Maigre

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19/20
Nom du groupe Igorrr
Nom de l'album Maigre
Type EP
Date de parution 15 Décembre 2014
Labels Ad Noiseam
Style MusicalMetal Expérimental
Membres possèdant cet album11

Tracklist

1. Barbecue (ft. Ruby My Dear) 03:44
2. Figue Folle (ft. Ruby My Dear) 03:44
3. Cuisse (ft. Ruby My Dear) 04:34
4. Alain (ft. Ruby My Dear) 03:45
5. Biquette (ft. Ruby My Dear) 04:59
Total playing time 20:47

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Igorrr


Chronique @ Jordanli

22 Décembre 2014

Ce CD, vous pouvez l'écouter en voiture, dans le métro, en faisant de la gym, ou n'importe ou.

« C'est merveilleux d'être libre. »

Les concept-albums permettent souvent de voir à quel point un groupe peut parvenir à la maturité musicale. C'est une preuve d'un esprit de cohérence, d'un travail logique et abouti (en tout cas quand l'album est réussi). Les exemples sont nombreux pour le prouver : prenons l'exceptionnel Cybion de Kalisia, ou encore le Catch 33 de Meshuggah – et on pourrait encore en citer bien d'autres. Mais certains artistes ne se contentent pas de cela et pensent une cohérence dans leur carrière tout entière. Devin Townsend, par exemple, ne cesse de faire des allers-retours, des auto-citations et des allusions, prouvant qu'il nage dans son œuvre comme un poisson dans l'eau (devrait-on parler de « concept-discographie » ?). « The Mighty Masturbator », dans Deconstruction, fait apparaître le personnage de Ziltoid ou reprend des vers d'Ocean Machine, le premier album, comme pour boucler la boucle. Gautier Serre lui aussi fait un tel travail dans son projet Igorrr. En effet, on note un parcours qui va du bas vers le haut, une élévation spirituelle. Avec ou sans Dieu, là est la question... Cette élévation se fait avec deux couples. Poisson Soluble et Moisissure s'attardent sur le monde alimentaire, sur le corps dans sa plus triviale matérialité – et sur sa décomposition qui est inévitable (Memento Mori). Nostril et Hallelujah sont plus proches du ciel : le premier album joue avec le souffle – thème divin s'il en est (« Le Seigneur Dieu modela l'homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l'haleine de vie, et l'homme devint un être vivant », Genèse, chapitre 2, verset 7) – tandis que le second fait place au cri de l'absolu, la louange à Dieu.
L'E.P. que je présente ici semble bel et bien confirmer cette trajectoire. Maigre, c'est bien ce qu'il est nécessaire d'être quand on veut faire cette quête spirituelle. La Maigreur, c'est la preuve que l'on a réussi à se débarrasser des tentations corporelles, que l'on résiste aux douceurs sensuelles du monde qui sont là pour nous corrompre. On trouve cette thématique dans la religion chrétienne (ceux qui mangent encore du poisson spécialement le vendredi : faire « chair Maigre »...) et dans beaucoup d'autres – ascèse dans le bouddhisme etc. : on pourrait multiplier les exemples. De nombreux artistes usent de cette thématique, comme Pascal dont l'écriture se fait par fragments dans sa philosophie pour détruire les vanités et accéder au divin, ou comme Giacometti qui, dans sa sculpture, réduit l'homme à un simple substrat, fin comme un roseau, afin d'en montrer la cellule ontologique la plus pure, indivisible, et donc, peut-être, la plus haute (la nature a toujours horreur du vide). Igorrr semble lui aussi suivre une telle trajectoire – avec toujours beaucoup d'humour et d'ironie, mais vous le savez sûrement déjà.

« Sauf que c'est raté parce qu'il n'a que sept ans par exemple et les enfants de sept ans ne se disent pas Bonjour Madame, Bonjour Monsieur »

