Durant l’été 1989,
Quorthon est de retour aux Heavenshore Studios de Stockholm en compagnie de l’ingénieur du son
Boss, pour l’enregistrement de son cinquième album, alors que la majorité des groupes extrêmes n’en sont qu’à leurs balbutiements. Notre mastermind est de nouveau accompagné de Vvornth et Koothar, tout du moins crédités en tant que batteur et bassiste sur le livret de l’album.
Toujours produit par le label Blackmark Productions de Borje Forsberg (le père de
Quorthon),
Bathory bénéficie, cette fois, d’une distribution Noise International sur le territoire européen, en lieu et place de l’écurie Under One Flag pour les quatre premiers albums. Nous étions encore quelques mois avant que Blackmark ne vole de ses propres ailes et réédite toutes les oeuvres à son compte.
Hammerheart paraît ainsi en juin 1990, assorti d’une peinture de Sir Frank Dicksee, « A Vikings Last
Journey », succédant brillamment à « La Chasse Sauvage d’
Odin » de Peter Nicolai Arbo.
Comme le morceau éponyme de l’incontournable
Blood Fire Death pouvait le laisser entendre,
Bathory s’éloigne du black et du thrashmetal dès ses débuts, renforçant notoirement le côté atmosphérique et épique de ses compositions.
Outre une musique moins violente et plus aérée, la principale évolution de
Bathory réside dans le chant clair de
Quorthon, ayant abandonné les vocaux noirs d’
Under the Sign of the Black Mark et quasiment le chant arraché de
Blood Fire Death.
Le bruit des vagues, symbolisant la sépulture en feu d’un chef viking livré à la mer, ouvre
Hammerheart et enchaine sur un passage acoustique et le chant posé de
Quorthon, avant que le ton ne se durcisse avec l’arrivée massive du couple basse/batterie de Vvornth & Koothar et des guitares saturées du leader. Le rythme reste toutefois middle tempo et la musique dominée par un chant éthéré et par la présence de choeurs, qui confèrent une dimension épique durant les onze minutes du morceau. Enfin, Si le chant clair de
Quorthon reste perfectible, il n’en reste finalement que plus authentique, donnant ce parfum de terroir si naturel.
Sensiblement moins longs et plus durs, notamment dans le chant plus rageur de
Quorthon,
Valhalla et
Home From
Once A
Brave lancent quelques riffs purement thrash à l’auditeur, tout en le plongeant au coeur des épopées viking, renouant en partie avec les ambiances dures de
Blood Fire Death et renfermant une force intérieure peu commune. Toujours dirigé par ses choeurs, son véritable fil conducteur,
Hammerheart enchaîne alors sur des Baptised in
Fire and Ice et Father to Son, plus planants mais tout aussi poignants, sans compter sur la superbe ode acoustique Song to Hall Up High.
Il fallait alors un hymne de choix pour clore ce brillant hommage à la culture nordique, l’imparable One Rode to Asa Bay, le premier clip de
Bathory (diffusé sur M6 !) et le morceau le plus atmosphérique et le plus heavymetal de l’oeuvre. Dix minutes durant lesquelles la qualité de la mise en place et de l’interprétation laisse béat, malgré une technique assez simple, un titre où les émotions se succèdent, renfermant en son sein un solo des plus saisissants.
Tour à tour guerrier et serein, comme pour conter les expéditions Vikings et le retour à la Terre,
Hammerheart possède avant tout une âme et donne ce sentiment de plénitude, se nourrissant du folklore et de la mythologie nordique, véhiculant des valeurs fortes comme la paternité ou le respect de ses morts. Catalogué comme album de vikingmetal dès sa sortie, à défaut de pouvoir le ranger dans une quelconque étiquette, tant il emprunte à la fois au thrash ou au heavymetal, le cinquième album de
Quorthon marque ainsi une évolution importante dans la carrière de
Bathory, se posant comme l’album déclencheur d’un genre qui ne cessera de prendre de l’ampleur quelques années plus tard.
Fabien.
La typologie des genres est un vaste domaine. Ce qui suivra ne saurait en aucun cas être considéré une chronique, puisqu'il s'agit plutôt d'un examen subjectif. Mais au vu des émotions que Hammerheart a suscitées en moi et sa réécoute attentive tout au long du confinement, l'envie était trop forte que de passer sous silence toutes les sensations que j'éprouve à l'écoute de l'album. Je me suis donc permis d'ajouter une incise à la belle chronique de Fabien. Pardon si cette digression est quelque peu disgracieuse.
Il n'est jamais aisé de s'attaquer à un monument ; on se sent petit, minuscule. L'image du metalhead face à Hammerheart est similaire à celle de Pétrarque face au géant de Provence : on comprend subitement sa finitude, sa petitesse dans l'immensité du macrocosme.
