Dans le petit monde du black doom, The
Ruins of Beverast fait figure de combo atypique. Composant depuis 2003 une musique lourde, possédée et cérémonielle, le one man band allemand entre difficilement dans une case, délivrant la vision musicale et artistique de l’âme damnée d’Alexander von Meilenwald, unique chanteur et instrumentiste qui l’incarne. Chaque album offre une musique riche et profonde qui se décline tout en nuances, oscillant entre ténèbres les plus opaques et éclaircies plus calmes et spirituelles. Depuis l’EP
Takitum Tootem! de 2016, la formation semble évoluer vers des contrées musicales un peu moins violentes, sous le spectre d’un psychédélisme shamanique brut et entêtant.
The Thule Grimoires est déjà le sixième album de l’Allemand, et vient poser un nouveau jalon à l’édifice sonore de The
Ruins of Beverast. C’est Ropes into
Eden qui initie la transe, s’ouvrant sur ces espèces de frottements de cordes réverbérées qui s’amplifient en une résonnance étrange, mêlant leurs soupirs électriques aux choeurs diffus des claviers et s’enflant comme une symphonie bruitiste lente et sacrée. Puis un blast lourd vient imprimer sa charge pachydermique à un mur de guitares/basse grondant et les vocaux, à la fois agressifs et caverneux, viennent scander leurs blasphèmes. Sous ce blast continu et ces effets vrombissants de guitares, le morceau commence à se tordre en un long passage ambiant sinueux, subtilement rehaussé de quelques effets industriels et tribaux avant de repartir dans les dernières minutes vers un metal d’abord lourd et rampant, alternant entre mid tempi et frappes rapides. Une solennité et un mysticisme intemporels se dégagent de cette première piste, qui envelopperont également un titre comme
Polar Hiss
Hysteria, avec ces arrangements de grattee chauds et lénifiants qui rappellent un peu les sonorités de la scène grecque.
Une fois de plus, le maître de cérémonie crée une musique inclassable bien qu’immédiatement identifiable, indubitablement metal mais largement expérimentale, à la fois souterraine, noire, ritualiste et presque shamanique qui parvient la plupart du temps à nous immerger et nous fasciner (The
Tundra Shines avec sa lourdeur moite, son jeu de percus tribal et ses chants psalmodiés qui sonnent comme des invocations, les fragrances orientalisantes d’Anchoress in Furs qui viennent nous surprendre, avec ce chant féminin haut perché typique du style et ce riffing chaud et entêtant).
Pour essayer de décrire plus précisément la musique, disons que The
Ruins of Beverast évolue dans une sorte de blackened doom qui se pare de nombreuses influences, allant puiser au besoin dans l’ambiant, la musique ethnique, l’indus ou le gothique. On retrouve en effet des sonorités et des vocaux qui rappellent autant Type of
Negative que
Yearning sur Kromlech
Knell, la voix de von Meilenwald, grave et sobre, se parant d’un voile de mélancolie et de tristesse, ainsi que sur Deserts to Bind and Defeat, morceau fleuve final long de plus de 14 minutes, aux vocalises à la beauté poignante.
Voilà un long album de 69 minutes aux morceaux sinueux et évolutifs qui semblent se créer au fur et à mesure des émotions de son géniteur, sorte de voyage initiatique riche en variations à l’intérieur d’une âme torturée. Les moments d’apaisement et de fureur metallique s’enchaînent avec cohérence et fluidité, toujours guidés par cette noirceur lénifiante qui nous enveloppe, rendant ce nouvel album plutôt facile d’accès.
Ceci dit, en ce qui me concerne,
The Thule Grimoires n’est pas l’œuvre la plus réussie du one man band allemand, manquant un peu d’intensité et de cohérence, notamment à cause de ce ventre mou formé par l’enchaînement de Kromlec’h
Knell et Mammothpolis, sorte d’indus trip hop très lourd, distordu et halluciné, morceau en soi plutôt réussi mais qui casse un peu le rythme de ces 69 minutes parfois un peu longues. S’il n’y a pas de véritable rupture avec les full lenght antérieurs, ce sixième album se fait peut-être un peu moins violent et hypnotique que ses prédécesseurs, et les expérimentations musicales plus poussées ne conviendront pas forcément aux amateurs de la facette la plus extrême du combo. L’ambiance est en revanche une fois de plus particulièrement travaillée, et The
Ruins of Beverast nous offre de nouveau une belle œuvre, riche, sombre et évocatrice à la profondeur insoupçonnée qu’il serait dommage de bouder…
Laissez-vous donc tenter par cette aventure musicale aussi ambitieuse que déroutante, osez vous plonger dans ces vieux grimoires poussiéreux et fascinants et laissez-vous vivifier par les vents glaciaux de
Thule…
Here ache for an intimate saviour
Catch a carrion moon, hear a grieving sun
And a grim warning not to leave the village
When the polar night falls...
Moi je l'aime beaucoup ce nouvel effort d'Alexander von Meilenwald, certainement pas aussi transcendant que Exuvia, mais n'empêche que le côté lugubre et hallucinant de The Thule Grimoires me plait bien, quoi qu'un peu déroutant en partant, il demande un peu plus de temps que les autres à mon avis.
J'aime bien le mélange des genres, et la façon dont c'est agencé, très intéressant, et à écouter plus longuement...
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