Sept ans d’absence, c’est long. C’est même très long, surtout quand on est un groupe cultissime de la scène black metal, qu’on a sorti un album mythique en
1994 unanimement encensé et que, depuis, chacune de nos sorties est avidement attendue par une horde de fans transis et de détracteurs sans pitié qui n’ont de cesse d’idolâtrer ou de chier sur notre dernière livraison parfois même avant de l’avoir écoutée. Et surtout quand, accessoirement, notre dernier album,
Ordo ad Chao, est loin d’avoir fait l’unanimité et a vu beaucoup de septiques annoncer la mort artistique du groupe.
Rassurez-vous,
Mayhem n’est pas mort. Voilà donc, 7 ans plus tard, le – grand ? -retour de
Mayhem avec un album au titre évocateur,
Esoteric Warfare, un retour sans
Blasphemer, remplacé par un certain Morten Iversen, alias
Teloch. Pourtant, dès les premières notes de Watchers, on reconnaît ce son de guitare si typique du groupe au grain froid, lointain et brumeux, et la machine
Mayhem se met inéluctablement en branle : rythme martial très marqué par une batterie omniprésente et guerrière qui s’emballe en quelques furieuses incartades, riffs bourdonnants et sombres qui roulent et résonnent comme un mur sourd et diffus, le tout rehaussé par des petites notes aux dissonances malsaines, vocaux haineux et inhumains,
Mayhem a l’air d’être bel et bien de retour.
Sur ce premier excellent titre, on retrouve donc les marques de fabrique qui ont contribuées à forger l’identité sonore du groupe, avec ce chaos rythmique si savamment organisé, et cette avalanche de riffs tordus et grinçants qui nous entraînent au fond du gouffre. Les vocaux d’
Attila sont impressionnants, entre grognements aliénés et sortes de mantras lugubres et dérangeants, incarnant un titre à la fois extrêmement violent, dérangeant et progressif, se composant de parties directes et d’autres passages plus lents et ambiancés. L’entité norvégienne démontre ainsi dès le début s’il en était encore besoin qu’elle sait toujours varier intelligemment les rythmes, proposant un long break aux relents d’ambiant malsain émaillé par les borborygmes du Hongrois et quelques arpèges maladifs, avant que les tambours de guerre ne viennent résonner à nouveau et relancer le morceau, incarné par ce mur de guitares maladives.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le départ de
Blasphemer ne se fait pas trop ressentir,
Teloch s’étant naturellement réapproprié l’âme de
Mayhem, et servant avec une étonnante facilité des riffs glaciaux et tranchants comme des lames de rasoir, et des parties lancinantes à vriller l’âme.
Les dissonances, qui sont une autre particularité du groupe, sont également toujours plus que présentes, conférant un aspect tordu et dérangeant aux parties de guitares, tantôt saccadées, tantôt lourdes, et contribuant à créer un climat particulièrement maladif et torturé (le début de Throne of Time est particulièrement schizophrène, le début de Pan
Daemon dérange, avec ses coupures brutales et ses vocaux dérangés réellement effrayants).
Ainsi, la musique prend parfois un ton urbain aux teintes presque bruitistes, dégageant un côté glacial et mécanique très présent, aidée par ces percussions robotiques et ces riffs déshumanisés (
Corpse of Care, lent, grinçant, mécanique, aux forts relents d’indus décadent et crasseux, d’une lourdeur implacable, avec les hurlements insoutenables d’
Attila qui viennent parachever le tout).
On peut aussi opposer deux titres très symptomatiques de la bipolarité de ce nouveau
Mayhem, avec le court Pan
Daemon, martial au possible, qui détruit tout sur son passage, probablement un des titres les plus rapides et dévastateurs que les Norvégiens n’aient jamais enregistré, enseveli sous ces déluges de blasts apocalyptiques et de riffs roulants, et MILAB, débutant sur des arpèges inquiétants et une basse sourde supportés par des chuchotements et des vocalises angoissantes qui font froid dans le dos, incarnation parfaite d’un black orthodoxe rampant tout ce qu’il y a de plus ésotérique et blasphématoire.
On constatera qu’
Esoteric Warfare est très varié, alternant au sein même des morceaux parties ambiant aux riffs tordus et passages furieux où la batterie matraque en règle. L’ambiance est très présente, glaciale et suffocante à souhait, mais, dans l’ensemble, la musique des Norvégiens est trop dispersée, manquant parfois un peu de liant, même si la voix d’
Attila Csihar, entre chuchotements mystérieux, hurlements black à glacer le sang, éructations sourdes très proches du death et borborygmes étranglés, sert de vrai fil conducteur entre les titres. En fait, il est difficile de savoir si la musique de
Mayhem est trop spontanée, éclatant à la gueule de l’auditeur au grès des pulsions insanes de ses géniteurs et sans aucune logique rationnelle, ou si au contraire, elle est trop travaillée, trop étudiée dans sa complexité et son art de la déstructuration, et en devient du coup un peu aseptisée et stérile.
Quoi qu’il en soit, comme chaque album de
Mayhem,
Esoteric Warfare est particulièrement difficile d’accès, hermétique, distillant une ambiance très froide et vénéneuse qui ne finira par nous posséder complètement qu’au bout de nombreuses écoutes attentives. Les nombreux changements de rythme et d’ambiance sont parfois assez difficiles à digérer et forment un ensemble à la fois compact et hétérogène très éprouvant à s’enfiler d’une traite, même si séparément, tous les titres sont intéressants et complexes (mis à part
Psywar,
Subhuman et
Aion Suntalia, à mon sens bien en dessous du reste qui est excellent pour peu que l'on fasse l’effort de s’ouvrir à la musique). D’ailleurs, du haut de ses 47 minutes, la galette s’étire un peu en longueur et les deux derniers titres, pas assez directs et possédés, se font lassants, terminant l’album en demi-teinte (Posthuman ressemble plus à une messe noire hallucinée et baroque sous LSD qu’à un réel déluge de haine, de violence et de noirceur comme tout amateur de bon black metal serait en droit de s’attendre).
Finalement,
Mayhem reste unique et inclassable, ne ressemblant à rien d’autre qu’à lui-même. Les amateurs pourront retrouver dans cette nouvelle réalisation un peu des trois derniers albums, (parties expérimentales et martiales à la
Grand Declaration of War, passages noirs, directs et sans concessions qui rappellent
Chimera, titres déstructurés et cassures rythmiques finement agencés en un chaos bruitiste qui renvoient à
Ordo ad Chao), mais la formation culte continue simplement son exploration personnelle d’un black metal qu’il a grandement contribué à faire évoluer, cherchant continuellement à se renouveler et à innover. Très difficile à cerner, on pourra néanmoins constater une tendance évidente à privilégier les ambiances froides et malsaines au côté destructeur de sa musique. Ni exceptionnel ni mauvais mais intéressant à plus d’un titre,
Esoteric Warfare n’est ni plus ni moins qu’un nouvel album de
Mayhem.
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