Mais soyons sérieux une minute. Maigre, est-ce vraiment l'adjectif qui vous vient à l'esprit quand vous écoutez les productions de G. Serre ? L'artiste crée une musique aux influences ultra pléthoriques, mélangeant baroque, romantisme, comédie, animalité, nourriture, religion, tout cela dans un incroyable pot-pourri qui laisse souvent sans voix au départ pour l'auditeur non initié. Igorrr, c'est un art ubuesque (au sens premier du terme, en rapport avec Ubu-roi d'Alfred Jarry, personnage colossal aux ressources infinies et au langage logorrhéique), boursouflé, qui est sur le point d'éclater – et c'est au travers des fissures que l'on entrevoit le désespoir et la mort (je vous laisse écouter « Scarlatti 2.0 » ou « Excessive Funeral » pour vous faire une idée de ce que je veux dire). Maigre s'annoncerait alors déjà comme un cuisant échec...
Cependant, Igorrr travaille rarement, voire jamais, seul. Il a ce côté Klonosphère en quelque sorte : un album de G. Serre rassemble toujours de nombreux artistes qui vont poser leur empreinte et enrichir sa musique, comme Vladimir Bozar 'n' Ze Sheraf Orkestär, Öxxö Xööx, City Weezle, Teloch et tant d'autre... Pour Maigre, Igorrr travaille avec Ruby My Dear, un one-man-band qui se spécialise dans le breakcore. Pourquoi l'avoir choisi ? Je vais devoir un petit peu vous parler de ce groupe pour vous montrer l'intelligence de ce choix. Julien Chastagnol, car tel est le nom du Sieur qui gère Ruby My Dear, est presque aux antipodes de G. Serre : sa musique est surréelle, presque abstraite, de l'ordre de la transe. Mais elle est aussi terriblement hystérique, maladive et mélancolique. Son premier album Remains of Shapes to Come nous plonge dans un univers extrême-oriental qui, malgré sa poésie et sa douceur, est marqué par une angoisse terrible. Le morceau « Karoshi », nom donné à une maladie du travail qui se traduit par une mort subite sous l'effet du stress, morceau que vous pouvez écouter sur la chaîne YouTube de J. Chastagnol – qui s'appelle sobrement Julien Chastagnol d'ailleurs – en est un parfait exemple. Son deuxième album, Form, très aquatique, résume la violence humaine à un seul sample dans « Spleen » (que vous trouverez cette fois sur la chaîne créée par Ad Noiseam, le producteur de Ruby My Dear) où l'on entend une sorte de règlement de compte crapuleux au cours duquel un homme se fait tirer dessus : entendre la respiration d'agonie et les gémissements de cet homme sur le point de mourir, puis se faire achever de deux autres balles, est insoutenable... Bref, Ruby My Dear, un maître du breakcore qu'il faut suivre (oui, oui, vous pouvez – devez – acheter ses albums les yeux fermés), semblait être idéal pour tempérer la folie et l'euphorie de G. Serre.

« Cette détente profonde »...

Après cette introduction, penchons-nous un peu plus sur l'album lui-même, à savoir sa pochette. Maigre fait clairement contraste avec la pochette des anciens albums sur lesquels on pouvait voir des personnages monstrueux et difformes. Elle n'est en effet pas faite par Mioshe mais par Førtifem. Ici, point de superflu. Très terne, grise, elle met en scène un lévrier, chien considéré comme noble (plus qu'un caniche en tout cas), extrêmement Maigre, qui nous regarde droit dans les yeux, comme pour nous interroger. Est-ce que l'accès au plus haut se fait par l'animal, finalement ? Est-ce ce lévrier qui est le plus adéquat à nous montrer la plus belle des Maigreurs ? On retrouve une thématique chère à Igorrr, que l'on observait déjà dans Nostril. Mis à part cela, rien de plus sur la pochette, si ce n'est le nom d'Igorrr et de Ruby My Dear qui apparaissent en haut à droite et à gauche, et le titre de l'E.P. en bas, plus grand, et dans une police très... très Maigre, tant qu'elle s'efface par endroit. Pour être honnête, je trouve la pochette un peu fade : certes, elle fait son travail, elle est chargée de quelques symboliques intéressantes. Mais Mioshe avait la particularité du détail qui donnait toujours plus de profondeur – et de mystère.

« Avec beaucoup de bienveillance, remuez votre corps ».

