Hallelujah

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17/20
Nom du groupe Igorrr
Nom de l'album Hallelujah
Type Album
Date de parution 21 Décembre 2012
Style MusicalMetal Expérimental
Membres possèdant cet album41

Tracklist

1.
 Tout Petit Moineau
 05:04
2.
 Damaged Wig
 03:53
3.
 Absolute Psalm
 03:53
4.
 Cicadidae
 03:05
5.
 Vegetable Soup
 03:42
6.
 Lullaby for a Fat Jellyfish
 02:55
7.
 Grosse Barbe
 03:31
8.
 Corpus Tristis
 03:20
9.
 Scarlatti 2.0
 03:43
10.
 Toothpaste
 01:48
11.
 Infinite Loop
 04:13

Durée totale : 39:07

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Igorrr


Chronique @ Jordanli

19 Avril 2014

"Le cri qui symbolise l'accomplissement et l'absolu"

« Le christianisme a dit à l'homme : "tu es double, tu es composé de deux êtres […], l'un charnel, l'autre éthéré, l'un enchaîné par les appétits, les besoins et la passion, l'autre emporté sur les ailes de l'enthousiasme et de la rêverie" » dit Victor Hugo dans sa préface de Cromwell. On a tendance à l'oublier : aujourd'hui, on voit le christianisme comme une religion dépassée, mais elle peut nous toucher sur bien des points... Bouc-émissaire dans le monde du metal, elle est pourtant celle qui représente clairement les grands paradoxes qui torturent l'homme, cet animal qui espère toujours en un idéal : c'est la religion de Dieu qui se fait homme et qui se sacrifie pour sauver l'humanité. Et l'homme peut toujours succomber à sa part matérielle, être en proie au doute, comme on peu déjà le constater à plusieurs reprises dans la Bible par exemple.
Igorrr, et il le déclare lui-même, est très inspiré par le christianisme et par le monde religieux en général. Nous l'avons vu à plusieurs reprises dans ses anciens albums, avec les chœurs dans Nostril, avec les structures qui reposent sur trois mouvements dans certains morceaux... Mais, profondément baroque, Igorrr s'amuse beaucoup de cette influence : « Je crois que c'est le côté un peu ridicule de la religion qui me parle » explique-t-il dans une interview.

Le 21 décembre 2012, Hallelujah sort enfin. Hallelujah ! Le cri qui symbolise l'accomplissement et l'absolu : c'est la louange à Dieu, à sa toute-puissance. On peut voir un double impact avec un tel choix de date. Igorrr nous livre ce CD le jour de l'Apocalypse, selon les Mayas ; l'humanité était inquiète car elle croyait que cet Apocalypse était similaire a une destruction, une annihilation du monde. Hallelujah prend aussitôt une dimension cosmique et quasi divine. Mais Igorrr joue avec la superstition qui agitait les esprits. Après tout, s'il sort le disque ce jour-là, c'est bien pour montrer que cette prétendue destruction est chimérique ; le cosmique se transforme en comique. Hallelujah s'inscrit donc dans une pensée plutôt polémique.
Et cette trajectoire polémique se constate déjà avec la pochette, réalisée par Mioshe, que, une fois n'est pas coutume, je vais analyser. Une évolution chez Igorrr ? Certainement : la pochette de Poisson Soluble représentait une bouillie humaine ; dans celle de Moisissure, on distingue clairement une jambe monstrueuse ; dans Nostril, on voyait carrément un homme – répugnant, mais un homme quand même ; ici, nous voyons un curé, personnage qui incarne une autorité, et pas des moindres !

Deux forces s'opposent, de façon presque manichéenne. En bas de la pochette, une foule hétéroclite, agitée, semblant pousser des cris, des acclamations, et qui tendent les bras pour toucher ce Pape ; certains joignent les mains, comme pour faire une prière, d'autres tendent des croix, d'autres encore font le signe des cornes avec la main, rien que ça (mais si ! regardez bien, tout à droite !). Le désordre est complet : tout le monde s'écrase et se compresse. On notera la place de la couleur rouge, par endroits – peut-être pour souligner une violence latente, la place du sang ?
En haut, ce curé. Immense, colossal, gargantuesque même – écrasant –, et qui pourra rappeler l'étrange personnage de Nostril : « un gros curé obèse et moche » comme le dit Igorrr, au regard biaisé (encore !). Richement vêtu, possédant de nombreux bijoux, il prêche auprès d'une foule miséreuse et suppliante. Drôle de contraste n'est-ce pas ? Et pourtant, nous pourrons remarquer une fragilité qui est commune à ces deux univers : le monde de ce curé semble s'effondrer avec ces colonnades branlantes ; malgré le rouge dont je parlais tout à l'heure, les couleurs sont cruellement ternes, donnant à ces deux forces un point commun.
Hallelujah, un album dialectique, à la fois trivial et spirituel ? Nous allons le voir tout de suite !

