Il y a des albums que j'explore en éclaireur, de loin, avant de me décider à les acheter. Et il y a les albums d'
Ihsahn, où je dégaine la carte bleue avant la fin de la première chanson. Une prise de risque d'écervelé avec n'importe quel groupe qui case son meilleur morceau en premier et fourbit du remplissage fadasse sur le reste, mais c'est mon signe de soumission au Sinistral Barbu. Même son antépénultième album "
Das Seelenbrechen", qui était pour moitié composé de bruitages expérimentaux d'un intérêt limité, valait le détour par les quelques perles qu'il contenait.
Ihsahn, leader d'
Emperor, un des groupes les plus sulfureux et avant-gardistes du Black
Metal dès les années 90, a entamé une carrière solo dans les années 2000. A travers six albums, dont la fameuse trilogie "
AngL", "
After" et "
Eremita", il est parti des terres sombres du Black
Metal pour explorer sa musique sur un mode progressif, en y incorporant des éléments rock, pop, jazz, … Le dernier LP en date, "
Arktis", continuait cette ouverture, en incluant de l'électro glacé, à base de synthés angoissants. Mais dans le même temps, son metal renforçait ses racines qui plongeaient à travers le black jusque dans un heavy antédiluvien.
Pour ce nouvel album, on connaissait déjà le nom, "Âmr", qui veut dire sombre en norvégien, et la pochette très stylée comme on dit dans les brunchs dominicaux, tendance satanique bobo décadent. Avec cet artwork sombre, sophistiqué et un peu féminin, on est loin des sempiternelles têtes de mort, et je dois dire qu'il encourage le questionnement. Quelle musique va bien pouvoir concocter le demiurge sur son trône noir à fourrure ?
Fera-t-il encore du metal, ou se transformera-t-il en Sébastien Tellier du metal pour remplir des Arenas à la place de Papa Emeritus ? N'est-il pas temps de changer mon canapé ? Son skaï commence à peler aux entournures, et semble plus indiqué pour regarder un match de foot que pour régner sur le Royaume des Morts.
C'est cependant avec une confiance absolue que je livre mes oreilles aux expérimentations de Sverre Tveitan. La constante avec
Ihsahn, c'est qu'il surprend toujours, et que, pour ma part, il n'a jamais déçu.
L'album s'ouvre avec "Lend Me the
Eyes of Millenia" sur un synthétiseur obsédant, émanant probablement du Doppelganger de David Guetta, qui est le fil conducteur sur lequel se greffent les guitares, un bon blast des familles, et le reste de la musique. C'est lui (le synthé, pas David Guetta) qui donne toute l'intensité à ce titre que la voix Black si reconnaissable d'
Ihsahn survole dans toute sa majesté .
Dès ces premières minutes, il est clair que côté sonore, le virage entrepris avec "
Arktis" est poursuivi jusqu'au bout avec une démarche assumée. Les guitares sont encore un poil moins saturées, on est sur un gros crunch assez sec, mais qui rend chaque note clairement audible. Le plus gros changement concerne la batterie, dont le son est très resserré au centre, comme si elle était au loin dans cette Salle du Trône aux murs matelassés. La grosse caisse est très mate, comme la caisse claire qui sonne early eighties. Même les toms sont à peine spatialisés sur les côtés, et les cymbales sont étouffées, comme si elles étaient entourées de barbe à papa (à l'arsenic, faut pas déconner non plus). C'est tout à fait voulu de la part d'
Ihsahn, le parti pris de rendre le son très intériorisé, avec une batterie presque "mono" comme il le dit lui-même. J'imagine la détresse du batteur, le suppliant à genoux de renoncer à son terrible dessein. Un batteur, ça veut que son kit aie un son qui envoie, de la caisse claire qui pète les tympans, une grosse caisse qui repousse le diaphragme dans la gorge, des cymbales qui font Pscchhhhhh jusqu'à l'acouphène. Mais ce que le Maître a décidé, il le fait. Par exemple, le blast de "Lend Me…", avec ce son mat et presque sans cymbales, donc, sonne presque comme un long roulement pulsant. Intriguant, mais cohérent avec la direction prise pour cet album.
La dynamique et l'énergie qui règnent sur "Âmr" ne sont pas dans les médiums des guitares et de la batterie, qui forment plus une colonne vertébrale à cette musique, mais plutôt dans les graves, voire les infra basses, ainsi que les aigus des claviers et de la voix d'
Ihsahn.
Et pourtant, malgré cette certitude que
Ihsahn va nous sortir de nos petites habitudes de metalleux, ce début d'album continue avec "
Arcana Imperii", donnant alors envie de s'installer dans le fauteuil du spectateur. Car une fois confortablement assis, le très intimiste "Samr" vous enveloppe dans une ouate à la douceur synthétique très New Wave du début des années 80, ce qui n'est pas sans rappeler ce qu'a fait
Steven Wilson sur son dernier album "To the Bone". Les refrains poignants ornés de chœurs donnent envie de serrer un petit chaton contre soi sans l'étr
AngLer, si on aime les chats, bien sûr.
Heureusement, l'angoisse reprend vite le dessus avec le très réussi "One Less Enemy", toujours avec des synthés très présents au-dessus de ce metal plombé de double grosse caisse, qui rendent l'atmosphère encore plus malsaine.