– tout est zéro –

Tout recréer. Supprimer, effacer, détruire... Quelle gageure. Elle apporte si souvent la déception... Le retour aux sources, que des groupes annoncent pour attirer les fans, est parfois un odieux mensonge, une pâle copie du passé, un enrobage raté qui dégoûte, déçoit, laisse une saveur amère dans la bouche. Mais Igorrr lui aussi, au cours de cet E.P., cherche ce retour au source (des sources primaires, primales). Échec ? Loin de là. Julien Chastagnol apporte réellement, par son abstraction musicale, une nouvelle richesse à la musique d'Igorrr. Loin d'être un faire-valoir, il impose sa marque. L'atmosphère devient beaucoup plus aérienne avec ce piano que l'on entend nous tourmenter par sa circularité, comme un cyclone, ou qui va même horrifier, dans « Figue Folle ». « Alain » reprend cette touche planante, cette fois plus agréable, nous invitant à l'écouter « en voiture, dans le métro, en faisant de la gym ou à n'importe quel autre moment ». Les chants nous invitent aussi à saisir une musique dans sa plus belle forme, débarrassées de ses impuretés. Toujours dans « Alain », Laure Le Prunenec, que nous connaissons bien désormais, nous fait profiter d'un chant divin tandis que les cordes du clavecin vibrent à nos oreilles. Mais, bien souvent, le chant se fait cri torturé, comme celui poussé par Laurent Lunoir à la fin du morceau – et dont les gémissements, les grognements rappelleront la fin de « Tendon » dans Nostril – ou ceux de Laure dans le dernier morceau, « Biquette » (décidément, la palette musicale de ces deux chanteurs est toujours aussi riche et nous en fait voir de toutes les couleurs...).

– un temps –

Une fois la remise à zéro effectuée, nous passons dans le monde de l'enfance, thème nouveau dans le Baroquecore igorrrien. Mais pas dénué d'intérêt : l'enfant est lié à la renaissance, à une sorte d'univers un peu inconnu (en latin, infans veut dire « celui qui ne parle pas » – et, tant qu'on y est, notons que l'animal, du genre le lévrier qui s'expose sur la pochette, non plus ne parle pas...), sans superflu, pur jeu, ou les concepts froids n'ont pas leur place. Nous l'entendons bien dans « Figue Folle » au travers d'un sample : « les enfants ne se disent pas Bonjour Madame, Bonjour Monsieur », ils ont leur propre sphère. « Barbecue » fait aussi la part belle à cet univers, et cela dès les premières notes dont la légèreté se fait joueuse, malicieuse. Comme des enfants – dont nous entendons les éclats de rires dans le morceau –, nous sommes invités à oublier nos soucis, nos tracas, notre routine harassante. Le passage à l'accordéon, joué par Fabien Serre (je vous le jure : le génie musical doit être de famille, ce n'est pas possible autrement) nous entraîne dans une valse folle, comme une belle fête. Notons au passage cette place de l'enfance au travers des titres : « Barbecue » (vous savez, ces moments en famille, le dimanche...) et « Figue Folle » véhiculent cette idée de joie et de simplicité, tandis que la « Biquette », c'est l'animal que les enfants adorent voir et caresser quand ils sont dans des zoos ou parcs d'attraction – vous-mêmes, chers lecteurs, pourrez peut-être me le confirmer.

– silence –

Mais Igorrr et Ruby My Dear ne restent pas en enfance. Ils grandissent. Et voient aussi la cruauté et la brutalité du monde, mise en scène dans ce disque. Mais s'ils grandissent, cela veut aussi dire qu'ils gagnent en maturité. Ces deux artistes ont réussi, au cours de leur carrière, à maîtriser à la fois la grâce et une extrême violence qui tend pratiquement vers le chaos (toujours mûrement réfléchi). Maigre ne fait pas exception. Et même, cette rencontre en J. Chastagnol et G. Serre sublime encore plus la collision entre la douceur et la folie. « Cuisse », qui s'ouvre sur un morceau funèbre au violon, part rapidement dans un rythme palpitant. Igorrr et Ruby My Dear nous font profiter d'un metal saturé et glitché comme ils savent si bien le faire, tandis que les breaks s'affolent et partent en tous sens. C'est clairement le morceau le plus nerveux, brutal, presque bruitiste, de l'album – ceux qui connaissent Ruby My Dear se souviendront peut-être de son E.P., Jelly, qui annihilait parfois toute structure musicale par le torrent de breaks. Cette brutalité se retrouve encore dans le morceau final, « Biquette », qui, après les hurlements de Laure Le Prunenec et un style typé black metal, s'achève dans un solo de guitare très heavy metal, bien que mélancolique, solo vivement applaudi par un sample de public en délire – vous savez à quel point Igorrr adore voler nos applaudissements – qui est déformé de plus en plus, tant qu'il ressemble finalement à un sifflement puis un cri atroce. Et c'est cela qui termine l'album : l'ouverture vers un monde d'horreurs, un affreux cauchemar dans lequel la monstruosité humaine diabolique (après tout, la biquette n'est jamais qu'une chèvre, que l'on associe couramment au diable) traumatise, bien qu'inévitable, dans lequel la belle enfance joyeuse et insouciante n'a plus sa place...

« The emprisonment of life in duality, the opposite forces of the universe, and the eternal "all over again" » (ÖXXÖ XÖÖX).