Vous l'aurez sans doute compris : Hallelujah fait montre d'une très grande spiritualité, avec un vocabulaire et une musique presque sacrés. Dans le premier morceau de l'album, au titre extrêmement délicat, « Tout Petit Moineau » – le nom de Moineau n'est pas innocent et peut faire penser au moine –, Laure Le Prunenec (Öxxö Xööx) chante avec une voix claire et splendide, presque liturgique, tandis que l'on peut entendre piano ou violon, joué par Benjamin Violet. Igorrr n'hésite pas à s'inscrire dans un registre biblique, comme on peut le constater dans « Absolute Psalm », où l'on trouvera des samples de curé en train de louer Dieu ou de fidèles en pleine prière.
Hallelujah est l'occasion de vivre un envol musical particulièrement jouissif. Envol symbolisé par la présence – l'omniprésence – des oiseaux. Comme je l'ai expliqué, ils se trouvent déjà dans le premier morceau. Mais on pourra aussi citer le chant d'oiseau utilisé dans « Damaged Wig », voire le chant loufoque de Patrick (!), la poule d'Igorrr, dans « Vegetable Soup », accompagnée par Pedrou Lacasa et Jasmina Barra (tous deux de Vladimir Bozar 'n' ze Sheraf Okestär). Cette envolée s'accomplit aussi grâce aux crescendos, qui nous permettent de vivre une expérience sublime : dans le morceau final, « Infinite Loop », Igorrr, grâce au mixage, fait accélérer la batterie jusqu'à une vitesse littéralement surhumaine, tant qu'elle va produire une musicalité unique, tandis que chante Laure Le Prunenec.
Ce désir de perfection s'illustre aussi grâce aux nombreux jeux d'échos qui ont lieu dans l'album, lui donnant, malgré la dimension chaotique qui nous frappe au premier abord, une cohérence. Hallelujah s'ouvre et se clôt par le chant de Laure Le Prunenec ; et « Infinite Loop » joue d'ailleurs avec brio sur la répétition-variation, qui peut faire penser au genre musical de la fugue.

Mais, comme je l'ai expliqué, Igorrr est aussi l'artiste qui s'amuse des paradoxes et des contrastes. S'il crée du symbole (ou : le fait de jeter les choses ensembles), il joue de l'ironie : les irrégularités sont très nombreuses dans l'album. Le clavecin, instrument que l'on associe souvent à une musique légère et subtile, a un rôle prépondérant dans « Damaged Wig », mais il est accéléré à une vitesse vertigineuse ; les basses sont extrêmement profondes et cassent le rythme – d'ailleurs, on entend même un bruit de verre brisé à la fin.
Hallelujah, c'est le CD qui rassemble les contrastes les plus surprenants. Notons par exemple le fait qu'Igorrr, sûrement pour provoquer l'auditeur, fait participer Teloch, le guitariste de Mayhem, dans « Absolute Psalm » (du black metal avec de la musique chrétienne ? Oui, vous avez bien lu...) ou « Lullaby for a Fat Jellyfish ». Le Moineau du début est contrebalancé, pour sa part, avec la « Grosse Barbe » dans lequel Laurent Lunoir (Öxxö Xööx) a le premier rôle : la musique se fait un peu plus pesante, malgré le titre inattendu et comique (Igorrr aurait-il prévu que l'auditeur dise « la barbe avec ton baroque ! » ?). La sacralité est nuancée par de nombreux morceaux qui donnent franchement une impression de « n'importe quoi », comme avec l'estival « Cicadidae » qui fait chanter les cigales, ou « Vegetable Soup ».
Certes, le chant est divin, mais Igorrr veut faire connaître une expérience éprouvante chez l'auditeur. Certains morceaux se font plus étouffants. « Corpus Tristis », s'inspirant des compostions de Chopin, se fait plus lent, plus traînant et mélancolique... « Scarlatti 2.0 », qui lui succède, est dans la même veine, même s'il est plus rapide : le chant toujours aussi divin de Laure Le Prunenec devient cri torturé. Igorrr joue même ouvertement avec le désagréable et torture nos tympans dans « Toothpaste » : « c'est un titre légèrement flippant, qui devient un peu insupportable vers la fin », selon Igorrr, tant que l'on entend crier des « arrête ! » poussés par Ange Yopiti.

« C'est […] bien chien chanté » pourrions-nous dire, comme Frère Jean des Entommeurs dans Gargantua de Rabelais ! Hallelujah est effectivement un album excellent. Fait de contrastes, ce disque est d'une grande richesse, à la fois vivifiant et enthousiasmant, à la fois sombre et dérangeant. Malgré tout, je le trouve un peu moins profond que Nostril : « Cicadidae » ou « Vegetable Soup » sont des morceaux vraiment bons, mais le côté « n'importe quoi » tend à créer un effet de rupture peut-être trop important avec la thématique du disque. On sera aussi un peu déçu de voir que l'album ne dure que trente-neuf minutes, ce qui passe bien vite... N'ayez pas peur pour autant : avec Hallelujah, vous passerez vraiment un moment génial !

« […] Troubler ainsi le service divin !
- Mais (dist le moyne) le service du vin, faisons tant qu'il ne soit troublé ». Gargantua, Rabelais.

- Jordanli.

6 Commentaires

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Fonghuet - 03 Décembre 2016: Super chronique, profonde analyse, bravo!
Jordanli - 04 Décembre 2016: Merci beaucoup, @Fonghuet !
Ce n'est pas la chronique dont je suis le plus fier, étant donné que je me suis beaucoup plus amusé sur Maigre, mais cela me touche vraiment d'avoir encore des réactions sur ce que j'écris :)
Fonghuet - 06 Décembre 2016: ah ben j'irais lire sur Maigre alors!
Jordanli - 07 Décembre 2016: Mon cher Fonghuet, bien plus que le lire, il faut écouter l'E.P., encore et encore, regarder le clip "Chicken Sonata" et attendre en salivant le prochain album qui se fait peu à peu :D
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