Chercher la source, comprendre d'où nous venons, qui nous sommes, pourquoi nous vivons et respirons Heavy
Metal 24/24 et 7/7, prend souvent la forme d'un cheminement intérieur complexe, mais suivre la trace d'une petite cassette audio insignifiante peut éventuellement aider...
Formé à Bellevue, banlieue de Seattle, par le batteur Scott Rockenfield et le guitariste Michael Wilton, le groupe
Joker se rebaptise en
1980 Cross+
Fire à l'arrivée de Chris DeGarmo à la six-cordes et d'Eddie Jackson à la basse. Deux ans plus tard, ayant consacré chaque minute de temps libre à répéter intensément,
Cross+
Fire devenu The Mob, toujours dépourvu de frontman et n'ayant d'ailleurs aucun concert à son actif, décide d'enregistrer une démo pour laquelle le combo fait appel à une connaissance, un certain
Geoff Tate, vocaliste du groupe
Myth (ex-
Babylon). Geoff a déjà joué avec le groupe mais n'a pas souhaité l'intégrer, refusant de se cantonner au style Heavy
Metal pratiqué par The Mob... Un détail qui explique peut-être deux choses, à savoir le chemin singulier qu'empruntera
Queensrÿche et qui lui donnera cette identité si particulière; mais également les dérives expérimentales et ennuyeuses qui suivront "
Empire"...
Tate le dépanneur rejoint en tous cas The Mob au Triad Studios de Redmond (toujours dans la périphérie de Seattle) durant l'été 1982 pour poser sa voix sur quatre titres. Les musiciens ayant peu de moyen et travaillant la journée, enregistrent la nuit, louant le studio au taux horaire le moins cher. Tom Hall, l'ingénieur du son qui leur est octroyé, les met en confiance. Il a l'habitude, dit-il, de travailler avec des groupes de Heavy, il ne compte plus ses enregistrements. Il n'avouera aux cinq adolescents que c'était sa première expérience qu'après leur avoir fait écouter le résultat final.
Un coup de maître pourtant. Une production violente, brute, étouffée, dégageant un feeling old-school particulièrement délicieux. Les guitares sont à l'honneur, la section rythmique plus en retrait mais bien présente malgré un son de batterie un peu faiblard n'ajoutant que plus de charme à ce disque essentiel que Dieu merci le groupe n'a jamais retouché. Le chant est évidemment mixé en avant, la voix de ténor de Tate, haut perchée, agressive et impériale, judicieusement accentuée par quelques effets bien sentis, se plaçant d'emblée avec ces quatre titres à égal avec les maîtres
Bruce Dickinson et Rob
Halford.
"
Queen of the Reich", "Nightrider" et "Blinded" se caractérisent par des riffs assassins, des breaks à couper le souffle et des soli de guitare virtuoses et inventifs, souvent mis en valeur par d'habiles effets (notamment le Flanger) qui grossissent le son et compensent une production un peu cheap. Sur ce déluge de guitares emmenées par le tandem bulldozer Rockenfield / Jackson écrasant tout sur son passage, plane la voix impressionnante et invincible de Geoff. Les structures des morceaux sont déjà particulières et propres à l'inspiration débridée du génie Chris DeGarmo, ayant malheureusement aujourd'hui rangé sa guitare pour devenir pilote de ligne.
Bien plus agressifs et mystérieux qu'Iron Maiden et
Judas Priest qui écrivent alors les plus jolies pages de l'Histoire du Classsic Heavy
Metal, les futurs
Queensrÿche, avec cette petite cassette démo fascinante enregistrée dans un sordide studio de banlieue, s'installent non pas sur le trône des souverains, mais à leurs côtés, à part, ouvrant la route à un nouveau genre que les étiqueteurs nommèrent bien plus tard "Heavy Progressif".
Un mot sur "The
Lady Wore Black", première contribution lyrique de Tate à
Queensrÿche, une power-ballad admirable, imparable et mystique qui capture à mon sens l'essence de ce qu'est en réalité une larme.
Cassettes en poche, gonflés à bloc, Rockenfield et ses potes passent les semaines suivantes à démarcher des labels et à distribuer la précieuse démo de The Mob, mais rien n'y fait. Les divers rendez-vous ne donnent rien; on ne les rappelle pas, ou éventuellement pour leur conseiller de changer de style. Certains doivent d'ailleurs toujours se mordre les doigts de leur surdité...
Dépités, particulièrement
Geoff Tate qui ne manque pas de faire remarquer aux autres qu'il n'est pas prêt de quitter
Myth, les kids déambulent un après-midi dans Seattle pour inévitablement atterrir devant le magasin de disques dans lequel ils ont l'habitude de traîner. Ils ne savent pas que les propriétaires d'Easy Street Records, Diana et Kim Harris, ont, avant d'ouvrir leur boutique, travaillé 15 ans dans l'industrie du disque. Le frère de Scott ne les a pas non plus prévenu qu'il avait, quelques jours auparavant, de son propre chef, amené à Kim Harris une des démos qui trainaient à la maison.
Le couple mélomane a percuté dès la première écoute. Ces gamins aux touffes improbables ont quelque chose de différent et de prometteur. Kim et Diana offrent donc à The Mob de les manager à une condition, remplacer leur patronyme à chier par un nom qui aura de la gueule. Pris de court, les ados, amusés, proposent
Queensrÿche en référence, vous l'aurez compris, au premier titre de la démo : "
Queen of the Reich".
Amen.
Quand les Harris font de la promo, ils ne plaisantent pas. Retrouvant les automatismes de leur ancien job, Kim et Diana retracent leurs contacts, réactivent leurs réseaux et passent d'innombrables coups de fil : Kerrang!, tout jeune magazine anglais, publie une chronique élogieuse de la démo, aidant la cassette à faire son chemin et Geoff à enfin lâcher
Myth. Le succès des ventes dans le nord ouest américain décide les Harris à passer à la phase deux : contractualiser
Queensrÿche chez Harris Management, créé pour l'occasion, et créer un label (206 Records) pour presser la démo en vinyle. "
Queensrÿche" se vend à 20 000 exemplaires. Les jeunes quittent tous leurs boulots. Ils le sentent, ils sont à deux doigts de toucher au but.
C'est Kim qui finalisera ce succès inévitable en retrouvant la trace d'une copine perdue de vue, Mavis Brodey, autrefois directrice des programmes de la Rock Radio KZOK à Seattle. Mavis a pris du galon et travaille maintenant au siège d'EMI America à
Los Angeles. Harcelée par les Harris, Mavis finira par prendre un avion pour découvrir le groupe en première partie de
Zebra, et faire signer aux cinq musiciens dans la soirée le pacte qui changera leur vie. La petite cassette de Redmond est de nouveau pressée en vinyle en 1983, cette fois estampillée EMI, et atteint quand même la 81ème place des charts américains...
La suite, vous la connaissez, une tripotée d'albums somptueux donnant dans un genre Heavy
Metal racé, raffiné, inventif; un groupe légendaire qui s'est perdu en route dans les méandres de sa créativité mais devant qui tout Heavy-
Metal-Kid qui se respecte doit forcément rester reconnaissant et admiratif.
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