Nostril

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17/20
Nom du groupe Igorrr
Nom de l'album Nostril
Type Album
Date de parution 09 Novembre 2010
Style MusicalMetal Expérimental
Membres possèdant cet album34

Tracklist

1.
 Double Monk
 02:56
2.
 Tendon
 04:29
3.
 Excessive Funeral
 03:29
4.
 Very Long Chicken
 03:30
5.
 Melting Nails
 02:39
6.
 Pavor Nocturnus
 04:21
7.
 Caros
 00:51
8.
 Cruciform Dashchund
 03:42
9.
 Half a Pony
 02:23
10.
 Unpleasant Sonata
 02:14
11.
 Dentist
 00:43
12.
 Fryzura Konika
 02:50
13.
 Veins
 04:28
14.
 Moldy Eye
 04:26

Durée totale : 43:01

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Igorrr


Chronique @ Jordanli

26 Mars 2014

Reniflez l'odeur de la perfection !

« La musique parmi les beaux-arts n'obtiendra que la dernière place, parce qu'elle ne fait que jouer avec les sensations (tandis qu'elle obtiendrait peut-être la première place parmi les arts qui doivent en même temps être appréciés pour leur agrément) » dit Kant dans la Critique de la faculté de juger (n'ayez pas peur : ne partez pas tout de suite!).

Selon Kant, la musique a un statut ambivalent : certes, elle est spirituelle, mais elle flatte les sens, les tympans – elle fait plaisir, peut-être de façon trop sensuelle... Phénomène qui ne se produit pas quand on est face à un tableau : la vision nous procure le recul suffisant pour que l'imagination et l'entendement puissent entrer en relation (je n'entrerai pas dans les détails : il s'agit de constater le paradoxe de la musique).
Vision critique donc. Je ne chercherai pas dénoncer ce constat (« c'est un fieffé mensonge ! »), mais plutôt à montrer qu'il peut y avoir des avantages. Plutôt que de déplorer ce plaisir des sens, ne pourrait-on pas plutôt en jouir ? La musique serait le meilleur moyen de rappeler à l'homme sa dimension proprement animale, nous donnant nouveau regard sur le monde.

C'est là qu'intervient Igorrr. Cet artiste de musique contemporaine, qui a officié dans des groupes de musique extrême comme Whourkr ou Öxxö Xööx, que l'on classe habituellement dans le genre du breakcore, mais dont l'influence du metal est centrale, propose une musique avant-gardiste et expérimentale utilisant autant le jazz que la musique baroque. Son album Nostril, sorti en 2010, qui fera l'objet de ma critique aujourd'hui, est actuellement considéré comme son album le plus abouti.
Nostril. La narine. Organe évidemment essentiel, car vital. C'est aussi un élément du corps qui intéresse Igorrr dès Poisson Soluble (on y trouve le morceau « Pizza aux Narines » – est-ce un retour aux sources ?). En tout cas, c'est plutôt curieux dans le monde de la musique : Igorrr nous demande de faire appel à une partie du corps qui ne nous viendrait pas à l'esprit. C'est donc un changement de nos conceptions que nous devons établir. Chose assez peu facile à faire, d'autant plus que la saturation d'effets employée par Igorrr va nous donner une impression d'étouffement : on est face, de prime abord, à quelque chose de chaotique, d'irrespirable.

Attardons-nous sur la pochette de l'album. Pour la créer, Igorrr a fait appel à Mioshe, un artiste de Rennes connu pour sa pratique du street art peu banale, mettant en scène des créatures difformes et chimériques, selon une inspiration surréaliste. Que voyons-nous ? Sur un mur de couleur verte, couleur ambivalente qui symbolise souvent la mort, est accroché un cadre de forme circulaire (tiens, tiens : cette forme pourrait rappeler le trou de nez...). Et ce qui nous frappe tout de suite, dans ce cadre, c'est l' « homme » qui s'y trouve. Obèse, poilu, aux cheveux gras et épars, au regard littéralement biaisé (peut-être de celui qui aurait un rapport mondain avec la musique) – bref, un homme laid, ne nous voilons pas la face –, cet étrange personnage, assis, regarde le spectateur lui-même. Et puis, il est nu aussi, le rendant peut-être plus touchant ; l'humanité dans toute sa splendeur ?
Un chien se trouve sur ses genoux, tout contre lui. Et pas n'importe quel chien : un caniche, le chien du bourgeois par excellence, et qui est connu pour ça. Et pourtant, il fait un contraste terrible avec cet homme : ce caniche est parfaitement détaillé, réaliste – beau ? En tout cas, une relation étrange se noue autour de ces deux créatures, quasi fusionnelle (on peut penser à une influence du mythe de Léda, cette femme qui a eu une relation sexuelle avec Zeus métamorphosé en cygne). Mais peut-être que l'animal pourrait, dans sa beauté, dépasser l'humain ? Nous voilà déjà face à une contradiction complexe qui se confirmera au fur et à mesure de l'album... que nous allons étudier maintenant !

