L'incident … et ses stochastiques conséquences, des plus anecdotiques aux plus tragiques.
L'incident : cette fraction de seconde où tout se joue comme dans une partie de dés, où tout peut basculer, du bonheur absolu au drame funeste, cet instant critique qui peut en un éclair aiguiller le cours de notre vie lancée à fond de cale dans le carrefour de la destinée vers une direction aléatoire, sans possibilité de retour en arrière, sans que l'on en soit forcément maître ni conscient à l'instant-même…
Tel est le thème sur la base duquel
Steven Wilson, inspiré par son ressenti en tant que témoin d'un grave accident de la route, a composé la matière de "
The Incident", nouvel album de son projet progressif
Porcupine Tree qui, depuis sa formation en 1987, est passé maître dans l'art de faire muer son style à quasiment chaque album : des aériennes dérives floydiennes ("
The Sky Moves Sideways") au virage metal entamé à partir de "
In Absentia", en passant par le pop/rock classieux et ambiancé de la paire "
Stupid Dream" / "
Lightbulb Sun", le hautement versatile "
Signify", jusqu'à la consécration suprême "
Fear of a Blank Planet", leur album que je considère comme le plus abouti ainsi que le plus luxuriant en harmonies et arrangements instrumentaux … le prédécesseur direct du "
The Incident" qui nous intéresse ici.
Pour ce cap de la dixième galette, le multi-instrumentiste britannique et ses trois fidèles sbires (Richard Barbieri aux claviers, Colin Edwin à la basse et Gavin Harrison à la batterie) se sont apparemment donnés les moyens de réaliser une œuvre hors-norme, proposant un concept hautement ambitieux, développé selon une seule et unique pièce musicale de 55 minutes, subdivisée en 14 morceaux.
La question se pose alors de savoir si ce nouvel album, à l'instar de son thème, sera capable de bouleverser notre vision de la musique ? D'orienter
Porcupine Tree vers de nouvelles sphères stylistiques ? …
… La réponse à toutes ces interrogations tombe comme un couperet : c'est non ! … Un non aussi franc que froid. Je dirais même que cet "incident" constitue un accident dans la carrière de la bande à
Wilson.
Pas qu'il soit intrinsèquement mauvais, mais pour qui connaît le parcours exemplaire de créativité et de constante remise en question de l'arbre à porc-épic, la déception est forcément au rendez-vous quand on se retrouve face à un assemblage de compositions sentant fortement le réchauffé.
Assemblage, car force est de constater que la nature conceptuelle du disque, sa trame fondée sur l'unicité et la fluidité qui devrait lui être inhérente sont loin de sauter aux oreilles. L'absence de temps morts entre les morceaux n'est qu'accessoire, la grande majorité se suffisant à eux-mêmes, tandis que les transitions, sautant systématiquement du coq à l'âne, coupent tout semblant de flot continu. Je m'attendais à une gigantesque fresque rayonnante de raffinement et d'inventivité, je n'ai qu'un pauvre puzzle MB aux pièces élémentaires s'emboîtant avec le plus grand mal. Dommage … Trop d'incidents dans la progression tue "
The Incident", soit l'œuvre qui devait sonner la revanche de
Steven Wilson sur un passé qui a vu avorter sa première tentative de composition d'une pièce unique ("
The Sky Moves Sideways", 14 ans auparavant). Le triomphe sera pour un autre jour … peut-être …
Réchauffé, car "
The Incident" ne révèle aucun élément nouveau dans la musique de
Porcupine Tree, ce qui est chose inhabituelle, d'autant que de nombreux titres, qui plus est parmi les plus longs, ne sont que des resucées d'un passé décidément omniprésent.
L'alternance électrique musclée / acoustique posée de "The
Blind House" est clairement calquée selon le bâti de "Blackest
Eyes" sur "
In Absentia".
La mécanique trip-hop sur fond de nappes glauques du morceau-titre, ses guitares déshumanisés et son chant doublé et haut perché sont ostensiblement repompés de "Strip the Soul" sur "
In Absentia".
La gratte sèche vigoureuse constituant le fil rouge de "Time Flies" n'est qu'une redite de celle du "Trains" sur … devinez qui ? … devinez quoi ? … je vous le donne en mille … "
In Absentia", bien sûr.
