une rythmique solide. Par ailleurs, le groupe démontre avec l'enjôleuse ballade
Spirit Sleeps Away sa désormais parfaite maîtrise de l'exercice. Quant à
Silver Dollar et son faux air de boogie ralenti, je le classerais plutôt en retrait mais je soupçonne fort que ce ne soit là que pure subjectivité. Que les choses soient claires : ce disque est une splendide réussite et inaugure avec bonheur le véritable début de carrière de ce groupe de légende.
Ainsi s'achève une chronique en forme d'acte de contrition, moi qui n'ai su percevoir d'emblée la qualité de ce «
Fighting ». Mais après tout, j'ai aussi un contentieux avec Phil Lynott : je ne peux lui pardonner d'être mort avant de m'avoir laissé l'occasion de le voir en concert. En ce moment, il est en train de jammer en Enfer avec Bon Scott et pas mal d'autres regrettés disparus. Je ne suis pas particulièrement pressé, mais je sais qu'un jour je réglerai mes comptes avec lui.
Groupe culte et essentiel à redécouvrir pour certains....
commencez par Live Life !
Thin lizzy, c'est pas de la musique c'est .... oui je sais je radote :)
Merci pour cette belle chronique !!
« Fighting » appartient pour moi aux disques de grande classe, aux chefs d’œuvre du hard rock des années 70.
On y retrouve en effet tout le charme redoutable de Thin Lizzy, à savoir ce son de guitare si particulier (les connaisseurs parleront de ces accords à la tierce si caractéristiques ), ce coté à la fois direct et sophistiqué, gentleman séducteur et bagarreur de rue, ce mélange de puissance et de mélodie noyé dans un feeling sonnant irrésistiblement rock.
Pour moi le rock et son cousin le hard rock n’ont jamais été aussi bon que lorsqu’ils se sont enrichis d’autres influences tout en parvenant à garder leurs fondamentaux.
C’est ce que Thin Lizzy est parvenu à faire dans les années 70 synthétisant une forme supérieurement novatrice de hard rock.
Ce groupe est pour moi à l’image de son regretté chanteur, métisse Afro-Brésilien et Irlandais capable d’intégrer aussi bien la culture noire que la culture celtique dans sa musique.
Comme sans doute son modèle Jimmy Hendrix, Phil Lynott synthétisait donc inconsciemment les cultures africaine et européenne ce qui donna à son hard rock ce son si particulier et envoûtant.
Il est pour moi toujours gênant de constater combien ce groupe est tombé dans un (relatif ) oubli aujourd’hui.
Chronique complète sur mon blog : https://lediscoursdharnois.blogspot.com/2021/03/fighting-thin-lizzy.html
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