« Double Monk » ouvre le CD et nous place déjà dans une position de dualité (la fracture ?), comme le titre l'indique. Aux sonorités orientales se mêlent tout ensembles le chant religieux et les cris déchirants de Laurent Lunoir (Öxxö Xööx). Sacralité qui est déjà nuancée, surtout avec l'utilisation de la guitare électrique et le vrombissement de frigidaire à la fin du morceau. Froideur que l'on vivra souvent au cours de l'album, de façon plus ou moins forte, froideur qui va paralyser nos sens et nous empêcher de respirer convenablement. Cette introduction se confirme avec « Tendon », un des morceaux les plus connus de Gautier Serre, et une des pistes les plus fortes de l'album : Igorrr torture la musique baroque, la déforme, la distord. Elle devient nerveuse par les sonorités électroniques. Les ruptures s'enchaînent : cette musique laisse place à un morceau de guitare très saturé qui fera penser à du black metal, puis à un solo de violon magistral de la part de Benjamin Violet, et enfin à de la musique country, accompagnée par les cris aux effets plutôt absurdes et volontairement décalés de Laurent Lunoir. Igorrr joue déjà avec les sens de l'auditeur, provoquant un effet d'indigestion, confirmé par le « vomi » lancé par Martha Bugomila Nowak (pratiquement les seules paroles de l'album – en tout cas les seules paroles intelligibles). Vomir, se purger, moyen idéal pour se préparer au parcours qui s'annonce ensuite...
C'est alors que vient « Excessive Funeral », troisième morceau de l'album (chiffre trois qui a souvent des connotations métaphysiques ; d'autant plus que l'on peut constater trois parties dans le morceau : constat du décès, cérémonie et enterrement). Tout est dit dans le titre : moment officiel et sérieux, celui de la mort, celui du deuil et de la tristesse. Celui de ces cris lancés par Simon Fleury (City Weezle) – peut-être à la vue d'un cadavre ? –, celui du chant sépulcral de Laurent Lunoir. Et pourtant, Igorrr va « trop loin » dans le stéréotype de la cérémonie mortuaire, employant un rythme effréné, endiablé, des ruptures qui vont nous empêcher d'adhérer totalement à cet événement. Une sorte d'hyperventilation rythmique. Mais un morceau humoristique dans cet excès en quelque sorte. Pourtant, tout s'effondre à la fin du morceau : l'ambiance se fait solennelle et oppressante. Puis électrocardiogramme plat.

La fin d'un parcours initiatique ? Igorrr a visiblement détruit le corps humain dans son intégralité au cours de ces trois premiers morceaux : il souffre du froid, il se vide par le vomi... (oui, c'est très propre ; et encore, il ne s'agit que de Nostril !) Il s'agit désormais de poser de nouvelles bases, ce que l'on va pouvoir constater dans le deuxième partie de l'album. Celle-ci se fait globalement plus calme. La musique se fait presque a-musicale par moments (surtout dans « Very Long Chicken ») ; c'est une sorte de coma. Un moment de pause qui permet à l'auditeur de respirer justement, de revenir à cette fonction essentielle – un moment qui manque légèrement de force paradoxalement. Les chants de Laurent Lunoir et de Laure Le Prunenec (Öxxö Xööx) se font plus présents. Malgré tout, l'auditeur est laissé dans l'énigme : la langue est complètement inconnue, nous livrant en terrain étranger et poétique, lyrique.

