Je ne pensais plus revoir un jour un nouvel album de
Porcupine Tree, qui semblait une mue trop étroite pour les ambitions très personnelles de son fondateur et âme pensante :
Steven Wilson. Rien de plus qu'une étape initiatique dans le parcours de l'homme. Je considérais même le divin binoclard perdu pour le prog, au vu de son dernier album "Future Bites", illustration clinique et désincarnée du monde 2.022 d'aujourd'hui.
Porcupine Tree semblait bien faire partie du passé, la carrière du groupe suspendue avec un dixième album "
The Incident" en demi-teinte, d'autant plus que les carrières respectives de Gavin Harrison avec
King Crimson, ainsi que
Steven Wilson et Richard Barbieri en solo semblaient les contenter totalement. Le silence radio de la part de Steven a été maintenu, tant envers les membres du groupe que de son entourage ou de sa maison de disques. En lisant entre les lignes les déclaration de chacun des membres, il semblerait que les non-dits aient pesé lourd, alors que les griefs étaient somme toute de l'ordre du malentendu en série. Cependant il n'y a jamais eu split effectif, Steven et le batteur Gavin ayant continué à se voir pour jammer et composer tranquillement… un éventuel album, sans aucune obligation de résultat. Le confinement a été le détonateur pour s'atteler à le concrétiser, et ressusciter pleinement le groupe.
Steven Wilson (guitare, chant, programmation), Richard Barbieri (claviers) et Gavin Harrison (batterie) forment ce nouveau line-up, et ont enregistré et réalisé eux-mêmes ce disque dans leurs studios, quasi sans aide extérieure.
L'artwork a été confié à The Designers Republic (Aphex Twins,...). "
Closure / Continuation " compte sept titres dans sa version CD classique, mais les trois bonus de la version Deluxe sont vraiment du même tonneau, au point que je ne vois pas une traître raison pour les ignorer : je les considèrerai donc comme faisant partie intégrante de l'album, qui totalise tout de même 65 minutes.
Alors, faire revenir
Porcupine Tree à la vie était-il une bonne idée ? Oui. Quelques minutes d'écoute de "
Harridan", premier titre de cet album du retour, valent mieux que n'importe quelle justification. Cette ligne de basse obsédante, cette ambiance tour à tour dépressive et lumineuse, cette rythmique pressée et millimétrique, ces claviers intrigants, tout nous ramène dans le monde onirique où
Steven Wilson se complaît à nous perdre. Je me rends compte que cet endroit, qui n'est après tout qu'une émanation des mondes de
Rush et Yes mélangés, ayant évolué dans une dystopie qui est la nôtre, me manquait cruellement. Peu importe que ce soit sous l'incarnation de
Porcupine Tree ou un avatar à lunettes de
Steven Wilson, y revenir me met dans un état de catatonie bienheureuse. On peut dire qu'ils ont repris les choses là où elles s'étaient arrêtées avec "
Fear of a Blank Planet". Les clins d'œil se font aussi aux albums solo de
Steven Wilson, avec un "
Rats Return" aux dissonances alienophiles, qui aurait aussi pu figurer sur "
Hand Cannot Erase"… ou un album de Voivod. Les ambiances sont plus soignées que jamais, le goût de l'étrangeté teinte les arrangements de claviers, grâce au travail d'immortalisation d'accidents sonores de Richard Barbieri sur ses machines, et il est difficile de ne pas se faire son petit cinéma intérieur sur cette B.O fantasmagorique.
Aussi, le trio réussit le tour de force de pouvoir partir en tous sens, avec une fluidité limpide et en étant efficace dès la première écoute. Les durées de morceaux sont très variées, et que le voyage dure 04:27 ou 09:39, chaque titre donne l'impression d'avoir la longueur idéale. On est au-delà du travail abouti : un morceau de huit minutes est ingurgité sans s'en rendre compte et sans finir ballonné comme avec la fatale coupe de champagne qui menace de faire vomir un réveillon. Les vieux briscards surprennent encore, alors qu'ils font précisément ce qu'on attendait d'eux : les pistes qu'ils nous font suivre sont bien connues, et ils se font un plaisir de tendre des embuscades avec un commando du
Riff rompu à toutes les tactiques. La sensation de déjà vu est inévitable, comme dans l'intro au piano aux cordes bien usitées de "
Never Have", mais elle ne se prolonge pas, taillée en pièce par le sens de la diversion des trois compères.
