1970.
Après deux albums qui ont cartonné, fait grand bruit et projeté le groupe sous les feux de la rampe, après une année (même 2 en comptant la Scandinavie en 68 et le début 70) de tournées dans le monde, et notamment aux USA, où le groupe connaît un énorme succès, remplissant des stades, le duo de compositeurs, fatigué, décide de se retirer à la campagne, pour composer, tirer au clair leurs ambitions et se reposer un peu.
Page et Plant s'isolent donc dans un cottage, le hameau de Bron Yr Aur. Armés de plumes et de guitares folk, ils prennent du bon temps et composent la plupart des titres de leur prochain album ainsi que quelques suppléments.
D'ailleurs, l'une des compositions issues de cette expérience n'est autre que
Stairway to Heaven, de l'album sans nom. En fait, c'est Jimmy Page qui avait commencé la mélodie de ce morceau à la guitare, la notant dans un coin et l'oubliant.
Il la ressortira devant Jones et Bonham en studio, qui composeront subitement la plage instrumentale complète, puis Plant s'enfermera, et en quelques heures pondra les paroles les plus célèbres du groupe.
Mais revenons-en à nos moutons. L'album s'ouvre sur un classique
Hard Rock toutes catégories :
Immigrant Song. Le texte nous parle de Vikings, ces conquérants nordiques, et les vociférations suraigües de Plant nous emmènent au milieu des geysers et de la banquise qui se morcelle. Un régal intense pour ouvrir un album, 2min25 de bonheur.
Mais l'album commence réellement à partir du second titre, qui démarre dans une ambiance qui est à elle seule représentative de l'album. Des bruits de studio, feutrés, un murmure, et cette mélodie de guitare acoustique aux cordes métalliques, cet ensemble de cordes orientalisant, et cette voix, ces percussions ... Friends est un voyage, un hymne à l'amitié dans les ténèbres de la solitude, et les tourments d'un homme délaissé sont portés par ces vagues musicales étourdissantes .... Petite accélération finale inquiétante et fiévreuse, qui s'achève sur des ondulations sonores ronflantes ...
... Poursuivies par un gratouillement de guitare dans les aigus.
Celebration Day commence, de manière joyeuse et guillerette. Pourtant, malgré le rythme, la mélodie barrée, le refrain "
Mama I'm so Happy, I'm gonna join the band, we're gonna dance and sing in celebration" mais la chanson est très ironique et parle de déportation. Et là on comprend peut être mieux certaines intonations rageuses du chanteur ...
La 4ème piste commence. Doucement, c'est un blues. La batterie martèle d'entrée avec gravité un rythme lent et saccadé, pesant. Les claviers se font mélancoliques, le décor est planté. Since I've Been Loving You, ou le plus grand blues qu'un groupe de blancs ait jamais fait, selon les grands bluesmen noirs (BB
King & Co, rien de moins). Une chanson déchirante, parlant d'adultère. Un homme qui se tue au travail pendant que sa femme s'envoie en l'air. Le morceau est une descente aux enfers, une scarification.
Robert Plant n'a jamais aussi bien chanté, aussi bien hurlé, aussi bien gémi que sur ce morceau. Impossible de ne pas avoir la chair de poule et le poil hérissé quand il part dans les aigus. Et ce solo ! Le solo de ce morceau, magnifique, long, déroulé avec une exceptionnelle maîtrise en fait un des plus grands de tous les temps également, il est d'ailleurs enseigné en Angleterre dans les écoles de musique aux futurs prodiges de la 6 cordes. A la fin de ce solo, un hurlement dans le vide. Repris par la musique qui trépigne. Le morceau se calme, pour repartir de plus belle, dans le désespoir le plus profond, au bord du gouffre et de la folie. "Don't you hear them fallin' ?" ... Quand le morceau se termine, on reste pantois en général, un brin démoralisé même.
Mais heureusement,
Out on the Tiles est là ! ^^ Un morceau énergique, rapide, entraînant et joyeux, pour clore la première face du vinyle. Un vagabond se promène et chante le long des routes. Le rêve américain à l'ancienne quoi.
