Ah,
Igorrr, que voilà un artiste, dont la carrière musicale ne fait qu’exploser au rythme des années.
Pour autant, on ne peut que constater une réelle évolution progressive même si j’avais conservé quelques réserves sur certains aspects de leur évolution notamment sur leurs deux derniers albums. M’inscrivant plutôt dans une démarche d’amateur historique de l’œuvre de Gauthier Serre, que j’ai « poncé » bien avant la hype, et ayant un ressenti complémentaire de la chronique de Groaw et du commentaire de Molick sous-jacent, je me suis dit qu’une seconde chronique sur une œuvre aussi complexe et aussi charnière dans la carrière d’un groupe aussi impactant et controversable, pouvait faire sens.
Pour replacer les choses, je suis un aficionado assez historique de Gauthier Serre et de l’œuvre d’
Igorrr, dont je ne pouvais pas tout à fait anticiper l’explosion, en dehors de la diversité des têtes et profils du public présent à la
Java en Mai
2012, la première fois que j’avais enfin pu profiter de sa musique en concert. En effet, des punks, des métalleux (déjà) ainsi que des hipsters, du bobo rigolo, tous venus s’abreuver à la musique d’un homme à l’époque seul derrière ses platines, qui était tellement peu programmé pour devenir bankable, qu’il avait dû venir avec quinze CD, trois vinyls et dix T-shirts, bien sûr très vite épuisés…
Le fait est qu’à l’époque,
Igorrr loin du phénomène remplissant la salle Pleyel et jouant bientôt à l’Olympia, était pour moi, avant tout, le side-projet de Gauthier Serre, un des deux gars de
Whourkr, combo d’electrogrind marquant pour l’époque, et résonnait plutôt comme l’un des éléments d’une scène avant-gardiste française naissante et prometteuse, assez consanguine, puisque tout le monde faisait des apparitions guests chez tout le monde, incluant pêle-mêle et entre autres ÖxxÖ XööX, dont le couple de chanteur, fera les belles heures du début d’
Igorrr en live,
Pryapisme (dont on regrette de n’avoir plus de nouvelles), Vladimir Bozar’n’ze Sheraf Orkestär (dont le second album est annoncé depuis plus de dix ans…) et City Weezle (dont la renommée a tellement explosé que je viens de mettre à jour leur page sur SoM en y ajoutant le second album sorti en 2020), tout ce petit monde formant grossomodo les guests présents sur
Hallelujah, l’album transitionnel entre ce qui représente selon moi les deux carrières d’
Igorrr.
Et en effet, si on prend ce qu’
Igorrr avait fait avant et jusqu’à
Hallelujah, sur ce qui pour moi demeure l’âge d’or en terme de composition de sa carrière, le paramètre déterminant était que sa créativité ne souffrait pas des barrières obligatoires du fait de tourner en concert avec un line-up, nécessitant de ménager des espaces à chaque musicien, et ne permettant pas de décider de remixer uniquement une contrebasse jazzy (« Tartine de Contrebasse » sur «
Poisson Soluble » ), une étude de Chopin au piano ou du vieux ragtime (« Œsophage de Tourterelle » et «
Brutal Swing » respectivement sur «
Moisissure »), avec la liberté du poste de DJ exclusif qu’a par exemple
Venetian Snares (principale inspiration d’
Igorrr à l’époque).
Par la suite, donc il fallait y incorporer du riff de guitare, du scream, du chant lyrique féminin, du fait de cette contrainte liée à l’énergie live (pour lequel je n’aurais pas l’hypocrisie de nier l’importance dans l’émergence du groupe), avec quelques gimmicks, notamment les morceaux orientalisants.
Ainsi, j’avais ressenti une baisse dans la folie et dans ce qui m’intéressait dans la compo chez
Igorrr sur «
Savage Sinusoid », et plus encore sur «
Spirituality and Distortion », ce qui faisait initialement que j’étais plutôt méfiant sur ce «
Amen », ce d’autant que des questions se posaient : Comment le départ des éléments vocaux charismatiques qu’étaient Laure Le Prunnenec et Laurent Lunoir, allaient pouvoir être digéré ? (ce malgré le fait que JB Le Bail (ex-
Svart Crown) et Marthe Alexandre avaient démontré qu’ils pouvaient assurer les parties en live).
Et bien, dès les premières écoutes, le constat tombera assez vite,
Igorrr a pris la mesure de ce que sa nouvelle formule implique.
Si « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », et bien le passage d’un projet solo à un groupe à part entière nécessite également un enrobage différent pour soutenir au mieux les changements que cela implique dans la composition.
«
Amen » possède d’ores et déjà un son assez massif, carré, puissant, n’éliminant bien sûr pas les dingueries et impuretés caractéristiques de l’œuvre de son créateur, mais mettant en avant une plus grande consistance et cohérence de l’œuvre en elle-même que ce qui fut par ailleurs la marque du projet auparavant, même si cela n’empêchera pas Gauthier de se faire plaisir avec par exemple, une note de piano joué à la pelleteuse (regardez le clip de « Headbutt »).