Une référence qui me revient très souvent, trop souvent à l'esprit à l'écoute de "
The Incident" qui montre un
Porcupine Tree en total pilotage automatique, n'ayant pu éviter les nids de poule du remplissage (l'inutile reprise du morceau d'ouverture "Occam's
Razor" sur "Degree
Zero of Liberty", ou encore les décoratifs "Great Expectations", "Kneel and
Disconnect" et "The Séance") ni le tête à queue de la faute de goût (le refrain de "Drawing the Line" où
Wilson bêle comme une pop-star pour ados attardés), pas plus que l'aquaplaning de l'insipide, comme sur l'ennuyeuse ballade "
I Drive the
Hearse", aussi barbante que le continuel va-et-vient d'une porte de supermarché.
Par bonheur, le quatuor anglais dispose d'assez de métier et de solides automatismes sur lesquels se reposer pour éviter la sortie de route et l'accident fatal, "
The Incident" offrant, malgré les carences susdites, son lot de bons moments : la mélancolie des notes de claviers sur le couplet de "Drawing the Line", la solennité des chœurs de "The Yellow Windows of the Evening Train", la stratosphérique partie centrale de "Time Flies" où le groupe se délivre de toute attache, libre de faire décoller ses envolées de synthés planants, de dessiner des arabesques de soli ensorcelants … bref, où il se lâche enfin pour donner un pur instant de bravoure, ce qui est très rare, trop rare sur "
The Incident", à grand peine relevé par les saccades énergiques des riffs type "yamamoto kaderate" de "
Octane Twisted" et "
Circle of
Manias", bien que les auditeurs avertis remarqueront aisément que le groupe nous rejoue là le coup du break meshuggahément syncopé de "Anesthesize" (le morceau dantesque apparaissant sur "
Fear of a Blank Planet"). Et oui, la redite pointe son museau à tout bout de champ, et revient agripper "
The Incident" pour le coller au sol.
Je peux compter sur cet album pour m'offrir de jolies mélodies, de jolies atmosphères et de jolies compositions progressives plutôt bien construites … tout plein de jolies choses, mais qui, telles les banales croûtes picturales revendues chez le brocanteur du coin, ne parviennent pas à aiguillonner ma sensibilité, ou si peu …
J'apprécie le fait de retrouver une mise en forme sonore absolument impeccable et peu avare en arrangements de toutes sortes (une constante chez tout ce qui est estampillé
Wilson), mais je ne peux me débarrasser de la sensation, aussi tenace que paradoxale, que cet album manque de consistance, comme si la musique s'était accidentellement crashée sur le CD, comme si son âme s'en était alors envolée, ne laissant sur les sillons qu'un pauvre cadavre défraîchi.
Tout est réalisé de manière très professionnelle, trop professionnelle … ma déception est immense et le second CD constitué de 4 titres inédits que le groupe a dissocié du concept n'est pas à même de me consoler. Quatre morceaux essentiellement empreints d'une quiétude qui rime avec platitude (à l'exception du vrombissant pont de "Bonnie The Cat" et de quelques passages électriques poussifs dans "Remember Me Lover"), sans intensité émotionnelle, s'écoutant sans réelle passion … très anecdotiques, très transparents, à l'image de l'œuvre principale.
Il est tout de même important de noter la classe du geste ayant consisté à vendre ce double-CD au prix d'un simple, ce qui évitera d'avoir à délier sa bourse une nouvelle fois, comme ce fût auparavant le cas dans l'affaire "
Nil Recurring" (la séquelle de "
Fear of a Blank Planet" commercialisée indépendamment).
Sans sortir un disque profondément raté,
Porcupine Tree ne joue désormais plus que sur ses acquis, ce qui est suffisant pour limiter la casse, mais pas pour graver dans le marbre de l'histoire de la musique un chef d'œuvre intemporel, loin s'en faut.
"
The Incident" a un mauvais arrière-goût de trop peu : trop peu aventureux, trop peu imaginatif, trop peu composé avec le cœur.
Je le répète, cet album n'est pas désagréable, mais de la part d'un quatuor de musiciens aussi talentueux et d'un compositeur de la trempe de
Steven Wilson (qui avait démontré avec son récent album solo "Insurgentes" sa capacité à s'imbiber d'influences nouvelles, malgré le fait qu'il roule sa bosse depuis plus de 20 ans), j'en attends plus, beaucoup plus …
On peut ne pas être d'accord et écrire du texte intelligent (voir par exemple Killy ci-dessus).
A bon entendeur ...
Dommage une tel attitude...vraiment dommage !
Par contre...Time Flies (qui est absolument géniale au passage), c'est pas un peu trop...proche de "Dogs" de Pink Floyd? En fait c'est exactement les mêmes accords et rythmique me semble-t-il...Après vérification, c'est vraiment du copié-collé...Dommage!
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