Comme vous l'aurez compris, la première face était plutôt "branchée" électrique. Pourtant l'isolation à Bron Yr Aur a porté ses fruits les plus délicats, et la deuxième face a surpris bien des gens à l'époque de parution du vinyle. Car si Led Zep laissait pressentir un penchant pour le folk et ce genre de trip sur son deuxième album notamment (
Ramble On, Thank You), ce qui attend l'auditeur là est carrément différent.
On attaque avec
Gallows Pole, une de mes chansons préférées du groupe : Jimmy sort un attirail d'instruments à gratter, et surtout la mandoline (qu'il retrouvera un album plus loin, sur The Battle of Evermore).
Gallows Pole (Le mat de potence) est une reprise d'une chanson traditionnelle anglaise. L'histoire d'un pauvre type qu'on va pendre et qui tente de corrompre un bourreau infâme : le bourreau lui prend tout, argent, or, sœur, mais finit par le faire danser sur le mat de potence ... La gradation du morceau est jouissive, les instruments se pointant les uns après les autres au fil des couplets et des personnages - et du désespoir de la victime. Là encore, l'interprétation fait mouche, et l'ironie finale est perceptible, dans un déluge instrumental où se noient les hurlements féroces du bourreau satisfait.
On calme le jeu avec une petite balade , Tangerine (= mandarine), une petite histoire de cœur, assez banale mais jolie, un morceau nostalgique qui commence puis s'arrête, laissant juste les musiciens compter la mesure avant de reprendre (One, two, three, four, one, two, free...). Un solo avec un joli effet, mais un peu trop court cependant.
Vient à présent
That's The Way, une balade très folk, mais beaucoup moins mielleuse, quoique nostalgique. Je n'ai jamais vraiment compris ce texte, pourtant simple. Une amitié impossible ? Un amour impossible ? Un rejet pour cause de différence ? Les maux d'une société en tous cas. La mélodie est superbe, l'interprétation sensible, et le final très sympathique.
Bron Y Aur Stomp, hommage au fameux cottage, est quant à lui un morceau folk très rythmé, qui parle d'un "blue-eyed merle", le merle étant une race de chien. Et oui, c'est une chanson sur le chien du chanteur ! ^^ Curieux mais incroyablement réussi et joyeux, rien de tel pour mettre la pêche et taper dans ses mains ... A noter que sur
Physical Graffiti, un morceau instrumental acoustique est appelé Bron Yr Aur.
Enfin, le morceau le plus ovniesque de l'album le conclut.
Hat's off to (Roy) Harper est un hommage détonant à un grand nom de la musique blues/folk, dont
Led Zeppelin est résolument fan. Un morceau joué sur des cordes métalliques, avec un bottleneck, offrant ainsi une saturation de slide, et une voix trafiquée au micro. C'est excessif peut être, mais ça passe.
En conclusion, un album au final quasi conceptuel, basé sur une construction en opposition de genres, tantôt violent, tantôt calme, qui régale et surprend depuis bientôt 40 ans, et qui malheureusement n'a pas forcément toujours la reconnaissance dûe : l'album n'est pas dans le top 500 du mag' Rolling Stones, et c'est une des moins bonnes ventes du groupe (seulement une dizaine de millions d'exemplaires).
Mais il reste un incontournable de leur discographie, et un indispensable de toute médiathèque qui se vaut. Un 20 très mérité.
En revanche, tu occultes deux titres :
Tangerine et That's The Way. Je considère ces deux morceaux comme faisant partie des plus belles ballades de tous les temps, au côté de Stairway. Une émotion bien palpable, peut-être plus que dans Stairway, qui marque profondément le coeur. Des refrains super, surtout pour Tangerine... Ils font submerger en moi une profonde mélancolie (alors que je n'étais pas né à l'époque^^).
Sinon pour tout le reste je suis d'accord avec toi.
3e album différent des deux précédents, mois rock, moins blues, mais très agréable.
Pour moi, deux temps forts sur cet album, l'original Gallows Pole et la sublime ballade Since I've been loving you.
17/20
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