Projet plus ou moins amateur dans une Suède alors davantage connue pour les chansonnettes disco d'ABBA que pour sa scène
Hard Rock/
Metal encore balbutiante,
Bathory peut s'enorgueillir en 1985 d'un beau succès surprise dans le monde de l'underground avec la sortie de son album éponyme, “
Bathory”, l'année précédente. Considérée par beaucoup comme le tout premier “vrai” album de Black
Metal (
Venom pouvant néanmoins revendiquer la paternité du terme et une bonne part du concept), cette œuvre noire, primitive et impie a ouvert de nouvelles perspectives en matière de bestialité musicale, tout en imposant d'entrée de jeu une personnalité sinistre et mystérieuse qui, elle aussi, fera école. Pour le groupe, et en particulier sa tête pensante le guitariste-chanteur
Quorthon, se pose alors la question de comment faire fructifier au mieux cette réussite inattendue.
Si un E.P. semble dans un premier temps le moyen le plus rapide de battre le fer quand il est chaud, l'idée est rapidement abandonnée en raison de délais de production trop courts et les titres composés pour l'occasion atterrissent à la corbeille. À la place, un album complet est mis en chantier, non plus aux rudimentaires studios Heavenshore où le disque précédent avait vu le jour (en réalité le sous-sol d'un garage situé dans la banlieue sud de Stockholm), mais aux nettement plus professionnels studios Elektra, où
Bathory avait déjà enregistré début 1984 deux titres pour la compilation “Scandinavian
Metal Attack”. Ce choix, rendu possible par le succès du premier opus, indique que le groupe et son label (réel ou supposé*) prennent désormais le projet suffisamment au sérieux pour y investir une somme d'argent conséquente. Ce relatif confort ne permettra néanmoins pas de résoudre les problèmes notoires de
Bathory en matière de line-up, puisqu'à peine l'enregistrement démarré,
Quorthon doit se séparer de son bassiste nouvellement recruté pour cause d'usage un peu trop prononcé de substances illicites… Il finira par enregistrer lui-même la majeure partie des lignes de basse et sera donc, avec le batteur Stefan Larsson (déjà derrière les fûts sur le disque précédent), quasiment l'unique artisan du nouvel album. Déjà se profile ce que sera le destin de
Bathory qui, à terme, deviendra le “one man band” que l'on sait… Mais pour l'heure, le jeune Suédois caresse encore l'espoir de constituer un groupe en bonne et due forme, voire de monter sur scène et de partir en tournée à l'issue des enregistrements.
Le disque, un temps intitulé “
Revelation of
Doom”, est ensuite appelé “
The Return of the
Darkness and
Evil” en référence à l'un des deux morceaux présents sur “Scandinavian
Metal Attack”, mais aussi aux deux faces "
Darkness” et "
Evil” de l'album précédent. En fin de compte, c'est simplement “
The Return…” qui est retenu. Dans une volonté de s'éloigner des poncifs sanguinolents qui envahissent déjà la scène Thrash/Death
Metal de l'époque, une photo d'une étonnante sobriété – la lune bordée de nuages nocturnes – est finalement sélectionnée pour figurer en couverture, en lieu et place de la gravure moyenâgeuse démoniaque initialement envisagée. De même, la liste des titres au verso, au lieu d'être énumérée de manière chronologique classique, s'inscrit dans une sorte de poème maléfique où les noms des chansons ressortent en majuscules.
Comme son prédécesseur, “
The Return…” s'ouvre sur un long morceau d'ambiance intitulé “
Revelation of
Doom”, recyclant ainsi le titre initialement prévu pour l'album. Longue de presque trois minutes et demie, cette introduction composée de grondements sourds, de larsens de guitare saturés et de râles tourmentés débouche de manière abrupte sur le premier véritable titre de l'album, “Total
Destruction”. Traitant de la fin du monde, cette chanson brutale et rapide reprend de manière immédiatement reconnaissable les ingrédients du premier album : des guitares grésillantes à souhait, des riffs élémentaires répétés en boucle, une voix éraillée rehaussée d'une réverbération sépulcrale, des blast beats incessants servis par une batterie pas toujours très en place… Malgré ses imperfections techniques et son son crasseux (on ne peut pas dire que la plus-value des studios Elektra saute aux oreilles…), l'ensemble dégage une agressivité et une malveillance palpables, prouvant s'il était encore besoin que
Bathory est un groupe beaucoup plus extrême que
Venom, auquel il reste pour l'heure encore systématiquement comparé.
