The
Ruins of Beverast est un one-man-band allemand évoluant depuis 2003 dans un black ambiancé, atmosphérique et incantatoire qui s’est rapidement fait un nom sur la scène black européenne. Après un très bon
Foulest Semen of a Sheltered Elite en 2009, qui s’éloignait déjà considérablement des canons du genre en explorant des voies plus doom et gothiques, The
Ruins of Beverast nous revient cette année avec ce
Blood Vaults - The Blazing Gospel of Heinrich Kramer aussi étonnant que détonant. La galette débute sur une intro très sombre et épique, qui met bien en place l’univers horrifique d’Alexander von Meilenwald, avec cette voix abyssale, ces claviers inquiétants, ces choeurs mystiques et ces quelques percussions aux résonances tribales. Dès les premières notes, l’Allemand nous convie à sa cérémonie des ténèbres, une sorte de rituel macabre et ésotérique qui nous plonge dans les entrailles de la terre. S’ensuit
Daemon, qui s’ouvre sur des choeurs liturgiques et des chuchotements dérangés avant que les guitares, lourdes, graves et poisseuses ne fassent leur apparition. Le changement de style est assez radical et de prime abord déstabilisant : sur ce titre, The
Ruins of Beverast évolue dans un death caverneux aux forts relents de catacombe, une musique extrêmement sombre et iconoclaste qui transpire l’occultisme, un peu à la manière d’un
Necros Christos. Ceci dit, le tempo se ralentit bientôt, la musique s’alourdit encore et le one-man-band dévoile la nouvelle face hideuse de sa créature protéiforme : le death primaire se mue petit-à-petit en un doom lent, écrasant, suffocant et désespérément chtonien.
Malefica laisse un moment entrevoir une partie moins tourmentée du one-man-band, avec une musique d’une beauté touchante, où la voix, certes toujours grave, semble plus humaine. Des sonorités plus sibyllines, presque apaisantes, viennent colorer ce morceau, toujours empreint d’une certaine solennité, et d’une musicalité toute en clairs obscurs au mysticisme quasiment religieux.
Pas étonnant quand on sait que
Blood Vaults narre en musique la vie d’Heinrich Kramer, ecclésiastique illuminé et chasseur de sorcières intransigeant, à l’origine du fameux
Malleus Malleficarum. Arpèges mélancoliques, orgues sépulcraux aux mélodies célestes, guitares toujours aussi lourdes mais d’une mélancolie poignante, The
Ruins of Beverast sait toujours séduire par sa subtilité et son art des nuances, même s’il évolue désormais dans un style bien plus claustrophobe et monolithique qu’auparavant.
D’une manière générale, ces neuf hymnes forment un bloc de granit brut et uniforme, l’exploration angoissante d’un esprit dérangé où bien et mal s’étreignent dans une proximité confuse. Parties death et doom extrêmes d’une pesanteur impitoyable et aux vocaux proprement effrayants contrastent avec des passages plus calmes et introspectifs où seuls raisonnent les échos mystérieux et dissonants de guitares brumeuses, les notes fantomatiques des claviers et où des voix trafiquées et inquiétantes enserrent notre âme dans un écrin de douce folie. Ces longs morceaux s’étalant parfois sur plus de dix minutes sont propices aux contrastes, et riffs graves et telluriques contrastent avec des mélodies aliénantes et venimeuses pour guider l’esprit de l’auditeur à travers la foi dévorante et meurtrière De Kramer qui l’emmène aux frontières de l’impiété. Si cette œuvre est incontestablement noire et suffocante, elle n’est pas dépourvue d’un certain esthétisme et semble parfois osciller entre ténèbres et lumières, résonnant même dans les moments les plus calmes comme la promesse d’une lointaine salvation ou d’une paisible ataraxie dans la perspective du massacre des hérétiques. Musicalement, on pourrait rapprocher le nouveau The
Ruins of Beverast d’une sorte de mélange hybride et particulièrement réussi entre Shape of
Despair et
Dolorian, mais conservant toujours cette empreinte ésotérique et ce savoir-faire indéniable d’une musique froide, mélancolique et désespérément belle issu de ses années black.