Puis vient une nouvelle partie, qui commence avec « Cruciform Dashchund », ou Teckel Cruciforme si vous préférez ; bien étrange titre (et encore l'apparition du chien, décidément...). Un retournement de l'arrivée du Messie ? C'est le Teckel qui descend de sa croix pour nous annoncer la bonne parole ! La sacralité revient en force avec la réapparition du violon, dont les envolées provoqueront des frissons chez l'auditeur. Mais on ne quitte pas la peur de l'asphyxie : au début du morceau, la guitare oscille et n'arrive pas à se maintenir dans un bon équilibre ; on balance, on hésite, on se perd. Cette hésitation se poursuit au cours de « Half a Pony » puisque, à la fin, la musique subit un bug inattendu. Le morceau se fait dynamique : Igorrr joue et remixe « Scarlatti », une composition du musicien Horowitz. Le rythme de la musique accélère jusqu'au paroxysme dans « Unpleasant Sonata » : Igorrr s'amuse avec nos sensations, cherchant visiblement à provoquer un agacement, un dégoût chez l'auditeur. Le morceau se fait pratiquement bruitiste, chaotique et les cris de Laurent Lunoir (où trouve-t-il le souffle pour faire tout ça ?) s'enchaînent à un rythme affolant. Cette partie du CD laisse cependant quelques moments de répits pour l'auditeur, notamment avec « Dentist » (notez l'allusion aux dents et donc à l'alimentation) et « Fryzura Konika » aux sonorités plus douces et polaires.

Nous nous rapprochons de la fin. « Veins », un morceau littéralement palpitant, et celui qui reste mon préféré, et de loin. Une introduction bruitiste, des cordes pincées qui subissent des effets de retours en arrière (l'avancée dans la reconstruction de l'homme paraît bien incertaine...), une batterie déchaînée. Puis le morceau se brise soudainement, laissant place à un magnifique solo de clavecin tandis que, en fond, nous entendons des chœurs chanter. Le morceau est d'une fluidité parfaite et coule tout seul. Là où « Half a Pony » se terminait brusquement, « Veins » se termine avec le piano qui s'emballe ; le son baisse au fur et à mesure, nous laissant penser que le morceau pourrait continuer encore et encore, jusqu'à l'infini. Puis arrive le morceau final, « Moldy Eye ». Une esthétique qui fait penser à Frankenstein de Mary Shelley ? Sans doute : nous avons accompli une route longue (quarante minutes d'une musique qui n'a cessé de remettre en question nos concepts concernant l'homme) pour aboutir à ceci, un être à l'œil moisi, grotesque – grotesque comme le monstre créé par Victor Frankenstein. L’œil n'est plus dans la tombe. On retrouve une forte présence du bestiaire : chien, chat, et même le porc, admirablement imité par Mulk, tandis que la musique se fait écrasante et monolithique. Et l'homme dans tout ça ? On l’entend grâce au chant de Laurent Lunoir. Est-il un être qui se distingue ou, finalement, une sorte de bête parmi d'autres ?

Je termine la critique et analyse du disque sur cette question. Car Igorrr, cet artiste qui s'écarte définitivement des sentiers tant battus, ne nous offre aucune réponse. Angoisse de l'aporie musicale ? Pas vraiment : ne l'oublions pas, ce disque pourra vous faire rire à de nombreux moments tant il regorge de surprises. Et puis, Nostril est aussi un album appétissant et jouissif ; d'ailleurs, on peut entendre dans « Moldy Eye » le son d'une chaise qui racle le sol, ce son caractéristique qui confirme que le repas est terminé. Vous l'aurez compris, c'est un véritable chef-d’œuvre et je ne saurais que vous conseiller de vous précipiter pour vous emparer de ce disque, d'autant plus si vous êtes très ouverts d'esprit (les autres auront plus de difficultés pour adhérer à son projet...). Et c'est aussi pour cela que je ne peux mettre une note à Nostril : certes, on lui trouvera des défauts, mais ils restent minimes ; de toute façon, la qualité de l'album est telle que vous les oublierez bien vite !

« Je cherche un homme » dit Diogène, celui qui vivait comme un chien...

- Jordanli.

5 Commentaires

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GoddamnBiniou - 29 Mars 2014: Woaw, et bien quelle chronique!
Très détaillée, très recherchée, parfois peut être à l'excès (comme la musique d'Igorrr remarque) mais en tout cas d'un style littéraire impeccable et original. Bravo à toi car même si c'est beaucoup et que l'estomac finit par craquer, le met est succulent.

Perso, j'ai découvert Igorrr avec Hallelujah et je n'ai pas encore beaucoup d'écoutes au compteur pour Nostril. Mais pour le moment il me paraît plus "accessible" qu'Hallelujah, qui part peut être plus dans tous les sens.