Le tempo ralentit pour le titre suivant, “
Born for
Burning", écrit en hommage aux victimes de l'
Inquisition qui périrent sur le bûcher, et plus particulièrement à Marrigje Ariens, sorcière brûlée en Hollande en 1591. La chanson décrit le calvaire de la malheureuse, dont les liens avec le Diable la protègent néanmoins de la morsure des flammes et lui promettent la vie éternelle aux côtés de
Satan. Si le thème de la sorcellerie n'est pas nouveau pour
Bathory, il s'agit là incontestablement d'un des titres les plus heavy jamais écrits par
Quorthon à l'époque, avec un riff certes simple mais très efficace** et un refrain particulièrement entêtant. Notez que sur la version CD que je possède, ce titre souffre de problèmes de son aux alentours de 2:50 ; j'ignore s'il s'agit là d'un défaut des bandes originelles ou s'il ne se trouve que sur certaines éditions.
La vitesse reprend le dessus avec “
Wind of
Mayhem”, où il est question d'un souffle démoniaque apportant avec lui la guerre et le chaos. Comme “Total
Destruction” avant elle, cette chanson est caractérisée par un riffing simple, voire simpliste, et un martelage de caisse claire assez répétitif… C'est à cette occasion que commence à apparaître ce qui sera l'un des principaux défauts de “
The Return…” : certaines compositions tournent vite en rond et peinent à se différencier les unes des autres, finissant par donner une impression de monotonie qui se trouve encore renforcée par ce blast beat extrêmement basique que pas le moindre roulement ne vient jamais aérer. Heureusement, deux solos aux tonalités maladives et malsaines viennent rehausser l'intérêt de la composition, injectant un peu de mordant dans un titre qui, par ailleurs, brille plutôt par sa banalité. C'est donc avec soulagement que l'on passe au morceau suivant, l'excellent “
Bestial Lust (
Bitch)”, où
Quorthon nous décrit par le menu les appétits de luxure d'une jeune fille visiblement assez peu farouche. D'influence clairement “motörheadienne”, cette chanson est sans aucun doute la plus “Rock'n'Roll” de l'album et demeure, à ce jour encore, l'un des classiques emblématiques de la discographie de
Bathory (les Anglais de Cradle of
Filth en feront d'ailleurs une très bonne version en 2004 et les Polonais de
Behemoth lui rendront un bel hommage au début de leur carrière avec le titre “
Pure Evil and
Hate” sur la démo “
And the Forests
Dream Eternally”). C'est sur cette petite bombe subversive que s'achève la première face du disque, baptisée face “
Darkness” comme sur l'album précédent.
La seconde face, dite face “
Evil”, s'ouvre sur “
Possessed”, une chanson rapide et sans concession sans doute placée là pour redémarrer l'écoute sur une décharge d'agression comparable à “Total
Destruction”. Pari à moitié gagné seulement, car “
Possessed”, composée dans un esprit proche de “
Wind of
Mayhem”, s'avère routinière et sans grande saveur : faisant référence à la lune de la pochette et à son influence néfaste sur le narrateur, c'est un nouvel exemple de titre où, si la noirceur et la violence sont certes prégnantes, l'auditeur ne retient pas grand chose de la chanson une fois celle-ci terminée. Heureusement, la guitare de
Quorthon vient une fois encore nous gratifier d'un solo torturé et mortifère qui permet tout de même au morceau de décoller dans sa dernière partie.
