Danser en compagnie des ténèbres.
Voilà une vingtaine d’années que les Portugais de
Moonspell s’évertuent à matérialiser cette image, à jouer avec la délicate luminosité extraite de l’obscurité. Extraire la lumière de la noirceur de notre environnement, trouver la délivrance malgré toutes les épreuves, les combats que la vie nous assène inlassablement et garder espoir malgré cette ambiance pesante et cette maitresse faucheuse qui nous guette, attendant patiemment son heure.
Il ne va pas sans dire que les Portugais, suite à leur renaissance pour beaucoup liée à la sortie de l’impérial "
Memorial", avaient beaucoup déçu après leur pari risqué du double album "
Alpha Noir"/"
Omega White". Risquer le parti pris de séparer la dualité omniprésente de
Moonspell, de scinder l’ombre et la lumière en deux disques distincts n’avait pas forcément plu, l’identité même de la bête étant de lier ces deux oxymores, depuis toujours éloignés mais si indispensables dans leur subtil entrelacement. Cela donna un mièvre
Alpha Noir, brut mais sans subtilité, sans finesse ni ambiance et un certes superbe "
Omega White" mais qui resta au statut de simple album bonus sans promotion, ni réelle existence propre (on ne le trouve que dans l’édition limitée et il ne possède pas de pressage individuel).
Il faut également le dire, les premiers extraits de ce qui était amené à devenir "
Extinct" ne furent pas non plus pour nous rassurer, entre mélodies semblant téléphonées, ambiances surfaites et convictions en berne. Jolie preuve que sortir des titres indépendants de leur sphère globale n’est jamais une bonne idée puisque la découverte complète de ce nouveau disque, écoute après écoute, n’est qu’une longue suite d’émerveillements, de surprises et d’émotions à fleur de peau.
"Breathe (Until We Are
No More)", premier morceau du disque, surprenait lorsqu’il fut dévoilé seul, mais quel morceau pour ouvrir le disque, notamment lorsque l’on prend conscience de la dimension symphonique nouvelle pour les Portugais. Une mélodie au tapping sublime, une puissance sonore imparable, un subtil accompagnement symphonique propre à apporter une dimension romantique supplémentaire (le groupe ne jouant pas la carte de la surenchère, bien au contraire) et surtout la voix enchanteresse de Fernando Ribeiro, jouant de sa superbe voix claire sur le refrain qu’il superpose avec son growl si particulier et épais. Sa voix grave et sensuelle accompagne les couplets dans une véritable ambiance gothique dont une puissance sourde émane à chaque instant (le jeu de Miguel Gaspar n’y est pas étranger).
"
Extinct" se veut le parfait mélange entre la période gothique d’un "
Darkness and Hope" ou "
Antidote" avec la puissance sombre et destructrice d’un "
Night Eternal" dont un soupçon de "
Memorial" ne serait pas de trop.
Terminé le côté black de "
Alpha Noir", creux et brut, finie également la dimension plus expérimental d’un "
The Butterfly Effect". Au contraire,
Moonspell prend une dimension gothique très large, laissant ressortir des influences plus éloignées telles que
Type O Negative (notamment dans le chant très profond parfois) ou
Sister of
Mercy pour les titres plus ambiancés.
Le titre éponyme livre un merveilleux refrain tout en clair, caressant les sens d’une délicate poésie sombre dont les ténèbres surgissent sur des couplets belliqueux et sombres. Les rythmiques sont dures puis laissent la place à de discrets arrangements symphoniques sur un refrain où Fernando se fait une part de choix, avant le plus beau solo de l’album, si ce n’est l’un des plus beaux de la carrière du groupe. D’abord très mélancolique et mélodique, il évolue vers un tapping d’une pureté à couper le souffle montant en puissance pour laisser ressurgir ce refrain beau à pleurer, ayant cette intelligence suprême de ne jamais sombrer dans une mièvrerie inhérente au style.
Moonspell a également fait le choix de s’octroyer les services (très demandés dernièrement) de Jens Bogrén qui a parfaitement compris les Portugais en lui confiant une production puissante, profonde et ample en opposition avec les écarts souvent trop modernes et peu adaptés de Tue Madsen.
Il suffit de plonger dans le sublime "
Funeral Bloom", s’ouvrant sur la voix de Fernando et quelques arpèges (c’est ici que l’ombre de
Sister of
Mercy se fait plus pressante), avant que l’atmosphère ne devienne plus oppressante avec l’un des finalement rares hurlements du ‘sieur. Derrière une apparente accessibilité, une fausse simplicité se cache un travail d’arrangements, d’ambiances énorme et l’on sent que chaque mot, chaque respiration et chaque note a été savamment pensé pour que tout soit parfaitement à sa place dans cet immense échiquier de la mélancolie. Impossible également de ne pas mentionner un "Domina" fragile et sensible, rappelant la direction d’un "
Omega White" dans son approche décharnée et délicate, où les leads mélodiques transpirent une beauté pure et une vision charnelle, sensuelle même, que les Portugais ont cherché à véhiculer avec le plus de vérité possible.
"Medusalem" surprend également dans sa vision plus orientale, très gothique dans le rendu (le chant s’y veut très grave, quasi narratif) mais sur lequel les Portugais peuvent s’enorgueillir d’avoir accueilli l’Occident, l’Orient et le Moyen-Orient avec notamment
Yossi Sassi, une chanteuse iranienne ainsi que le Turc Sesler Mumin pour un moment de partage, d’échéance aboutissant à un refrain s’envolant dans les cieux dans sa légèreté, sa beauté et sa transcendance. On parlera également d’un "The Future is
Dark" aux tonalités sensiblement électroniques et cold wave, incluant une mélancolie sous une autre forme, plus proche d’une solitude physique que psychologique, évoquant plutôt les longues nuits d’un hiver pluvieux que les errements d’une âme venant de perdre un être cher. Le chant de Fernando se pose sur un beat électronique très léger ainsi que quelques arpèges de guitares qui auraient pu servir à une bande originale de film. Le refrain entre immédiatement en tête, d’une grande beauté une fois de plus, entre subtilité, douceur et nostalgie à déchirer les tripes.
Sans que l’on ne le sente réellement venir,
Moonspell, avec "
Extinct", vient de sortir son meilleur disque depuis "
Memorial", voire plus tant ces deux albums sont différents. Une très belle page de metal gothique dans toute sa splendeur, sa magie, sa poésie et sa noirceur latente. Une poésie se terminant sur un intrigant "La Baphomette", interprété en français, tel une prose mise en musique de manière burlesque et théâtrale avec l’ajout de cuivres dignes d’un cabaret.
Une belle réussite d’un groupe en pleine possession de ses moyens et certain de son hégémonie sur une scène manquant grandement de leaders.
Moonspell en est clairement le chef de file.
Excellent album que je ne me lasse pas d'écouter. Vraiment splendide du début à la fin !!!
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