L’histoire de
Bathory remonte à février 1983 qui est la rencontre entre un jeune punk qui se faisait appeler Black Spade et deux autres musiciens.
Ce pseudonyme Black Spade est pour moi très révélateur des influences de ce jeune musicien de 17 ans. En effet, comment ne pas songer au Black
Metal de
Venom ainsi qu’au
Ace Of Spade de Motörhead ?
Cette rencontre répond en fait à une annonce de Black Spade qui cherchait un batteur et un bassiste pour former un groupe de metal violent.
Quorthon nous révèlera plus tard avoir engagé ces deux musiciens par pur intérêt, simplement parce qu’ils étaient pétés de thunes, avaient tout le matos nécessaire - alors que lui n’avait qu’une contrefaçon de Gibson ! - et surtout un local de répèt’. Le bassiste ne savait jouer que sur une corde et le batteur n’était dans le groupe que pour se faire des nanas.
Les premiers titres joués par
Bathory ont été une reprise de
Black Sabbath, une autre de Motörhead et deux compositions personnelles qui ne seront dévoilées que sur les Jubileum. Il s’agit de «
Die In
Fire » et « You Don’t Move Me (I Don’t Give A Fuck) ». Ces deux titres à l’esprit très rock’n’roll font penser à une sorte de Motörhead primitif.
Entre-temps,
Quorthon se trouve un job comme stagiaire dans une boîte appelée
Typhon Grammophon qui s’occupait de produire des disques. Son boulot consistait à faire du café et des photocopies. C’est là qu’il apprend que ce label, qui n’était au départ pas du tout metal, va produire une compilation du nom de Scandinavian
Metal Attack. Tous les groupes avaient déjà été sélectionnés et conviés au studio d’enregistrement. Bien entendu, notre jeune ami s’incruste dans le studio toujours pour faire des cafés et des photocopies et c’est là que le destin va donner son petit coup de pouce.
En effet, un des groupes manqua à l’appel et il n’en fallut pas plus pour que
Quorthon saisisse sa chance et propose son groupe en remplacement. Le boss du label, pressé par le temps, accepta tout de suite sans rien écouter, pensant qu’il s’agissait d’un groupe de heavy metal lambda.
Deux jours plus tard,
Bathory se retrouve donc en studio pour enregistrer deux morceaux, «
Sacrifice » et «
The Return Of Darkness And Evil » sur lesquels on sent que l’aura du groupe s’est considérablement assombrie. Le groupe joue maintenant une sorte de speed metal primitif et satanique. C’est vraiment à partir de ce moment-là qu’intervient l’influence de
Venom dans la musique de
Bathory. Pour moi, c’est indiscutable : entre «
Die In
Fire » et «
The Return Of Darkness And Evil », il y a
Venom.
Quoi qu’il en soit, la compilation Scandinavian
Metal Attack sort en janvier 1984. Au départ, le boss du label pensait réellement avoir fait une connerie en acceptant les yeux fermés ce groupe de merde qui ne faisait que du bruit. Puis il va recevoir une tonne de courriers de personnes qui ont adoré ce groupe et demandent des renseignements.
Il va vite recontacter
Quorthon pour enregistrer un album. Malheureusement,
Bathory avait déjà splitté ;
Quorthon ne s’entendant plus du tout avec les deux autres membres qui voulaient jouer du heavy metal à la
Saxon / Maiden. Il va donc devoir recruter à l’arrache deux autres musiciens.
Ce premier album est enregistré dans un petit studio de Stockholm en 56 heures. Les conditions d’enregistrements n’ont pas été terribles. C’était tellement petit qu’ils n’ont même pas pu installer la batterie en entier.
Quoi qu’il en soit, le disque sort en octobre 1984 et fait un tabac dans le milieu underground. En plus de proposer une musique complètement primitive perçue à l’époque comme pratiquement inhumaine, le groupe s’est entouré d’un halo de mystères : pas de noms de musiciens, mis à part ce mystérieux « Produced by
Boss &
Quorthon », aucune photo, pas d’interviews, rien … Il n'en fallut pas plus pour que leur fanbase fasse circuler des rumeurs comme quoi il s’agissait de démons de l’Enfer dévoreurs de nouveaux-nés.
Voilà, la légende de
Bathory était née.
Sur cet album, on sent effectivement les vieilles influences de
Quorthon : le punk et le côté rock’n’roll à la Motörhead mais dans un état tellement primitif et bestial et surtout complètement perverti par
Venom qu’elles en sont pratiquement méconnaissables. Et puis, surtout, on assiste là réellement à la naissance d’un nouveau genre musical dont le nom ne sera défini que 6 ou 7 ans plus tard avec
Darkthrone : le true black metal.
Je connais pour ma part deux très vieilles interviews totalement cultes de Bathory, la première étant publiée dans le fanzine américain Brain Damage (n°2) au printemps 1985, alors que Quorthon n’avait sorti que son premier album et qu’il était en train d’écrire son successeur The Return. Cette issue du fanzine comporte notamment au menu Sodom, Celtic Frost, Destruction, Possessed, Tormentor (futur Kreator), Dark Angel, Death (ex-Mantas), Exodus, et quelques groupes plus hardcore comme COC, AOD, Excel ou Septic Death. L’interview est agrémentée d’une photographie de Quorthon installé sur un pentagramme, et c’est à ma connaissance la toute première session photo. Cette session a eu visiblement lieu après la sortie de l’album éponyme, puisque à la parution du disque, le leader n’avait en effet aucun cliché à disposition (ce qu'il a entretenu par la suite pour garder le mythe). Il faut en effet bien garder à l’esprit que ce premier disque à été monté avec des moyens très rudimentaires, comme la tête de bouc assemblée par Quorthon lui-même, le fameux ‘S’ de Necromansy’ ou encore le fameux premier pressage jaune canard au lieu d’un doré initialement pensé. Bref, retour à cette première interview, assez courte, où notre leader indique la durée de l’enregistrement de 4 jours et demi en incluant le mixage, le fait qu’il soit seul à ce moment et à la recherche de nouveaux musiciens, et qu’il ne tient pas à dévoiler le nom de ses anciens acolytes. Il y parle enfin de ses récentes compositions, en comparant notamment Total Destruction à une version cinq fois plus rapide de Fight Fire with Fire !