S'ensuit heureusement une paire de chansons plus intéressantes composant le diptyque “
Rite of
Darkness/
Reap of
Evil”. Il s'agit de deux compositions distinctes mais qui s'enchaînent sans transition, donnant l'illusion de ne former qu'un seul et même titre (les deux pistes seront d'ailleurs amalgamées en une seule sur la réédition remasterisée de 2003). La première est un mid-tempo au riff classique mais entraînant décrivant une messe noire avec tous ses clichés (sacrifices humains, orgies sexuelles, invocations infernales…), tandis que la seconde est un titre plutôt rapide décrivant à nouveau la fin du monde et le triomphe des forces du mal. Malgré le manque d'originalité de “
Reap of
Evil”, qui a tendance à tomber à son tour dans les travers évoqués plus haut, on notera avec intérêt le passage central, lent et lourd, où
Quorthon éructe en voix caverneuse, préfigurant en cela le chant Death
Metal dont la popularité explosera dans la seconde partie de la décennie.
Hélas, “Son of the Damned” et “
Sadist”, les deux titres suivants, n'ont rien de bien exaltant, chacun appliquant à la lettre la formule riff basique + blast beat répétitif + thème “evil” standard sans grand intérêt. “
Sadist” se distingue tout de même par son final heavy qui, sans être d'une folle originalité, permet tout de même de rompre avec la monotonie des minutes précédentes.
C'est après ces deux demi-déceptions qu'arrive enfin l'un des meilleurs titres de l'album, le fort bien nommé “
The Return of the
Darkness and
Evil”, dans une version entièrement revue par rapport à celle de la compilation “Scandinavian
Metal Attack”. Au placard l’inspiration Motörhead de la chanson originale, la musique s’est ici considérablement noircie et adopte sans contestation possible la parure résolument Black
Metal du reste de l’album. Si cette nouvelle interprétation laisse un instant redouter un énième morceau aussi véloce que monotone en raison de la rythmique modifiée des couplets, elle en reprend bien vite le refrain incantatoire, véritable ode au Malin et aux puissances des ténèbres. Un hurlement de femme, que l'on devine offerte au seigneur cornu, précède le final apocalyptique, où la guitare démente de
Quorthon met à mal nos pauvres oreilles. Une herse qui s'abat (ou la lame d'une guillotine, selon l'interprétation de l'auditeur) vient mettre un terme abrupt et définitif à la fois à la chanson et à la seconde face du disque, qui s'achève ainsi avec brio sur son titre éponyme. Une “Outro” lugubre d'une vingtaine de secondes se fait néanmoins entendre après cet ultime assaut, reprenant fidèlement celle de l'opus précédent et instaurant une tradition qui se perpétuera sur de nombreux albums.
Considéré en son temps comme “l'album le plus maléfique jamais enregistré”, “
The Return…” s'avère au final une œuvre inégale. Par bien des aspects, il renforce et prolonge l'influence séminale de son cultissime prédécesseur, poussant la morbidité, l'agression musicale et la provocation blasphématoire dans des retranchements jamais atteints auparavant : en témoignent les innombrables groupes de la “seconde vague du Black
Metal” qui, une décennie plus tard, revendiqueront son influence et ne se priveront pas d'y piocher moult reprises (
Marduk,
Satyricon,
Watain,
Satanic Warmaster ou
Tsjuder pour ne citer que les plus connus). La voix de spectre adoptée par
Quorthon sur ce disque établira également le standard pour bien des productions à venir, et rarement solos de guitare n'auront sonné de manière aussi glaciale et décharnée. Pour autant, force est de constater que, pour chaque titre marquant, le disque compte au moins un morceau au mieux banal, au pire médiocre.
C'est donc un nouveau chapitre mitigé que
Quorthon et ses acolytes du moment nous proposent en cette année 1985. À l'instar de son alter-ego britannique
Venom, le groupe aurait alors pu s'embourber dans une stagnation artistique d'où il aurait été ardu de s'extirper. Fort heureusement, il n'en sera rien et
Bathory saura se reprendre dès son disque suivant, l'imparable “
Under the Sign of the Black Mark”. De la trilogie satanique constituant la première période de
Bathory, “
The Return…” constitue à n'en point douter le maillon le plus faible, et ce, malgré l'indéniable succès commercial qu'il connut à sa sortie. Nonobstant ses défauts, il n'en comporte pas moins quelques morceaux essentiels dans la longue généalogie du
Metal extrême, et rien que pour son aspect historique, même le plus occasionnel des amateurs sera probablement tenté, un jour ou l'autre, de l'inclure dans sa collection.