...Et pourtant, c'est merveilleux d'avoir réussi à créer un tel E.P.
C'est merveilleux car, dans Maigre, il n'y a que vingt minutes et quarante-sept secondes de musique. Mais chacun des morceaux fait preuve d'une densité que l'on atteint rarement, une densité qui est le propre du génie, celui de G. Serre et de J. Chastagnol. Les deux artistes sont dans un parfait équilibre, une osmose exemplaire, tant qu'il est difficile de savoir ce qui vient de l'un ou de l'autre. Mais l'album n'est pas que dense : il est intense. Les thèmes, les styles, s'y croisent à une allure effrénée, parfois enjoués, ou angoissants et déprimants.
C'est merveilleux d'être capable de créer une œuvre aussi imposante et cohérente. Rien n'est à jeter. Ces deux Messieurs touchent du doigt ce que doit être réellement la musique. Pas qu'un simple ramassis de bruits informes. Pas qu'un rythme facile et putassier comme on entend partout à la radio. Non : leur musique puise dans les racines mêmes de la poésie, ouvre notre regard à un univers totalement original. Et cela explique aussi pourquoi je ne donnerai pas de note à ce CD que j'estime parfait, comme Nostril, et que je ne sortirai pas l'excuse du « la perfection n'existe pas » : vous avez précisément la preuve du contraire ici.
C'est merveilleux car je viens de passer les meilleures vingt minutes et quarante-sept secondes de ma vie. Et j'espère que vous aussi vous adorerez passer de telles minutes.

« J'ai pris le contrôle de ma vie »

- Jordanli.

12 Commentaires

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DimmuS - 14 Novembre 2017:

Bonjour! 
J viens d'arriver toursites XD
ALors je sais pas ce que fou l'album Maigre ici, sur un cite de métal vu qu'il s'gait de breakcore mais vu qu'il ya question, je réponds :

Le breakcore est un genre de musique électronique, ayant émergé au milieu des années 1990, caractérisé par l'utilisation de kicks distordus, de breaks, et d'une large palette d'échantillons, joués à un tempo accéléré. Il est dérivé et apparenté aux genres techno hardcoredrum and bassdigital hardcoremusique bruitiste, et musique industrielle. Le magazine Vice compare l'agressivité du breakcore à celle d'autres genres musicaux utilisés lors d'interrogatoires au Camp de Guantánamo ; il met particulièrement en avant Venetian Snares comme l'un des pionniers du genre1. Le genre trouve son origine dans le darkcore.

Ps: de wikipedia, et à la base je uis métaleux, plutôt "prog" (metal) technique de préférence ;)

 
DimmuS - 14 Novembre 2017:

Un bon exemple "groupe" breakcore francais qui va intéresser tous le smétaleux, attends... ; c'est un francais :

https://www.youtube.com/watch?v=sMTTZCMeR5Y

PS: le breakcore n'est pas un genre musical en lui même, c'est comme le métal extreme: ca regroupe tous les groupes ou albums de base electro inclassables mais forcément "progressifs" ;)

Re-Ps: vivement la sortie du prochain The Faceless prévu debut décembre

 
DimmuS - 14 Novembre 2017:

Allez, c'est cadeau, juste pour "prouver" que je suis pas si bourré que ca XD :

https://www.youtube.com/watch?v=RwOb-AA7by4

Un morceaud u Pape du breakcore joué blinded = CQFD.. C'est pas de la musqiue de taré, c'"est juste trop "avant-gardiste" pour cette époque...re  CQFD

Jordanli - 15 Novembre 2017:

Bonsoir, DimmuS ! Je ne pensais pas retrouver un commentaire sur cette chronique... J'ai l'impression que je l'ai écrite hier... Bref, en tout cas, quelle que soit la définition du breakcore, je trouve qu'actuellement elle veut à la fois tout dire et rien dire ; j'aime bien l'idée de partir sur le fait que ce soit un électro inclassable aussi. Pour la présence de Maigre, eh bien... un peu de persuasion pour prouver qu'Igorrr travaille beaucoup sa partie métallique, et un dévouement sans faille envers ce groupe, qui me donne envie d'écrire - en tout cas quand je peux :)

En tout cas, tu as des références plutôt cool, que je connais toutes, je dois l'avouer, puisque je suis assez naturellement passé de l'écoute du metal à l'écoute du breakcore. N'hésite pas à ajouter Ruby My Dear à ta liste, car c'est un artiste français de breakcore vraiment intéressant, d'autant plus qu'il a travaillé avec Igorrr pour cet E.P. ^^

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