Spires, The Wailing City nous entraîne dans l’agitation hectique d’une transe sauvage à la redécouverte d’un paganisme fier trop longtemps opprimé par le joug aliénant de la religion. Là, au milieu de ces percussions qui pulsent comme mille cœurs débridés, jusqu’à cette fin magistrale et dramatique, portée par ce mur de guitares purificateur aux relents d’orgue sacré qui l’élève au-delà de toutes considérations morales, l’âme des sorcières clame à l’unisson l'amour de la liberté et ressuscite en un art païen la nature primitive de l’Homme. Cette plongée dans les sombres méandres des Origines se poursuit sur Failed
Exorcism, avec ce long passage qui s’incarne en une véritable incantation tribale toujours portés par ces percussions guerrières et cette voix terrifiante qui se mue en d’étranges litanies incantatoires. C’est le combat ultime du bien contre le mal, la tentative de sauver des âmes perdues et damnées, sauf que les valeurs semblent s’inverser, et que la main de Dieu devient l’oppresseur d’une liberté sacrée et inviolable. L’auditeur se range inconsciemment du côté du démon, et quand l’exorcisme échoue sur cette plage bouleversante, on se sent réconforté tant on s’est habitué à cette part de ténèbres indissociable de notre être qu’incarnent les persécutées, et qui sublime notre personne vulnérable et mortelle. La Bête nous fascine, la religion est l’ennemi, notre conviction est inébranlable et on se laisse aller sereinement jusqu’au verdict inévitable du jugement : les chœurs liturgiques de
Trial sont plus envoûtants qu’effrayants et semblent raisonner pour confirmer notre choix conscient et définitif, celui du refus d’être sauvé et aliéné. Le combat est terminé, la paix retrouvée, et la fin est proche.
Cette fin explose sur le titre suivant, le court et intense
Ordeal qui voit l’exécution impitoyable des hérétiques. Puissante, lourde, sauvage et ravageuse, cette piste achève de dévoiler la hideur de l’extrémisme religieux qui va jusqu’à bafouer ses principes les plus sacrés au nom d’une foi aveugle et débilitante. Envoûtant, démoniaque et malsain, survolté par un blast continu et des guitares hypnotiques,
Ordeal entérine définitivement notre pacte inconscient avec l’Adversaire dans les flammes, le sang et le parjure.
L’album peut se conclure sur un
Monument long, triste et sibyllin, sorte de calme après la tempête qui vient apaiser la surface agitée de l’esprit insane de l’inquisiteur allemand. Le sentiment du devoir accompli, la certitude d’avoir agi pour une cause juste, la promesse d’une béatification, tout cela semble se muer vers la fin en un marasme de doutes, d’élans de conscience douloureux et de remords déchirants pour une fin tourmentée et sombre aux limites de la folie et du supportable, avec cette basse grondante et menaçante et ces ultrasons aigus qui nous vrillent désagréablement les tympans.
Alors, que dire de ce Bloody Vaults ? Si on peut regretter un instant la nouvelle orientation d’Alexander von Meilenwald déjà entamée sur l’album précédent, force est de constater que l’Allemand parvient une fois de plus à se renouveler brillamment et à tisser un univers sonore riche, sombre et incroyablement dense qui nous immerge impitoyablement le long de ces 78 longues minutes. Que l’on aime ou pas, cette galette est une nouvelle perle noire dans la carrière de The
Ruins of Beverast qui n’a rien à envier à ses prédécesseurs au niveau de la qualité des compositions et des ambiances. Inclinons-nous donc une fois encore et savourons sans modération ce nouveau cru d’un des groupes de black les plus novateurs et créatifs du moment…
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