Ainsi, les riffs de guitare électrifié lourds, la voix relativement monolithique de JB, le chant lyrique, bien plus solennel que dérangé, tout cela concorde à faire d’
Amen, une œuvre qui s’écoute d’un bloc et dont l’ensemble des pierres s’imbriquent comme dans un mur de son, porté par les arrangements electro qui prennent un tour plus efficace qu’étrange pour qui connait le groupe, ainsi que par la présence d’un vrai chœur et de la guitare acoustique de Nils Cheville (
Pryapisme) qui reviennent régulièrement donnant de la continuité dans l’expérimentation, même si des moments « non-sens » persisteront à l’image de ce très court déchainement sur « 2020 », qui sera peut-être à
Igorrr ce que « You
Suffer » est à
Napalm Death.
Cela ne se fait pas sans « sacrifice » par rapport aux processus connus de composition du passé, ainsi on aura moins cette variation entre les morceaux avec le « morceau italien », la « valse musette », l’electro pur, le morceau très métal avec le growleur invité.
Seule exception, le titre « arabisant », tenu ici par « Blastbeat Falafel » persiste et fait la part belle à l’ invités le plus marquant de l’album, Trey Spruance (Mr. Bungle, Secret Chiefs 3, John Zorn notamment), un des ténors de la scène rock metal avant-gardiste américaine des 90-2000, et dont la présence ici, renforce la caution « expérimental » de l’album, en venant jouer de différents instruments à cordes ethniques, là où l’apparition de Scott
Ian d’
Anthrax, bien que cohérente avec la ligne metal de l’album est plus anecdotique.
Au total, que retenir de cet «
Amen ». A l’image de sa pochette, qui rappelle celle un peu d’
Hallelujah et demeure résolument « metal » dans l’esthétique,
Igorrr a désormais endossé son nouveau costume de force vive d’un metal electro joué en live, fond
Amentalement expérimental, mais se donnant les armes pour en faire une force efficace, là où le début de sa carrière de groupe à part entière, tentaient de garder les ingrédients du début, muni de plus de contraintes qui grèvaient son expression.
Certains mettront inévitablement en avant une diminution de l’expérimentation pure et dure, et, si je ne peux mettre en terme de goût personnel, un album comme celui-là à la hauteur d’un
Moisissure,
Nostril ou
Hallelujah, j’y vois plutôt le summum de la seconde partie de carrière d’
Igorrr, comme l’assomption d’un choix, se présentant comme un vrai groupe de métal expérimental, et non plus comme un projet electro-geek un peu fou en voie de mutation vers du metal.
Et c’est tant mieux ?
Bon, ben ta chronique et la discussion avec Molick m'a tellement inspiré, que j'ai fait la mienne, également... Je dirais avis probablement complémentaire du votre, à savoir que j'avais paradoxalement plutôt un peu laché le combo (sur les deux derniers albums qui l'ont fait exploser, qui en mon sens étaient déja sages, par rapport à Hallelujah et avant) et que cet album me redonne de l'intérét.
Juste petite précision ; Aphrodite Patoulidou a juste assuré l'intérim live, et sur Spirituality and Distortion (déja 2020...) c'était encore Laure Le Prunnenec qui était derrière le micro (avec Laurent Lunoir)
Coquille corrigée, je te remercie pour la lecture :)
@Bakou : oui on peut dire qu'Amen prend une direction plus "assumée", moins hésitante entre un passé expérimental et un présent résolument métal, par rapport aux derniers (même si Savage Sinusoid se défendaient plutôt bien) qui avaient le cul coincé entre 2 chaises. Je trouve très pertinent ta remarque sur le fait qu'en devenant un vrai groupe avec des membres réguliers, il fallait souvent trouver des parties pour chaque membre. Je pense que justement que j'ai commencé à décrocher quand je me suis rendu compte en les écoutant que la majeure partie des albums récents était tenue par un vrai batteur. Cela mettait fin à la folie rythmique et à l'absence de contraintes, il fallait maintenant qu'un batteur puisse "jouer" en live sur les titres sous peine de s'ennuyer, et pareil pour le second guitariste (rien que de dire qu'il y a potentiellement 2 guitaristes en live ça me choque tant la guitare électrique n'était qu'un instrument parmi tant d'autres).
@Groaw : oui on est clairement sur 2 optiques différentes. En plus j'ai découvert Igorrr au moment où je m'immergeais dans la scène IDM (je ne connaissais guère qu'Aphex Twin), donc je suis très attaché à sa partie breakcore. En lisant la chronique de Bakou, je me rends compte qu'il me manque cet aspect melting pot, où chaque morceau correspondait à une orientation différente (le morceau classique lyrique/électro, le morceau brutal musette, le morceau ithurgique, le morceau breakcore, ...). Mais effectivement, si je m'y retrouve moins, d'autres y trouveront plus leur compte, et c'est cool parce que c'est un groupe qui mérite la reconnaissance. Je suis juste frustré que la reconnaissance n'arrive que depuis 2 albums.
J'espère juste que les futurs albums continueront à explorer de nouvelles voies.
J'ai eu beaucoup de mal à accrocher c'est beaucoup trop expérimental pour moi alors certes il y a une volonté de décontenancer l'auditeur et de ce point de vue c'est réussi après ce n'est le genre de musique que j'apprécie le plus dans le genre indus je préfère un peu plus d'accroche là au bout du compte on ne retient rien malgré des passages death-grind-black de bonnes qualités.
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