"Where You Are
Lost and I Belong", déclaration de bienvenue du Maître de cérémonie dans son antre, illustre tout à fait la pochette de "Âmr", qui s'anime dans un rythme pesant et aux grondements aussi organiques que synthétiques. La Voix d'
Ihsahn est particulièrement belle, puis déchirante.
Avec "In Rites Of Passage", il nous gratifie d'un des riffs inarrêtables dont il a le secret. Il monte les curseurs d'intensité pour mélanger synthétique et metal, dans une alchimie complexe et percutante. Sans oublier de ménager quelques plages contemplatives avec son chant clair, avant de revenir hurler comme un possédé. Un des meilleurs titres de l'album.
"Marble Soul" ressort le clavier pour maniaco-dépressifs qui avait servi dans l'album "
Arktis", mais cette piste dans la veine de "South
Winds" et "Frail" est moins convaincante dans cet exercice.
Dans toute expérimentation, il y a un moment où on teste les limites, et "Twin
Black Angels" aux relents de Depeche Mode ou OMD poussera le revival Années 80 à la limite du supportable, pour les plus intransigeants d'entre nous. Sans la brève explosion à la fin après le solo, on était à la limite de faire une tournée des
Zenith "Troisième Âge et Têtes de C..s". J'exagère un peu, c'est assez joli et bien fait, mais c'est borderline en ce qui me concerne…
Mais, une fois n'est pas coutume,
Ihsahn finit tambour battant avec le furieux "
Wake", rapide et d'une efficacité meurtrière, avec ses blasts, son refrain qui sera repris sur scène par des fans en transe. A noter le très beau solo à la Muse très bien amené, qui mène à une fin portée par des chœurs et qui font gonfler le torse.
En conclusion, j'ai été assez déstabilisé par l'écoute de "Âmr", et c'était le but, car
Ihsahn n'a pas choisi la facilité, en poussant les expériences stylistiques très loin, du côté pop, Electro ou New Wave, tout en gardant une ossature relativement metal. C'est surtout en le comparant à "
Arktis" où sa démarche est la plus flagrante : s'affranchir des styles, des habitudes et des automatismes, pour faire SA musique, et explorer ce qu'elle a de plus enfoui.
Même en ayant été sorti de mes gonds, il faut avouer que ça fait mouche dès la première écoute ; c'est complexe mais il y a une évidence dans les compositions qui font que chaque chanson emmène l'auditeur là où IL le veut.
La seule vraie réserve concernerait le son très étouffé de la batterie et des guitares. Si c'est très cohérent sur les titres plus électro ou synthétiques, cela enlève une partie de leur efficacité aux titres les plus metal de l'album, qui, sans cela, auraient été de vraies tueries. On perd aussi l'effet "montagne russe" qu'auraient donné de gros pics d'intensité avec toute la force de frappe d'une batterie méchante et de guitares plus velues.
C'est néanmoins un album très intéressant, personnel, sans concession, dans le sens où
Ihsahn a fait des choix forts et les a poussés jusqu'au bout, sans se préoccuper d'éventuelles critiques ou jugements. Il nous livre son talent du plus profond de lui-même, et ça n'a pas de valeur… tout du moins un bon 17 après quelques écoutes attentives, dans l'Antre de Sverre.
L'album est terrible comme toujours avec IHSAHN et ses œuvres solos!
J'aime beaucoup ta chro, bien plus que cet album qui je l'avoue, me rend perplexe. Je suis d'accord avec toi: il suit en droite ligne son prédécesseur au point même que je me demande si ce ne sont pas des chutes du précédent...
Cet album est de mon point de vue, le plus accessible de tous ceux créés jusque là, dans un sens, tant mieux mais dans un autre, même si je suis très fan de ses guitares, une certaine complexité mélodique me manque, tout comme le saxo de Jorgen Munkeby. Le son de batterie est juste atroce, voulu ou pas, c'est pour moi l'élément faible de cet album.
Comme écrit plus haut, je suis perplexe, cet album vraiment simple à écouter mais cela ne le rend pas beau pour autant en plus une reminiscence de Celestial violence traine sur cet album et rien en revanche de la puissance d'un On the shores ou encore d'un Unhealer.
J'espère que cet album est la fin d'un cycle et non pas, l'amorce d'un nouveau.
Merci Metalstormrider et David_Bordg ! Merci Headcrush, c'est un compliment qui va faire enfler mes chevilles !
C'est vrai qu'il est accessible et qu'on ne retrouve pas la complexité qu'Ihsahn affectionnait, comme tu le soulignes. Parlant du morceau "Celestial Violence" sur "Arktis", c'était pour moi un des sommets de l'album, mais si l'ambiance du morceau peut se retrouver sur "Âmr", il manque la puissance formidable qu'il avait.
Je te conseille de lire son interview sur Radio Metal, si tu ne l'as pas déjà fait, qui éclaire à merveille sa démarche musicale, et son besoin de renouvellement.
Concernant le cycle auquel appartient "Âmr", difficile à dire. J'aurais tendance à croire qu'il est allé au bout du truc, et qu'il prendra sûrement une autre direction, voire le contre pied, à moins de carrément sortir du metal, comme a pu le faire Ulver, par exemple. Ou un "Das Seelenbrechen 2" où il va tatonner dans le noir avant de se décider.
On verra bien en tout cas celui-ci est plus simple et accessible mais aussi plus sombre et personnel que son superbe prédécesseur ARKTIS.
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