La seconde interview d’époque que je connaisse a été publiée dans le fameux magazine indépendant Kick Ass de Bob Muldowney, peu après la sortie de The Return. Cette interview où l’on retrouve la même session photographique est remarquablement construite, et l’on y apprend bien plus de choses de la part de Quorthon, comme la naissance de Bathory en mars 1983, la valse des musiciens au sein de la formation (toujours aucun nom), les premières répétitions avec reprises de Motorhead, Sabbath, Maiden ou Anvil, l’épisode chez Tyfon et sa rencontre avec Borje 'Boss' Forsberg (son père, ce qu’il garde bien de dire), l’écho favorable du public quant aux deux morceaux sur la compilation Scandinavian Attack, le split du groupe en avril 1984, l’insistance de Tyfon pour l’enregistrement du premier album, les conditions rudimentaires de son enregistrement (500 USD de budget, locaux si étroits que le kit de batterie ne pouvait être monté en totalité si l’on casait également les amplis basse & guitare), la consommation abusive de cigarettes et de whisky, le sexe (Born for Burning, Bestial Lust tirés d’expérience personnelles), son amour pour Kiss, Sex Pistols, GBH, Motorhead. Le meilleur, où Quorthron nous parle enfin de Venom, je le garde pour cette fin et je l’écris en toutes lettres : "Je ne suis pas un fan de Venom, bien que j’aime son album Black Metal, après le groupe ne m’impressionne plus vraiment, bien que je le remercie pour avoir posé les bases du metal satanique. J’ai écouté le premier album de Slayer, quelques trucs de Sodom, Destruction, Hellhammer / Celtic Frost, et je pense qu’ils craignent. Je n’écoute plus de black metal, death metal, satanic metal, thrash metal désormais, c’est vraiment mauvais. Je ne prétends pas que Bathory soit supérieur, juste que je n’aime pas les groupes précités. Hellhammer / Celtic Frost est la plus grosse merde que j’ai entendue, bien que je le respecte et lui souhaite bonne chance."
Pour le reste, on peut trouver la genèse de Bathory et de son premier album sur le livre Swedish Deathmetal de Daniel Ekeroth, tiré des nombreuses infos que Quorthon a donné par la suite, lorsque ce dernier était devenu plus bavard. On y trouve ainsi plus en détail le bout d’histoire rapporté dans la chronique de Wodulf ici présente. Donc pas besoin de rabâcher ce qui a déjà été dit, juste une petite anecdote quant à la rentrée du leader chez Tyfon en 1982, dans le cadre d’un programme d’insertion, d’où les photocopies et la machine à café !
Fabien.
J'aime bien le côté historique d'une chronique, c'est vraiment important pour comprendre toute l'importance d'un CD.
Quorthon était en effet assez coutumier de ce genre de sorties polémiques, et s'il l'on croise les diverses interviews qu'il aura donné au cours de ses vingts ans de carrière, force est de reconnaître que le bonhomme n'était pas à une contradiction près. L'explication la plus probable est que le jeune suédois cherchait avant tout à "faire le buzz" (comme on dirait aujourd'hui) et à capter l'attention par tous les moyens possibles : de son aveu même, le concept satanique des débuts n'était en réalité qu'un gadget pour se faire remarquer et absolument pas un véritable engagement philosophique. Lorsque l'on relit les déclarations à la limite de l'insulte qu'il envoyait à l'époque dans la presse (il me revient notamment des termes assez méprisants vis-à-vis de Slayer), on en vient même à douter qu'il ait vraiment écouté les albums avant d'en dire du mal…
Après, les motivations réelles du suédois restent – et resteront toujours, hélas – mystérieuses. Jalousie d'un musicien encore immature ? Complexe d'infériorité par rapport à la scène anglo-saxonne ? Véritable arrogance ? Simples provocations pour émerger du lot dans un milieu où la concurrence commençait déjà à se faire impitoyable ? Ou même jeu de rôle avec la complicité des autres musiciens pour nous refaire le coup des Beatles vs les Stones en version Speed/Thrash Metal ? (certains clichés d'époque attestent que Quorthon et les gars de Slayer avaient l'air de ne pas si mal s'entendre que ça…). Bref, le débat reste ouvert.
Ce qui ne fait pas débat en revanche, c'est le caractère séminal de cet album, ainsi que de la suite de l'œuvre de Quorthon, qui engendrera quasiment à lui tout seul pas moins de deux sous-genres majeurs du Heavy Metal : le Black Metal d'une part (paternité qu'il partage avec Venom, Hellhammer/Celtic Frost et quelques autres) et le Viking Metal d'autre part (où, sauf erreur de ma part, seul Odin peut légitimement prétendre à l'antériorité). C'est plus qu'il n'en faut à mes yeux pour respecter à la fois l'homme et le musicien, et regretter son départ prématuré un jour de Juin 2004.
Hail Quorthon, Hail Bathory, Hail the Hordes!
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