Les surprises sont nombreuses, tel ce virage new wave tribal sur "Love in the
Past Tense", qui évite à ce morceau calme de roupiller trop confortablement, ou ce break d'une lourdeur oppressante sur "
Harridan". J'ai même trouvé des similitudes avec
Opeth sur le très bel instrumental "Population Three", qui a le même genre de riffs alambiqués, et joue au chat et à la souris avec l'auditeur. Le rythme peut aussi être celui de la balade nonchalante, même si l'orage de guitares crunch menace à tout moment de déchirer le ciel comme sur "Of the New Day". Il nous évite de justesse l'ennui, même sur "
Dignity", une ode acoustique de plus de huit minutes, en posant un faux démarrage, en se calmant comme une averse d'été, en égrenant un solo à la chaleur bluesy, avant de finir tel un
Def Leppard plein d'allant.
La basse a pris une place importante dans la musique de PT, principalement au détriment des guitares, et ce n'est pas un hasard :
Steven Wilson a composé la majeure partie de l'album avec cet instrument en ayant trouvé SON propre son, …ce qui a fait que Colin Edwin n'a pas participé à la fête. La dextérité est toujours de mise, et si le combo a autant une image de prog technique, c'est en grande partie dû à son fantastique batteur Gavin Harrison : il allie une technique et un toucher jazz à un jeu plus métal privilégiant la puissance, le tout couronné des connaissances théoriques hors pair. La batterie n'est pas aussi exubérante que sur d'autres albums de Porcupine… si on y regarde pas de trop près, comme sur "Walk the Plank", tout en finesse sur le charley, et en puissance sur les toms. C'est évidemment un festival de signatures rythmiques farfelues, mais ce n'est pas fait de manière ostentatoire.
Le
Porcupine Tree 2022 emprunte aussi au rock et hard des années 70/80, comme sur la fin zeppelinnienne de "
Chimera's Wreck", avec des guitares tranchantes, dont les arrivées fracassantes sont délivrées avec parcimonie.
La seule chose qui ne change pas trop, c'est finalement la partie vocale de Steven, qui semble réciter son journal intime en voix off qui pense en chantant à voix haute (si ça c'est pas de la mise en abîme…). Il a cependant gagné en assurance, avec son expérience en solo qui lui a fait explorer les aigus de sa voix de tête.
Loin de réapparaître en fantôme fané, le groupe semble au meilleur de sa créativité, en paix avec lui-même, et a livré avec "
Closure / Continuation" un album plein et abouti comme rarement il a pu le faire. La seule chose qui manquerait, serait des vrais hits, ou des grosses tueries qui l'auraient rendu encore plus mémorable. C'est à mon avis l'un des opus les plus ouverts et variés de
Porcupine Tree, d'autant plus que c'est celui sur lequel chaque membre du trio s'est vraiment investi, bien que
Steven Wilson reste l'élément central. Bien remis sur les rails, les anglais vont, si tout va bien, repartir en tournée dès cet automne, accompagnés pour l'occasion de deux musiciens de scène, le guitariste
Randy McStine et Nate Navarro pour assurer la basse. Est-ce que ce sera une tournée d'adieu et ce disque leur pierre finale, il est trop tôt pour le dire, et ce disque magnifique prouve qu'il ne faut jamais dire jamais.
Excellente chro, bravo
Que dire ,on l'attendait pas, plus ,J en voulais à Steven ,trop narcissique trop ouvert trop tout, son visage sur chacun de ses albums solo.Ses discours et paroles plutot dur sur le monde du métal...J'avoue j'avais pas acheté ses trois derniers album solo plus par agacement que par gout .Mais le revoilà avec ses compéres de toujours .Ta chronique est bien juste,et il y a tant et tant à develloper encore aprés une vingtaine d'écoute j'arrive pas à tout graver et se perdre dans les compositions de PT c'est ça le bonheur .!!!
Je ne comprends pas l'abscence de Collin ou plutot cela m'attriste .Mais ceci étant on sent trés bien à l'écoute une certaine ouverture d'esprit du principal intérressé à laisser s'exprimer les musiciens .C'est peu être bien le premier réel album de porcupine tree en tant qu'entité et non résultant d'un seul membre ce qui en soit augure de futures belles choses je l'éspére.Je vais donc investir sur le 5.1 !!Merci pour ta chroposition
Merci pour cette chronique très complète et documentée sur les coulisses de la création de cet album. J'avais aussi prévu de le chroniquer, donc ça fera deux avis pour le prix d'un ;-)
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