Je n'irai pas non plus jusqu'à dire que c'est la perfection (le style est trop barré pour ça) mais en tout cas il est vrai que c'est un haut niveau musical et le fruit de quelqu'un de grand talent.

Bonne continuation à toi pour des chroniques du même niveau.
Jordanli - 29 Mars 2014: Salut à toi !
Merci beaucoup !
Eh bien, c'est vrai que j'ai voulu faire les choses en grand pour cette première chronique... Beaucoup de profondeur dans cet album, que j'écoute depuis bientôt un an et qui me fascine à chaque fois. Et plus je l'écoute, plus j'ai l'impression que RIEN, mais absolument rien, n'a été laissé au hasard. En fait, j'ai voulu retranscrire le voyage qui se faisait au fur et à mesure de l'album... Mais peut-être que mon analyse est trop "piste par piste", ce qui doit créer un effet de lourdeur... Je vais prendre ça en compte ;)
Curieusement, je ne suis pas tout à fait d'accord pour Hallelujah : c'est un album vraiment vraiment excellent mais... j'ai toujours l'impression qu'il manque ce tout petit quelque chose (ce "je ne sais quoi" comme diraient les classiques) pour qu'il devienne littéralement génial :)
Atmosfear - 08 Mai 2019:

Très belle chronique, au sujet de l'album d'un groupe que je viens à peine de découvrir, via une chronique sur le Métal français sur youtube, puis par l'album "Savage Sinusoïd" évoqué en extrait dans la chronique en question de "Maxwell" (https://www.youtube.com/watch?v=VBiRhicD2qI) et j'ai été immédiatement conquis...je n'ai pas pu arrêter sa "lecture".

Je ne pensais pas qu'on pouvait faire à la fois aussi barré et cohérent. Il faut dire que l'an dernier j'avais découvert Dodheimsgard, ce qui faisait déjà "franchir" un cap (j'adore leur dernier album en date que j'ai chroniqué sur mon site...de whisky-qui possède une rubrique musicale!), mais là autant d'éléments différents assemblés (je connais le style "jungle" mais pas "breakcore", par exemple, et j'adore la musique ancienne, renaissance, baroque, notamment, mais aussi nombre de formes différentes de métal, etc..) donc je disais là cette synthèse barrée est bluffante et impose le respect par sa capacité à fédérer les sons au delà des genres en vue d'un propos très personnel et pas gratuit (un peu comme Björk le fait), et, pour une fois (un mal français, hélas, qui ne m'intéresse guère, hormis parfois chez ...les belges de Carnival in Coal) pas "que de la déconnade potache" genre Ultravomit & co...(au s'cours !). La il y a de la hauteur, symbolisée aussi évidemment par la sublime voix de Prune et ses choix musicaux (...). Comme pour Dodheimsgard, le nom de Sleepy Time Gorilla Museum m'est venu à l'esprit, mais ici "les machines" sont plus importantes et la musique baroque l'est aussi  (...).

Je vais de ce pas écouter le reste de leur discographie dans les prochains jours, un voyage sidéral et sidérant en perspective ! Encore bravo pour cette chronique de haute volée....Intéressant aussi, je ne connaissais pas cette citation de Kant, qui ouvre un débat passionnant sur la hiérarchie entre les arts et sur son essence même....bon, j'arrête, j'suis déjà long...Merci encore !

Jordanli - 31 Mai 2019:

@Atmosfear Je suis ravi de voir que mes quelques chroniques sont encore lues sur le site :D Et je suis bien d'accord avec toi : chaque écoute d'un album d'Igorrr étonne et provoque un plaisir musical assez rare sur la scène metal actuelle ! Et plaisir qui est aussi intellectuel. Quand j'avais écris cette chronique, mon cerveau était littéralement en ébullition parce que ce que je trouvais faisais effectivement sens dans la logique de cet album. Que ce soit volontaire ou non, on ne peut que constater la force qui se dégage de sa musique. Cela n'est que mon avis, mais je trouve encore qu'il révolutionne la musique de ce début du XXIe siècle.

Si jamais tu veux en découvrir plus, je te conseille de lire mes autres chroniques, parce que je choisis généralement d'autres angles d'approches. Et aussi, si Igorrr te plaît, je pense que plonger chez Ruby My Dear peut être un bon choix : tu y trouveras une musique 100% breakcore, parfois abstraite, parfois surréaliste, géniale ^^

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