Quorthon a sans doute réalisé son chef-d'œuvre en composant Hammerheart. Quelle poésie s'exhale tout au long de l'album ! Quittant les froides contrées de ses premières années black metal, on voit poindre ici le printemps et le dégel des glaces hivernales qui permettront à sa horde de barbares d'embarquer sur leurs drakkars en bois de chêne. Ainsi, sous l'égide d'Odin et Thor, les Vikings entament leur périple ancestral afin de piller et massacrer les peuples d'Europe de l'ouest. Car voici en quoi consiste l'idéal viking : une longue attente du printemps, une soif d'aventure qui s'incarne dans un long voyage vers l'inconnu, une quête de gloire en répandant partout la mort et en livrant les rivages étrangers aux flammes. Une vie simple faite du devoir de ne pas démériter des ancêtres, que la bravoure filiale soit à la hauteur de celle des aînés. Et les riffs de Quorthon sont la bise qui agite la chevelure des braves Vikings et sa litanie invoque la bienveillance des dieux pour que les vaisseaux ne sombrent pas. En effet, même si feu Quorthon se rêvait guerrier, selon la tripartition des castes duméziliennne, tenait-il davantage du hiérophante : Quorthon est le dernier surgeon d'une longue tradition et nous livre avec Hammerheart le dernier chapitre des Eddas. Une certaine forme de cyclicité émane de Hammerheart, chaque morceau s'imbriquant dans l'autre et donnant à l'ensemble une apparence d'éternel retour. Le preux viking, après une vie faite de maintes traversées de la mer, s'embarque ainsi pour son dernier voyage. Il ira rejoindre ses prédécesseurs au Valhalla, où il continuera à livrer la guerre sempiternelle.
Pour autant, rien n'est fini. C'est à une nouvelle génération d'inspirer la terreur aux peuples d'ailleurs. De là, la tradition du baptême par la neige et le feu. Deux éléments qui définissent bien l'âme viking : des gens du nord brûlant de croiser le fer et dont la plus belle fin imaginable est le trépas sur le champ d'honneur. Ainsi, père et fils se retrouvent face à face, miroir l'un de l'autre. L'ancienne génération véhicule à la nouvelle les mêmes valeurs qui ont fait la grandeur des aïeux là-haut dans les cieux. Et le seul devoir de l'enfant est de respecter la terre du nord, celle des braves de naguère, l'immense mer, les vents, les bois, où les démons se réfugient durant la clarté du jour, et de porter en soi, dans son cœur, les insignes vikings que sont la glace et le feu. Ces Vikings barbus sont des hommes dont les noms mêmes rappelent le fer frappant l'enclume, rien en eux n'évoque la féminité. Hammerheart est un univers d'où la femme est absolument forclose. Comme si le père eût porté lui seul l'enfant auquel il eût légué tout seul son patrimoine génétique et culturel. Et cette tradition est le seul trésor du viking, à travers lui vit encore une pléiade d'autres vikings que sont ses aïeux. Sur les épaules de l'enfant pèse un lourd fardeau, la demeure et l'honneur des ancêtres.
Pourtant, dans cet univers dont la rotondité semblait parfaite, une forme d'altérité s'est infiltrée et en a rompu tout l'équilibre. Avec des accents mélancoliques, quasi désespérés, on assiste en dernière instance au désaveu de tout ce qui fit la beauté viking. La naïveté de la voix du hiérophante nous rappelle presque la candeur des chansons de geste médiévales. Un nouveau culte supplante les traditions de jadis et une nouvelle liturgie s'impose, jetant aux oubliettes tout ce qui fit la beauté d'autrefois. En construisant une maison dont l'ombre d'une croix a fait courber l'échine de ces féroces sauvages, on pourrait croire que tout s'achève. Il n'en est rien. Ce n'est qu'un nouveau commencement, le début d'autre chose. L'histoire est éternelle.
Une réflexion jaillit souvent à l'écoute de Hammerheart : il est tout de même malheureux de constater que nous n'avons jamais su exploiter notre patrimoine latin ou celtique comme a su si bien le faire Bathory quant au patrimoine scandinave.
Mille mercis pour ce commentaire, qui a largement sa place en tant que chronique indépendante, disons 'critique littéraire' sans avoir peur des mots. Tu frappes diablement juste pour décrire émotionnellement l'oeuvre et situer ses racines profondes, là où je m'attache davantage sur son contexte à sa sortie, telle que je l'ai vécue d'ailleurs. C'est vrai que le chant de Quorthon est une part importante dans l'authenticité de l'ouvrage, ce qui nous enchante de plus bel. A ce stade, j'aimerais tant lire par tes mots cette même lecture passionnée, le jour où tu décrireras avec la même force émotionnelle les chef-d'oeuvres que sont aussi Under The Sign of the Black Mark et Blood Fire Death.
Encore merci. ++ FABIEN.
C'est à moi de te remercier Fabien, cela fait plus de treize ans que je lis tes chroniques avec un plaisir infini. Toute ma culture metal est largement tributaire de la tienne.
En toute honnêteté, je n'ai jamais été féru de black metal, même si un titre tel que Call from the Grave m'a souvent hanté. Je ne suis donc pas en mesure de trouver les mots justes pour décrire ces deux œuvres mentionnées. Et quand bien même je m'y hasarderais, je manquerais sans doute ma cible, puisque l'élément que tu sembles affectionner, la passion, n'y serait pas.
Peut-être reviendrais-je à l'avenir déposer un commentaire sur un album qui m'est ô combien cher : Necroticism. Mais me connaissant, il est probable que je m'égare et me perde dans les méandres du discours. Necroticism mérite bien mieux qu'une logorrhée en guise d'hommage.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire