« Imaginer ces hommes affrontant la rigueur des éléments et un environnement hostile, avec une technologie imparfaite et défaillante, pour un atteindre un but purement scientifique, cela a quelque chose d'interpellant ».
Ihsahn
Un but purement scientifique. Le besoin de faire, d'expérimenter, de découvrir et d'être pionnier...telle était la fascination de ces hommes envers lesquels le norvégien
Ihsahn a décidé de rendre hommage à travers son propre périple musical et expérimental. Métaphoriquement, on pourrait trouver de nombreux points communs entre ces hommes à la pensée quasi-fanatique, perpétuant un but que seul leur for intérieur connaissait réellement et un artiste rejetant constamment les stéréotypes et les idées préétablies pour toujours remettre en question ses propres bases.
Sobrement intitulé "
Arktis", représentant ces contrées gelées et presque inaccessibles et faisant suite à un "
Das Seelenbrechen" que certains n'ont toujours pas apprivoisé, la question est encore et toujours de savoir où est allé cette fois-ci l'ancien empereur du black metal désormais ermite de sa propre création artistique.
Là où "
AngL", "
After" et "
Eremita" n'étaient qu'une lente évolution vers un metal progressif, classieux, technique et redéfinissant entièrement les codes du norvégien, "
Das Seelenbrechen" avait surpris (c'est peu de le dire) par sa dimension très expérimentale, instable et compulsive. Composé et enregistré presque en même temps, sans le réfléchir et dans la spontanéité la plus propre,
Ihsahn ne s'était entouré que de Tobias Ornes Andersen à la batterie et avait réalisé tout le reste. Cela avait donné un disque passionnant et s'engouffrant dans les tréfonds les plus éloignés de la personnalité du norvégien, sans barrières ni filtres. Tel un instantané...un album non pensé pour la scène mais comme un cliché de l'instant présent…
De nouveau, comme cela avait pu être le cas pour "
After" et "
Eremita", "
Arktis" se pose comme le miroir de "
Das Seelenbrechen", son jumeau maudit, les deux devenant logiques et limpides lorsqu'on les comparera dans quelques années.
Est-ce parce que "
Das Seelenbrechen" est si instable et dépourvu de structures logiques que "
Arktis" revient sur le format le plus accessible de la carrière solo du norvégien ? Est-ce parce que le précédent ne possède presque aucun refrain ou soli que celui en comporte autant ? Est-ce parce que le cinquième opus était très difficilement adaptable à la scène que celui-ci semble avoir été pensé, écrit et projeté directement en live ? Autant de questions sur lesquelles
Ihsahn reste volontairement flou, semble s'en amuser mais ne pas nier complètement certaines vérités.
Clairement, "
Arktis" se veut beaucoup plus accessibles que les précédents disques, sans pour autant que cela soit péjoratif ou que ça porte préjudice à la musique. Bien loin de là.
Ihsahn semble avoir voulu composer certains titres sous formes de futurs hymnes guerriers, sans pour autant ôter sa patte si caractéristique, son empreinte technique et certains choix très forts. Le retour de nombreux invités en est déjà un, qu'ils soient habituels (Einar Soldberg, Jorgen Munkeby) ou nouveau (Matt Heafy). Ensuite, le musicien a fait le choix à priori étrange de n'enregistrer aucune partie de basse pour ce disque, l'instrument étant purement et simple samplé et artificiel du début à la fin, pour renforcer l'impact des guitares huit-cordes et l'oppression de certains riffs foncièrement écrasants. Pour terminer, la place toujours plus importante de l’électronique dans la musique du norvégien vient également démontré que les expérimentations sonores du précédent disque n'était pas des envies passagères.
Majoritairement plus mélodique et catchy, certains titres se révèlent rapidement et furent clairement écrit pour le live. "
Mass Darkness", premier extrait, en est le meilleur exemple. Une ouverture mélodique, un riff rapide et tortueux lorsque Tobias se laisse aller dans des roulements de toms répétés et surtout un vocaliste voulant retrouver une certaine puissance d'exécution, toujours dans son style si personnel. Le refrain est ponctué de chœurs clairs mais aussi de «
Mass Darkness » noirs et lourds à souhait réalisés par Matt Heafy. Le solo est tordu et évoque une touche presque néo-classique assez rare chez
Ihsahn, mais loin d'être déplaisante. "My
Heart is of the
North", déjà connu en live, se révèle également plus classique, avec une touche progressive 70s assez distincte par la présence notamment d'orgue ne trompant pas, ainsi qu'un break clair très pop mais complètement assumé. "Until I Too Dissolve" va même plus loin en s'ouvrant sur un riff carrément heavy metal 80s dont la reconnaissance ne pourra qu'être immédiate en concert.
Mais cela veut-il dire que "
Arktis" est trop accessible et que le compositeur a sacrifié sa personnalité sur l'autel de la simplicité et du conformisme ? Et bien non, même si ce sont ces titres qui ressortiront en premier lieu, l'album dans son ensemble est loin d'être si simple à appréhender que cela,
Ihsahn l'ayant simplement fait plus respirer qu'à l'accoutumé par ce type de compositions.
Nous évoquions l'électronique. "South
Winds" pourrait dans un premier temps évoqué "
Pulse" mais il n'en sera rapidement rien, tant on s'éloigne de l'univers de la ballade électronique pour entrer dans un monde ici quasi industriel, sale et glauque à souhait. La tonalité vocale d'
Ihsahn surprend, malsaine et presque dogmatique, avant de s'ouvrir sur des parties claires lumineuses de beauté et de poésie. C'est sur ce genre de titre que les guitares, lorsqu'elles arrivent, se font plus lourdes que jamais et que l'absence de basse se fait comprendre, renforçant par ce biais la schizophrénie sonore. Pourtant, après chacun de ces passages d'une noirceur extrême émane une luminosité extraordinaire provenant d'arpèges ou de mélodies éthérées tout bonnement sublimes. Étrange ? Écoutez donc "Frail" et son introduction acoustique qui laisse ensuite échapper des sonorités aliénantes de moog et des parties de piano théâtrales où les râles d'
Ihsahn se partage des moments en clair de toute beauté. Les guitares vont et viennent et rappellent "Rec" de l'opus précédent, faisant de nouveau un parallèle avec le travail de
Devin Townsend. Quant à "
Crooked Red Line", où la saxophone de Jorgen retentit une nouvelle fois, ce n'est cette fois-ci plus pour évoquer une quelconque aliénation ou une descente aux enfers mais pour plonger dans une atmosphère jazzy dépourvu de sa chaleur habituelle, sortant le saxophoniste de sa zone de confort pour une interprétation surprenante et marquante.
Ihsahn démontre par la même occasion la justesse de son chant clair et qu'il est devenu définitivement un « vrai » chanteur.
Certains diront donc, entre ces compositions expérimentales et d'autres beaucoup plus heavy, que le
Ihsahn d'hier a définitivement disparu. Une fois de plus, prouvant que "
Arktis" est l'opus le plus hétérogène (tout en s'inscrivant dans une grande cohérence avec ses autres albums), des morceaux rappellent par bribes, très distinctement, que tout n'a pas complètement disparu. Entre un "Disassembled" qui aurait pu apparaître sur "
After", un "In the
Vault" qui, malgré son ouverture très mélodique, poursuit dans une ambiance des plus morbides (les premiers râles vocaux d'
Ihsahn) ou encore "Pressure", le norvégien reste cohérent avec lui-même. Ce titre est d'ailleurs surprenant car sa première partie se veut typique de son travail actuel, très progressif et alambiqué, jouant des harmonies pour tisser des environnements tordus et complexes. Puis, d'un coup, les guitares se font lourdes, malsaines et dissonantes...le rythme s'alourdit, Tobias écrase sa caisse claire pendant une dizaine de secondes puis...sans crier gare, l'empereur est de retour l'espace de deux minutes, passant d'un univers minimaliste à une emphase symphonique absolument inattendue mais salvatrice, surmontée d'un blast-beat et de la voix écorché du norvégien qui nous ramène en plein black metal symphonique. Il faut également évoquer la merveille clôturant le disque, à savoir l'immense "Celestial Violence". Einar s'occupe de débuter dans une ambiance mélancolique et glaciale, très proche des deux derniers
Leprous. Sa voix et quelques nappes de claviers...puis une délicieuse explosion de puissance, où le black metal ressurgira des entrailles d'
Ihsahn pour prendre littéralement aux tripes. Basé uniquement sur les lignes vocales, "Celestial Violence" n'est qu'une longue montée en puissance, Einar faisant du deuxième couplet un passage déroutant d'émotion et très pop avant que les deux voix ne s'entremêlent dans une fusion artistique ultime, faisant de ce titre peut-être le plus beau duo entre les deux hommes (et entre
Leprous et
Ihsahn, c'est d'une bonne dizaine de morceaux que nous parlons).
"
Arktis". Aimant jouer sur les paradoxes, c'est en évoquant Fridtjof Nansen et ces grands aventuriers du froid qu'
Ihsahn propose son album le plus chaud et accessible, sans pourtant renier ses racines et sa volonté incurable d'avancer et de perpétuellement expérimenter. Les possibilités semblent constamment illimités lorsque l'on évoque sa musique et les possibles voies à explorer dans le futur. L'artiste ne se refuse jamais rien, ni le fait d'ôter un instrument, de flirter avec des consonances honnies par certains (la pop, l'electro), de replonger dans son passé extrême ou symphonique ou de se laisser aller à des instants dont lui-seul possède réellement la clé. Accompli, libre et débarrassé de tous carcans,
Ihsahn est aujourd'hui ce que l'on attend d'un artiste. Quelqu'un de vrai et d'honnête.
Le fait que cet album t'ait touché est une évidence, cela se ressent et je trouve superbe que tu l'exprimes au travers des titres que tu égrènes.
Je trouve cet album en effet plus direct et accessible que son prédécesseur et j'en retire une impression de "mieux respirer" tant le précédent était hors normes y compris dans l'effort à faire pour rentrer dedans, celui-ci parait plus naturel.
Je l'ai beaucoup écouté en regardant par moments cette pochette sobre et terrible et sans doute influencé par cette image, j'ai trouvé que les morceaux sont porteurs d'ambiances tantôt rageuses, tantôt calmes comme si un vent tournait autour de nous, s'arrêtait avec un silence absolu pour mieux reprendre ses hurlements.
C'est un album superbe, comme ta chronique pour laquelle je te remercie.
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