11/20 pour les titres les plus faibles, 17/20 pour les meilleurs et 1 point bonus pour son statut référentiel et "kvlt”, ça nous fera un bon petit 15/20 pour ce “Retour des Ténèbres et du Mal”.
All hail
Quorthon, all hail the Hordes!
* Le label Black Mark Productions fut longtemps présenté comme une subdivision du label pop/rock suédois Tyfon Records, spécialement créée en 1984 pour distribuer les disques de
Bathory. Mais en 1998,
Quorthon déclara que Black Mark Productions étaient en fait une entité fantôme inventée de toutes pièces par le groupe pour faire croire que celui-ci avait une vraie maison de disques derrière lui et ainsi gagner en crédibilité. Ce n'est qu'en 1991-92 que Black Mark Productions serait devenu le véritable label que l'on connait aujourd'hui. Cela dit, si l'on prend en compte les incertitudes qui planent sur les premières années de la formation (notamment le rôle exact du producteur Börge “
Boss” Forsberg) et les déclarations souvent contradictoires de
Quorthon au fil des ans, il reste à ce jour bien difficile – comme souvent avec
Bathory – de déterminer où s'achève la vérité et où commence la légende.
** Sans vouloir relancer la polémique, signalons tout de même que le riff de “
Born for
Burning” ressemble note pour note à celui de “Don't
Burn the Witch” de
Venom, paru trois ans plus tôt sur l'album “Black
Metal” et traitant également de sorcières… Un motif décidément fort apprécié, puisqu'on le retrouvera encore, sous une forme à peine altérée, dans la chanson “
War” du premier album de
Burzum quelques années plus tard !
Ce que je pensais être une discussion entre passionnés va à n’en point douter tourner en eau de boudin et, puisque tu fais allusion à mon âge, j’ai justement passé celui de me chicaner comme un gosse avec des murs d’incompréhension – pour ne pas dire de mauvaise foi – sur Internet (et ce, surtout pour des sujets aussi légers que la musique… Détend-toi mon ami, on n’est pas sur les forums de Libé !).
Contrairement à ce que tu sembles penser, l’agressivité et les procès d’intention ont plutôt tendance à révéler la faiblesse de l’argumentation de celui qui s’en sert qu’à la renforcer, mais là encore, libre à toi de mener les débats comme tu l’entends ; tu me permettras néanmoins de me retirer à présent de celui-ci, dont la tournure commence à me déplaire.
Je te souhaite une belle année 2017 qui t’apportera, je n’en doute point, moult occasions d’exercer ton zèle.
Bien cordialement.
(Mais où est-ce qu’il a bien pu lire que je reprochais à “The Return…” d’avoir des influences Venom ???…)
Est-il judicieux de faire un track-by-track sur cette oeuvre, ça je ne sais pas, car de ce que je m'en souviens, c'est quand même très "bloc", comme skeud, non ?
Si j'adore complètement UTSOTBM, je connais du coup très mal ce The Return... à l'origine de tout un courant musical, ce qui n'est pas la moindre des qualités, à n'en pas douter.
Par contre, l'écrit d'un certain Wizzor dessous pourrait aisément être supprimé du site.
La coupe de cheveux en quatre peut faire peur… Et des coupeurs peuvent distiller inutilement une sale ambiance.
Je suis d'autant plus content d'avoir délaissé ma paire de ciseaux.
Bravo pour ce papelard sacrément charpenté qui correspond exactement au ressenti que moi et mes potes avions eu de cet album à sa sortie en 1985: c’est méchant et brutal, mais au final assez répétitif, surtout comparé aux albums terribles qui sortaient ou étaient déjà sortis à la même période (Slayer par exemple, qui était sacrément au-dessus en matière de composition et de technique). C’est d’ailleurs pour ça que mon frangin me l’avait refilé, c’était trop bourrin pour lui, héhé! Par contre la suite de la disco de Bathory redevient géniale dès le suivant (Quorthon a du se rendre compte de lui-même que poursuivre aveuglément dans cette voix menerait dans une impasse). Je l'aime bien quand même cela dit.
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